– Votre maman refait de la température et ses globules blancs sont toujours très bas alors nous la renvoyons à Ambroise Paré ce midi.
J’appelle Toto dans la foulée pour qu’il prenne ses dispositions si l’arrivée en EHPAD est retardée. On maintient quand même le déménagement au 6 juin et si besoin, il stockera les affaires de Maman chez un ami à lui qui a un grand hangar.
Mardi 26 mai 2020 – DECONFINEMENT J+16
Je le savais bien. Ils vont la garder deux mois, ça va faire comme à Pompidou il y a sept mois où ils n’arrivaient pas à expliquer sa fièvre intermittente et encore moins à trouver les bons antibiotiques.
Bref. Ce qui me tracasse en revanche, c’est son état de propreté. Dimanche, je suis allée lui porter un sac entier de linge propre et l’infirmière m’a donné en retour une culotte et un bas de pyjama dans un état immonde.
- Maman, tu te laves au moins ?
- Je me fais une toilette de chat…
- Tu n’as pas pris de douche depuis une semaine ?!
- Bah j’ose pas demander de l’aide…
- Il faut ! Et change de culotte, s’il te plaît !
Quand j’en parle au personnel soignant, on me dit qu’elle s’est bien lavée, sur stimulation certes, mais qu’elle est toute propre. Bon, elle ne se rappelle même plus et elle baigne dans sa crasse. Ça aussi, je m’en doutais.
Mon roulage en boule aura duré deux bons jours. Je n’en suis pas tout-à-fait sortie, je suis encore en mode demi-hérisson. Malgré cela, j’ai réussi à faire ce que j’avais mis de côté depuis un bout de temps. Un bon coup de pied aux fesses auto-administré.
Ainsi, j’ai eu ma doctoresse en téléconsultation pour renouveler mon Stilnox parce que j’ai fini mes deux boîtes et entamé mon stock secret. La droguée et son dealer. On en a profité pour parler de ma mère qui est une des causes de mes insomnies récalcitrantes.
Je dors de façon anarchique en ce moment, parfois six heures d’affilée, parfois par tranches de deux heures, parfois pas du tout et ce, même avec deux cachets dans le buffet. Ma doctoresse ne désespère pas de me faire décrocher un de ces jours, moi non plus car j’ai bien réussi une fois…
Je me rappelle que je voulais littéralement faire le tour de la terre pour avoir un tel jet-lag que mon horloge biologique aurait bien fini par se caler d’elle-même sans aucune aide chimique. Je voulais rallier en premier le Montana puis descendre sur San Fransisco, ensuite Hawaï, le Japon, les îles Fidji, la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie…
Bon, je suis allée au plus rapide et au moins cher : j’ai arrêté un soir de prendre mon petit cachet oblong. J’ai morflé quelques jours ensuite puis je m’y suis faite. J’étais fière de moi. Ce que je ne savais pas alors, c’est qu’un sevrage brutal n’est jamais anodin et peut avoir des répercussions longtemps après. Ainsi, cela a certainement dû participer à mon break psychotique effectivement quelques mois plus tard…
Bref, ce n’est pas le bon moment pour réessayer. Mais j’ai bien peur que ce ne soit jamais le bon moment, alors…
J’ai également envoyé le mail de résiliation pour mon box au 9 juin et traité différentes paperasses qui traînaient dans ma corbeille. Je suis allée faire quelques courses, dont les cartons pour le déménagement, au grand Auchan dans lequel je n’avais pas mis les pieds depuis trois mois.
L’avantage de faire les courses à Franprix, c’est qu’on n’est pas tenté d’acheter des conneries. Comme le Gym Form Total ABS qui trône désormais à côté de la Wii dans mon salon. Je me suis dit qu’avec le retour des chips, il allait bien falloir deux armes pour vaincre mes derniers capitons…
Comme je me sens passablement stupide avec mes électrodes sur le ventre, j’en rigole au téléphone avec mes amis dont je salue l’optimisme à toute épreuve :
- C’est chouette, ton truc, tu peux faire du sport et mater une série en même temps !
Mes amis sont mes petites bulles d’oxygène. Heureusement qu’ils sont là et qu’ils m’aiment toujours, même dans le ridicule !
J’ai surtout enfin retouché mon cv, surtout la dernière expérience professionnelle. Quand je l’ai écrite début mars, j’étais encore imprégnée du restaurant donc pas très objective et encore moins factuelle. Aujourd’hui, c’est propre et concis. J’espère.
J’ai aussi réactivé sérieusement mes contacts, répondu à plein d’annonces et créé un compte sur plusieurs sites de recrutement. Je me suis faite violence car je déteste les petites cases à cocher pour se décrire et décrire ses objectifs. Je déteste tout autant les questions à choix multiples qui jamais ne proposent le choix ‘Autre’… Je déteste être définie par la somme de petites croix dans les bonnes cases. Ou les mauvaises. Je déteste n’être pas plus complexe qu’un grille-pain.
Ça me rappelle Meetic. Qu’est-ce que j’en avais bavé pour me créer un profil ! Au final, ça ne ressemblait à rien et je passais un temps infini à expliquer mes petites croix dissidentes à des mecs pour la plupart déroutés qui finissaient par fuir à toutes jambes.
Je ne me rappelle pas trop, d’ailleurs, pourquoi j’avais fait cette démarche. J’imagine que c’est parce que je me sentais seule à ce moment-là et que j’avais besoin de parler. Ça a parfois débouché sur des embryons de relations, plus charnelles qu’émotionnelles, ce qui m’allait bien.
En fait, j’ai longtemps collectionné les relations éphémères. Trois mois, c’était ma durée légale. Ne jamais m’investir. Ne jamais être déçue. Abandonner avant d’être abandonnée. Héritage de ma toute petite enfance.
Puis un jour, je me suis mariée. Sur un pari. Du style ‘chiche, pas chiche’. Oh je l’aimais, Bradley, pas de doute mais je n’avais aucune idée de ce que je faisais, ni même de ce que je voulais. Je me disais fantasque et romanesque alors que j’étais con et inconsciente !
Bref, j’ai mis une année entière à savoir dire ’nous’ et la suivante à me faire à l’idée de redire ‘je’… Une première audience de divorce un 14 février et quelques jours plus tard, je rencontrais Walter qui était lui sur le point de se marier.
Quelques années et une longue traversée du désert plus tard, je me suis remariée. Avec Sean. Un collègue de bureau. Je l’aimais lui aussi et je pensais que cela mettrait un terme définitif à mon histoire avec Walter qui m’avait bien étrillée.
Mais cela m’a menée à un deuxième divorce. Ce qui m’a fait reconsidérer sérieusement ma vie sentimentale. Je n’étais peut-être pas faite pour le mariage ? Je sais qu’il ne faut jamais dire ‘jamais’ mais je crois que je suis vaccinée.
Quand j’ai besoin de victimiser, je me dis que je n’ai pas eu de chance : Bradley et moi étions très complices mais on ne pouvait pas vivre ensemble, Sean et moi étions de parfaits colocataires mais n’avions aucun point en commun…
Mais de façon plus lucide, je dirais que les deux m’ont sincèrement aimée, les deux ont essayé de trouver leur place à mes côtés et les deux se sont brisé les reins à l’assaut de la tour fortifiée dans laquelle je m’étais enfermée en déployant la bannière « Je t’aime mais je n’ai pas besoin de toi ».
Je n’ai gardé aucune rancœur.
Même si mon premier divorce a été douloureux. C’était la première fois que je faisais confiance à quelqu’un qui était censé m’aimer à la vie à la mort, comme ma mère biologique. J’ai donc ressenti le divorce comme un deuxième abandon et je suis partie en vrille.
Je me revois, juste avant de nous séparer, dans cette spirale nauséabonde de violence et de jalousie où l’on en est venu aux mains et je me revois drapée dans une mesquinerie sans nom au moment du partage des biens…
Je me revois surtout, quelques temps après, me jurer à moi-même de ne plus jamais vouloir être celle que je venais d’être et que j’exécrais de toute mon âme. Cela m’a tellement traumatisée que j’ai tenu ma promesse jusqu’à ce jour.
Je suis même restée en bonne relation avec Sean qui, après notre divorce – le plus courtois que les juges aient pu voir de leur vie ! – s’est expatrié à l’autre bout de la terre et que je revois avec plaisir lorsqu’il revient en France.
Ainsi, lui et Bradley m’ont aimée comme ils ont pu et même s’ils ont eu des torts, la palme m’en revient sans l’ombre d’un doute. Je ne suis pas un cadeau. Plutôt un boulet aujourd’hui, avec ma fibromyalgie. Bref, je ne me souhaite à personne.
En amour comme en amitié. Il vaut mieux me fréquenter en pointillés. A exposition prolongée, je deviens insupportable. Mes amis, ceux qui ont résisté, l’ont bien compris. Nénette la première. Et pourtant, je lui en ai fait baver !
Même mon chat a capitulé. Au bout de dix ans de vie commune, du jour au lendemain, il a fait en sorte que je le laisse à demeure chez sa nounou préférée, me crachant dessus dès que je venais lui rendre visite ensuite !
14.00. Un mail du voisin FFP2 sur le nez pour aller chercher le pain :
« Chers voisins et amis,
J’ai eu l’occasion, en particulier très récemment, de mieux connaitre certains d’entre vous. Avec mon épouse, nous avons imaginé un pot/petit barbecue chipolatas et merguez sur notre terrasse vendredi 5 juin vers 18h30/19h00 pour fêter la fin progressive du confinement et retrouver cette convivialité qui nous tient à cœur. Un petit groupe de voisins anciens et nouveaux… Bon sang ! Que la vie redémarre ! »
C’est l’appart-terrasse de 200 m² au dernier étage où j’ai déjà fait quelques afters très arrosés de Fête des Voisins auparavant. L’ascenseur se souvient bien de moi.
Bon, les merguez et les bobos de l’immeuble, ça me tente moyen. Allez, je dis oui. Ça me fera du bien de redevenir mondaine le temps d’une soirée et qui sait, je me ferai peut-être de nouveaux contacts pour trouver un boulot ?