Au moins, ils se sont fendus d’une réponse. Bon, il va falloir revoir mon prévisionnel car toujours sans boulot et avec ma mère qui va en EHPAD, ma situation ne sera certainement pas celle que j’avais prévue il y a deux mois.
9.00. Je profite de la fête du travail pour faire une demande de RSA. Je m’y suis résignée car je n’ai pas trop le choix. Si on me l’accorde, cela ne paiera pas mon loyer mais c’est mieux que rien. Et je reçois le message suivant :
42 balles, c’est la moitié d’un caddie de courses hebdomadaire chez Franprix. Du coup, me voilà frénétiquement à refaire mes petits calculs. J’ai une toute petite pelote, ma part de la vente de la maison de ma mère, que j’ai gardée en cas d’urgence comme celle qui se profile.
Donc, je tiendrai jusqu’à fin août. Je pourrai ensuite régler le mois de préavis de mon appartement et six mois de garde-meubles. Pendant ce temps-là, je planterai une tente dans le jardin de mon frère ou j’irai chez mes amis en Normandie qui me l’ont très gentiment proposé.
Voilà le worst case scenario. Allez, je prie pour que l’activité reprenne dans dix jours.
J’ai gardé contact avec le consultant qui m’avait accompagnée lors de ma création d’entreprises, on est même restés assez proches. Quand je l’ai appelé il y a quelques jours pour prendre de ses nouvelles et lui expliquer ma situation, il m’a suggéré avec malice :
Non, je ne peux pas aider de jeunes créateurs d’entreprises, je suis trop désabusée. Je serais un avocat du diable bien trop persuasif. La France, surtout en ce moment, ne s’en remettrait pas, économiquement parlant.
18.45. «… Sinon, je vais passer une annonce pour trouver quelqu’un qui voudrait bien venir avec moi en Bretagne pour une vie paisible avec la charge mentale la plus basse possible… »
Walter et ses envies d’escapade. C’est très tentant. Mais comme ce n’est pas la première fois qu’il a ce genre de lubies, je range son texto dans le répertoire ‘Fantasmagories stériles de Walter’ et j’essaye de penser à autre chose.
Peine perdue, je fouille dans mes archives et je tombe sur cette très longue lettre que je ne lui ai bien sûr jamais envoyée. Enfin, je crois. Datée d’il y a sept ans, un peu avant que je ne rencontre Kevin, elle n’est qu’un extrait du journal de bord que j’ai commencé à écrire dès notre rencontre le 17 février 2001 dans lequel je retrace nos échanges, nos textos à la virgule près. Une longue chronique sur plus de deux-cents pages que bien sûr je relis avidement.
Je suis médusée de redécouvrir cette photocopie littérale de nos échanges. Depuis tout ce temps, pourquoi l’ai-je conservée aussi religieusement? Etait-ce parce qu’à l’époque déjà, je savais que c’était tout ce que j’avais, que c’était la seule preuve de son existence dans ma vie ?
Ainsi, ces mots, les siens, les miens, me sautent au visage dans une déstabilisante vivacité. Notre histoire ressuscite littéralement au fur et à mesure de ma lecture. Je revis intensément ces montagnes russes, cette alternance de lumière et d’obscurité et mon cœur s’étreint.
Je savais que c’était une connerie à ne surtout pas faire en ce moment. Ça me fait mal. Pas trop besoin de ça en ce moment en plus de tout le reste mais bon, je ne m’en prends qu’à moi-même.
Car cette lettre, bien que symbolique, n’est qu’une des innombrables boucles qui constituent la spirale de notre histoire en se répétant à l’identique, à intervalles plus ou moins longs, sans que rien ni personne, certainement pas nous, ne puisse briser ce cycle infernal depuis plus de 19 ans.
Bref, le voilà, le grand plongeon que j’ai tant tardé à faire.
Jeudi 24 janvier 2013
« Je ne souhaitais pas être ‘gonflé’, j’étais juste épuisé. Je me suis couché de suite. Tu risques de te perdre ? Et de me jeter comme avant ? Je savais que ce que je te demandais n’était pas réalisable… Je voulais te prouver que je n’avais pas peur ! Et hop, encore une volée de bois vert ! Je ne dis plus rien car je sens que ça monte. »Tu le prends comme une ‘volée de bois vert’, un ‘volage dans les plumes’ dans les règles de l’art… C’est bien dommage. Je ne t’ai pas répondu. Et comme à chaque fois lorsque je ne te réponds pas de suite, tu m’as relancée par textos, comme si tu avais peur que je veuille rompre le lien.Puis, tu m’as appelée. J’ai dû sortir, il faisait froid dehors, j’étais congelée !On a parlé. Au début, tu te forçais à avoir un ton léger en évitant soigneusement d’aborder les points de discorde. Moi, je n’ai pas pu rester consensuelle, alors j’ai mis les pieds dans le plat. Là, le ton est monté, le tien principalement, puis tu as éclaté en sanglots, visiblement à bout de nerfs. On a fini par s’expliquer et ça nous a fait un bien fou, comme la pluie salvatrice d’un orage après une journée étouffante.
