– Je mangerais bien du gigot…
Et je fais quoi du reste après l’unique minuscule tranche que tu auras mangée avec des haut-le-coeur à chaque bouchée ?!
Lundi 13 avril 2020 –CONFINEMENT J+28
La confection des repas a toujours été très compliquée. Déjà, parce que nos régimes alimentaires diffèrent (moi strictement végétarienne sans gluten et elle hyper-protéines/glucides), ensuite parce que les infimes quantités qu’elle accepte d’ingérer ne me laisse pas beaucoup de latitudes. J’ai bien pensé à cuisiner d’avance et à étaler sur la semaine mais, complication suprême, si jamais je lui ressers le même plat le lendemain, je me le prends en pleine poire !
Je dois donc cuisiner en one-shot, en infime quantité pour elle et différent pour moi. De plus, je dois souvent manger en cachette car elle n’arrête pas de lorgner sur mon assiette :
– Je voudrais manger comme toi…
– Ne touche pas à mes concombres ! Le docteur a dit que ce n’était pas assez nourrissant pour toi, Maman, tu dois manger en priorité de la viande et du pain.
– Bah pourquoi tu n’en manges pas ?
– Je t’ai expliqué un milliard de fois que je suis allergique !
– Mais je peux quand même manger des concombres ?
– Oui, quand tu auras fini tes deux chicken-wings. Ce dont je doute si tu manges des concombres avant.
Alors, je lui ai donné ce sur quoi elle lorgnait et ça n’a pas fait un pli, au bout de trois bouchées :
– Ça m’écoeure, j’ai pas faim, j’ai des nausées.
– Tu te rends compte que quoique je mette dans l’assiette, c’est la même comédie ? Tu vois bien que c’est dans ta tête !
13.00. Le combat de coqs habituel prend ce midi des allures dantesques. Et me voilà repartie dans un tourbillon de colère qui s’alimente au mur des lamentations qu’a érigé ma mère. Je ne sais pas si c’est parce que c’est Pâques aujourd’hui mais c’est bien ma fête, en bonne grosse cloche que je suis.
J’ai même l’impression que c’est de pire en pire et qu’elle ne fait que régresser chaque jour : elle refuse désormais presque toute nourriture et passe la journée allongée dans son fauteuil à gémir, les yeux dans le vide.
Je prends le temps de me calmer puis je vais la voir dans sa chambre. Il me reste une ultime solution que je veux lui soumettre. Ai-je en tête qu’elle acceptera mieux si je lui en fais part avant au lieu de la mettre au pied du mur ?
– Maman, que penses-tu si je fractionne tes repas tout au long de la journée ? Au lieu d’avoir trois gros repas et un goûter, tu aurais six collations. Bon, même si l’expression ‘gros repas’ est très mal choisie dans ton cas.
– J’en pense rien. Laisse-moi mourir en paix.
– Bah c’est pas possible. Pas sous mon toit.
Je remballe donc mes dents avec la ferme intention toutefois de mettre en oeuvre ce système de collations dès demain. Je n’ai plus grand-chose à perdre, de toute façon.