JOURNAL   Saison 8

LES 4 MOUSQUETAIRES

–  Ça va, Madame, vous ne vous êtes pas fait mal ?

–  Si si ! Ma fierté en a pris un sale coup…

Première gamelle de l’année sur le trottoir gelé en allant à la pharmacie pour mon refill de petites gélules vertes. Si la météo s’y met désormais pour nous empêcher de tourner en rond !

 

Mercredi 10 février 2021 # COUVRE-FEU COMME LES POULES J+26

Et au comptoir à la pharmacie, j’ai eu un moment. A côté, une toute jeune femme, belle comme un cœur avec ses longs cheveux blonds et ses grands yeux bleus, s’est avancée pour être servie. Je me suis dit qu’elle devait être très courtisée et j’ai eu un soupir d’envie.

Et là, elle a ouvert la bouche. Mon dieu ! Une charretière à l’accent parisien poussé à l’extrême avec ses ‘ouaing’ au bout de chaque phrase. Du coup, j’ai arrêté de l’envier. Puis, je me suis demandé si les mecs étaient capables de passer outre, si la plastique prévalait et si le charme n’était en fait qu’une futile chimère…

Mouais.

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de la mort de Papa. Il y a 9 ans. C’est dur, surtout cette année où Maman l’a rejoint. Vendredi, je vais au cimetière pour les voir tous les deux donc. C’est sûr, c’est plus pratique qu’avant mais cela n’en est pas moins douloureux. Les larmes montent moins à leur évocation, je ressens plus une compression dans la poitrine mais qui s’estompe assez vite. Mon deuil serait-il en train de se terminer ?

 

« Hé mais c’est ultra-bon, ça ! Tes amis vont se régaler demain ! Dis-moi, tu serais capable de refaire ce plat pour trente personnes ? » s’est exclamé Bradley samedi soir lorsqu’il est venu passer sa nuit de permission à la maison.

Oui, je me suis remise à cuisiner et je n’ai pas choisi la facilité avec le challenge ultime pour la végétarienne que je suis, de cuisiner au pifomètre intégral des plats de viande dont je ne peux vérifier ni la cuisson ni l’assaisonnement. D’où l’occasion bénite d’avoir un goûteur pour mon déjeuner avec le Scoobigang du lendemain. Apparemment, je me suis bien débrouillée.

–  Bah oui, je multiplie les quantités par 4… Quoi, tu as l’intention de faire une boum au régiment ?

–  Non mais je me disais qu’on pourrait faire un repas d’accueil au village de la ferme aux pommes, qu’en penses-tu ? Dans ton plat, il n’y a que des produits que l’on pourrait soit élever, soit cultiver sur place, ce serait une belle démonstration, non ?

J’ai failli m’étouffer en finissant mon verre de vin.

–  Qui ça ‘on’ ?

–  Bah toi et moi.

–  Mais bien sûr. Allez, ressers-moi du vin et parlons d’autre chose.

La veille, c’était « Je n’envisage rien avec toi » et là je devrais cuisiner pour tout le village pour ‘notre’ week-end d’intégration ?!? Ses revirements de girouette me portent sur le système. Je ne sais pas si c’est un jeu pour lui ou s’il est vraiment indécis, le fait est que ça m’agace au plus haut point.

Bref, la solution pour diluer mon exaspération est dans le Côtes-du-Rhône.

Le sent-il ? Toujours étant que samedi soir justement, jusqu’au lendemain où il m’a envoyé plein de messages tout mimis, il n’a jamais été aussi adorable, se montrant amoureux malgré qu’il s’en soit défendu la veille.

Aujourd’hui, je repense à tout ça, dubitative. Et d’un seul coup, tout m’apparaît clairement. Je relie les quatre hommes qui ont compté dans ma vie et je comprends alors une chose : ils ont tous eu le coup de foudre pour moi… mais pas moi. Sauf pour Walter.

Ce que je veux dire, c’est que je n’ai jamais été la provocatrice de nos histoires.

Kevin m’a fait une cour assidue et a fini par me ‘convaincre’ malgré le fait que j’ai senti dès notre rencontre qu’il était une erreur à ne surtout pas faire. Je me suis laissée emporter, c’était juste après une énième rupture d’avec Walter, j’imagine que j’avais besoin d’une histoire tangible, envie d’être aimée pour de vrai, quoi.

Sean aussi m’a fait la cour et un jour, je l’ai regardé comme autre chose qu’un collègue de travail. Là aussi, je me suis laissée emporter, grisée par sa demande en mariage idyllique et j’en ai presque oublié Walter. Mais était-il l’homme de ma vie ? Sur le moment, j’ai évité soigneusement de répondre à cette question. J’aurais dû, j’aurais évité un mariage voué à l’échec, tué dans l’œuf.

Enfin, Bradley. Il y a 23 ans, c’est lui qui a eu le coup de foudre, tout en restant dans l’ombre. Lorsque j’ai découvert le pot-aux-roses, j’ai été troublée car je tombais des nues. Pour moi, c’était un collègue de travail devenu un bon pote. Je me souviens même qu’une autre collègue m’avait plus ou moins rencardée et que je m’étais dit alors « Mé non, il est mignon, marrant, Bradley, mais je n’en veux pas comme mec ! »

Il aura suffi d’un baiser à la porte d’un taxi et de mes larmes bouleversées dans ce même taxi pour m’ouvrir à lui. Une passion dévorante que je n’avais absolument pas vue venir. Ma première relation longue. Mon premier mariage, certes sur un pari, mais plein d’amour quand même. Un comble pour un mec dont je ne voulais pas

Et puis, Walter. C’est le seul que j’ai désiré. Sans savoir quoi faire de ce coup de foudre réciproque. Sans jamais m’être battue pour lui. Sans jamais ne pouvoir faire autre chose que de l’attendre. Je crois que je ne savais tout simplement pas ce que c’était que de vouloir quelqu’un et de mettre tout en œuvre pour l’obtenir.

Et ça a donné ce que ça a donné, c’est-à-dire rien. Dans une semaine, cela fera 20 ans que l’on s’est rencontrés lui et moi. Si ce moment est encore bien vivace en moi, l’amertume de tout ce temps perdu, bien que je ne puisse lui attribuer à l’unilatéral, est bien plus forte et les sentiments que j’ai et aurai jusqu’à la fin de ma vie pour lui s’érigent aujourd’hui en moi comme un avertissement « Never again »

Ce qui m’amène à Bradley 2.0. Tout semble enfin prendre la forme qu’il souhaitait. La ferme aux pommes devient une réalité, son ex-femme est revenue à de meilleurs sentiments… Je suis foncièrement contente pour lui. C’est bien qu’il aille au bout de ses projets.

Pis tiens, hier, il m’annonce avec en préambule « J’espère que tu n’en seras pas trop triste… »  qu’au dernier moment, la tata de ses enfants accepte de garder ces derniers pendant qu’il sera en mission. Triste, non, je suis même contente qu’ils aient enfin quelqu’un de leur entourage qui se soucie d’eux.

Donc, exit ma mission de nanny. A bien y réfléchir, ce n’est pas plus mal car je m’aperçois que je n’étais pas à ma place dans ce rôle. J’ai toujours cet élan car je déteste ce que je ressens lorsque je me mets à la place de certains mômes. Mais je viens de comprendre que ce n’est pas à moi de prendre soin des enfants des autres. Ce n’est même pas mon job !

Bref. Oui, tout semble s’arranger pour Bradley et comme je l’ai dit, je suis heureuse pour lui. Mais à nouveau, lorsqu’il s’est mis à parler de demain en disant exclusivement je et lorsqu’il a continué de parler de moi comme le plan D ou Z je ne sais plus, bah cela a fini par me faire décrocher pour de bon.

Certes, je n’avais pas de grandes attentes mais d’avoir en face de moi un mur qui me renvoie au visage la moindre tentative, au bout d’un moment je tourne les talons. Je me suis rappelée lorsqu’on s’est revus lui et moi il y a un peu plus de 4 mois. Nénette m’avait dit que c’était lui qui souhaitait ardemment me revoir, ce que j’avais de prime abord refusé avec un « What the fuck ?! » retentissant.

A nouveau, je n’ai pas voulu Bradley et pourtant je me suis laissée emporter. J’ai voulu écouter mon intuition. Elle me disait quelque chose que je ne pouvais ignorer. Comme lorsque je me suis raccrochée de toutes mes forces à ce que j’ai ressenti lorsque j’ai rencontré Walter, cela voulait dire quelque chose que je ne pouvais oublier.

Du coup, j’en viens à remettre en question mon intuition, mon sixième sens, voire mon septième. J’ai suivi de faux prophètes, je me suis faite aveuglée par des mirages que je savais n’être que des cache-misères à mon désespoir d’enfant abandonnée souhaitant secrètement pouvoir faire confiance une fois dans sa vie.

Et je me dis que j’aurais dû écouter ma voix intérieure, celle qui parle dans mon plexus. Quand elle me disait que je ne suis pas faite pour être avec quelqu’un, que je suis une vraie solitaire et que je ne trouverai la paix que lorsque j’aurai fait de mon cœur un mausolée.

Bon, je ne vais pas dire ‘Fontaine je ne boirai pas de ton eau’ car c’est le plus sûr moyen de boire la tasse. Tout un chacun, on veut être amoureux, c’est chouette comme sentiment. Alors oui, j’ai moi aussi envie de retomber amoureuse, d’avoir des papillons dans le ventre, un vent de passion qui m’enivre, j’ai envie de prendre soin et qu’on prenne soin de moi, envie de « You’re the air that I breathe, you’re the ground beneath my feet », j’ai envie d’être en manque de quelqu’un, envie de lever les yeux sur ce quelqu’un et de me sentir à la maison, envie de finir le pot de Macadamia Nut Brittle d’Häagens-Dazs à deux, pelotonnés en pyj devant un épisode d’une série à la con.

Justement. Si je ne vis pas ça, je me dis que je suis mieux toute seule. Et ce que je vis en ce moment avec Bradley, c’est tout sauf ça. Ce n’est pas désagréable, loin de là, mais je peux m’en passer.

 

La métamorphose que j’ai vue à plusieurs reprises dans les cartes à mon propos est bel et bien là. Et si je dois rencontrer quelqu’un, j’aimerais, pour la première fois de ma vie, le vouloir et faire en sorte que cela fonctionne. Je veux mon plein gré.

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