Ta demande de venir vivre avec toi tout de suite, c’était… pour me tester ! Pour voir si j’étais prête à faire le même grand saut que tu t’apprêtais à faire. Tu m’as ressorti que mon ex-mari avait tout quitté pour moi et que c’était une des raisons pour laquelle je m’étais mariée avec lui… Mais quel rapport avec nous ?! Pour toi, ce serait une preuve de mon engagement ? Que tu ne croiras à nous qu’à cette condition ? Je crois que c’est plutôt à toi de m’apporter cette preuve d’engagement.
Tu as pris mon refus pour ce qu’il n’était absolument pas, à savoir que je te rejetais, toi et tes enfants. Tu crois que je ne veux pas d’histoire sérieuse avec toi et tu me penses frivole, inconstante, ‘versatile’ pour reprendre tes termes… Mais bientôt douze ans et… je suis toujours là.
Je te l’ai fait remarquer et je t’ai rappelé que tu avais complètement occulté ma condition sine qua non pour cette vie à deux, à savoir qu’on s’aime d’abord et qu’ensuite seulement, je te suivrais au bout du monde. J’avais d’ailleurs bien insisté en t’envoyant le ‘mode d’emploi’. Ta voix a alors subitement changé et tu m’as répondu « C’est vrai… Comment ça se fait que j’oublie ce genre de choses ? » comme si d’un seul coup, la lumière se faisait en toi.
Moi, je sais. Tu prends le mors aux dents et tu fonces tête baissée vers un chiffon rouge imaginaire. A ce moment-là, tu ne vois plus rien d’autre. C’est très blessant. Au début, je ne comprenais pas mais aujourd’hui, je pense pouvoir dire que je te cerne mieux.
Alors, ce n’est pas si mal, hein ? Déjà, tu parviens à reconnaître tes torts et à t’excuser (à ta manière). Mais il reste du boulot ! Je t’ai dit que j’aurai la patience d’une amie fidèle pour t’accompagner mais mon amour saura-t-il résister encore longtemps ?…
Plus tard dans la soirée, toi :
– Es-tu masochiste ? Moi, je ne me supporterais pas 🙂
– Non. Tu peux être un vrai con, c’est vrai, et parfois je te déteste. Mais il y a du bon en toi, des étoiles, de la lumière et j’aimerais tellement t’aider à ce que tu ne voies plus que ça !
Vendredi 25 janvier 2013
– Merci pour le ‘vrai con’ lol. Non mais je peux t’expliquer et tu comprendrais tout. Mais en live alors ! Je ne veux plus te rendre triste. J’espère que tu me pardonneras.
– As always 🙂
Samedi 26 janvier 2013
– Bonjour. Tu aimes ? Il est beau, non ? » (en référence à la photo d’un bouquet de fleurs que tu venais de m’envoyer)
– Oui… A quand en vrai ? 🙂
– Soon, so soon.
Dimanche 27 janvier 2013
« Bonjour ! Comment vas-tu ? Ça a été hier ? Moi, drôle de soirée… »
Il faut savoir que mon week-end a été des plus mouvementés. A J-7 de ma première scène musicale avec force répétitions et réunions d’organisation, je n’ai pas eu une minute à moi… Et devant l’absence de réponse de ma part, tu m’as relancée vertement par texto en fin de journée :
« Alors ? Pas de nouvelles ?! »
Je t’ai alors répondu :
« Désolé mais je n’ai vraiment pas eu une minute à moi aujourd’hui. Je pensais aussi que tu souhaitais souffler quelques jours…»
J’ai imaginé que tu devais avoir besoin de me parler et que l’absence de réponse de ma part t’a frustré… J’ai effectivement un planning chargé en ce moment, et bizarrement, c’est toujours à ce moment-là que tu as besoin de moi et que je dois être disponible ! Je ne te dirai plus à l’avance mon planning, je verrai si tu le fais exprès ou pas !
Lundi 28 janvier 2013
– Bonjour ! Whaaa quel week-end ! Que fais-tu demain ?
– Je travaille un peu, pourquoi ?
– Je serai sur Paris de 10h à 16h.
– Pile poil ma plage horaire ! 🙂 Ensuite je suppose que tu iras récupérer tes filles ?
– Eh oui, pour 18h. Tu ne peux pas sécher ?
– Pas là, non, pas trop… Déjà que je fais des horaires raccourcis !🙂
– Je comprends, en ce moment… Tu déjeuneras où ? »
Se sont ensuivis quelques propos sur ta fille et son nouveau traitement, puis plus rien. En fin de journée, je t’ai envoyé un texto te disant que j’étais finalement dispo le lendemain matin et le midi… