– Et si on buvait du champagne pour ton anniversaire ?
– Je ne vois pas ce qu’il y aurait à fêter.
J’ai toujours aimé fêter mon anniversaire. Jusqu’à 29 ans. Après, j’ai bloqué le compteur et je me suis toujours arrangée pour me planquer quelque part ce jour-là, le temps qu’on m’oublie. Comme lorsque je suis partie pêcher à la mouche dans le Montana. Là-bas, pas de facebook, pas de téléphone, une retraite du monde en bonne et due forme. Au Paradis, qui plus est.
Ah si j’avais pu y rester !
Dimanche 10 mai 2020 – CONFINEMENT J+55
Voilà. Ce soir s’achève le confinement en France. On va pouvoir, selon le premier ministre, reprendre notre vie. Ce n’est pas bien de se moquer, Monsieur. Car je reprends quoi, moi ?
J’aime bien le confinement et je n’ai nulle intention de sortir plus que par nécessité. Rien ne va donc changer pour moi demain, sauf que je peux jeter les attestations que j’avais imprimées d’avance. Ce sera même pire, je dirais, car je vais devoir réapprendre à vivre fenêtres fermées à cause du bruit dans la rue qui va, sans l’ombre d’un doute, faire un retour fracassant.
Je jette un oeil dehors… Bah oui, c’est la foule. En grapillons et sans masques. Rien ne distingue d’un autre dimanche de printemps. Je les vois tous déambuler en short et en tongs avec leurs mômes qui tourbillonnent furieusement en essaim autour d’eux… Ah ça va leur faire bizarre les Saints de Glace demain !
Je reviens vers mon ordi. Car au terme de ces deux mois pendant lesquels j’ai pu entamer cette thérapie en écrivant ce journal, j’ai besoin de faire un premier bilan.
Je refais donc une photo : 48 ans sonnantes donc, toujours avec ma mère copieusement alzheimeurée, toujours célibataire, toujours pas d’enfants et encore moins de job.
Ah merde, rien n’a changé ! Et pourtant, si…
J’ai beaucoup avancé, en fait. J’ai compris plein de choses. De coucher ces mots jour après jour et de parler avec d’autres que mes plantes vertes m’a permis de construire ma pensée et d’une certaine façon, j’ai pu m’ouvrir. Je n’ai même plus de problèmes à dire mon âge !
Ainsi, j’ai pu accepter mon échec avec ma mère et prendre la décision de la placer en EHPAD. J’ai compris mes mécanismes d’auto-empoisonnement et assumer mes faiblesses.
J’ai pu me regarder dans le miroir sans détourner les yeux, je m’y suis vue telle que je suis : pathétiquement fragile sous mes airs de dure à cuire, lâche et veule parfois, mais aussi remplie d’espoir et au final, prête à en découdre. Et sans trop de rides.
La route est longue encore. Pour l’instant, je n’ai fait que comprendre pourquoi et comment j’en étais arrivée là. Devant moi se profile un horizon de choix à faire en mon âme et conscience, peut-être un crochet par la contrition et très certainement des combats à mener encore. Principalement contre moi-même.
C’est pas gagné. Hier, je n’ai pas pu résister et j’ai fait un ménage intégral de l’appartement. Monk aurait été fier de moi. Bon, allez, je vais y aller petit-à-petit, ça ne sert à rien de mettre la charrue avant les boeufs, avant même le champ.
Et comme c’est mon anniversaire, j’imagine un gâteau (sans gluten) avec des bougies dessus et je fais un voeu. Plusieurs, en fait.
1. Je souhaite que ma mère retrouve la pêche en retrouvant l’appétit afin qu’elle puisse tenir jusqu’à son placement en EHPAD dans un mois.
2. Je souhaite retrouver un job bientôt et avec, l’assurance de pouvoir continuer de payer mon loyer.
3. Je souhaite revoir Walter et qu’on ne se quitte plus.
4. Je souhaite reperdre les deux kilos que la Wii-Fit a dit que j’ai pris.
5. Je souhaite que le déconfinement ne nous ramène pas au confinement…
Je pousserais bien jusqu’à me faire une petite boum solo où je chanterais à tue-tête et danserais comme une folle dans le salon… Je tâte mes épaules et mes hanches mais la grimace de douleur qui s’empare de mon visage ne me laisse aucun espoir. Ce sera donc boum solo dans ma tête.
J’aurais peut-être dû en parler à Harry hier quand je lui ai demandé son aide pour ma mère ? Bon, il a déjà travaillé sur mon cas auparavant mais il y a eu peu d’effet. Il s’est d’ailleurs reçu des châtaignes quand il a apposé ses mains sur moi qui l’ont laissé pantois. Peut-être que j’ai inconsciemment sorti la kalachnikov pour repousser son énergie que j’ai considérée comme une intruse ?
Sacré Harry… Un personnage truculent avec une vie hors du commun. Lui-même pourtant se taxe de mec normal un peu plan-plan, c’est ça qui est génial car il est tout sauf ça.
Tout jeune retraité, il a écrit un bouquin pour raconter l’extraordinaire découverte qui l’a amené à se reconvertir. En effet, son légendaire esprit ultra-cartésien et ultra-athée s’est pris une bonne grosse claque lorsqu’il s’est découvert, un peu par hasard, le don de… magnétisme.
Il a mis du temps à en être convaincu mais ses résultats ont dépassé toutes les attentes. Son bouquin, en grande partie autobiographique, raconte bien cette révélation inattendue et le long cheminement jusqu’à l’acceptation de ce don. C’est d’ailleurs en lisant son manuscrit à la chasse aux fautes d’orthographe que j’ai eu envie de me remettre à écrire. Comme quoi, il n’y a pas de hasard.
Bref, c’est la lecture idéale en ces temps de confinement où le rire et l’espoir sont des bouffées d’oxygène à l’état pur. Et en plus, c’est très drôle. Comme son auteur.
https://www.librinova.com/librairie/franck-lambert/harry-brindille-1
Il est donc devenu celui qu’on appelle quand on n’a plus d’espoir. Ghosbusters, quoi, le tonton-rebouteux, puisque c’est l’oncle de Nénette. C’est d’ailleurs elle qui m’a conseillée hier de l’appeler car il est capable selon elle de magnétiser à distance sur photo. Il a fait récemment quelqu’un qui sortait de chimio qui ne voulait plus manger, le résultat est bluffant.
Je lui ai donc envoyé une photo de ma mère ce matin. On verra bien. On ne pourra pas me reprocher de ne pas avoir tout tenté.
23.00. Cette journée d’anniversaire confiné s’est passé comme les autres, quelques messages sur Facebook et Toto qui m’a appelée, la routine, quoi. En revanche, aucune manifestation de Walter, pas même un minuscule texto d’anniversaire. J’ai un mauvais pressentiment. Alors, je sors mes tarots divinatoires.
Je me trouve toujours ridicule quand je fais ça. Avoir recours aux sciences occultes quand on est désespéré, c’est compréhensible mais lamentable. Alors, pourquoi je me ridiculise sciemment ? Parce que ces tarots ne m’ont jamais menti. Ce n’est pas pour autant que j’en ai tenu compte car paradoxalement, je voulais croire encore que j’étais seule maîtresse de mon destin.
En ce qui concerne Walter, j’ai bien sûr fait un paquet de tirages, depuis le temps, mais sans que cela m’apporte un quelconque apaisement ou une clairvoyance particulière. Ce soir, j’hésite. Car si je redoute bien ce que je pressens, je m’interroge plus sur ma capacité à ne pas faire l’autruche… Allez, je me lance.
Je fais un seul tirage dit pyramidal. Moi en bas à gauche, lui en bas à droite et notre futur au milieu en haut :
Moi : Le Sexe > Frustrations, difficultés à exprimer sa nature, blocages, inhibitions.
Lui : L’Aventure > Nécessité psychologique destinée à forger le caractère.
Nous : La Fin > Rupture, crise, décalage, éclat, conclusion.
No comment.
Who’s Walter?
Some hell of a ghost!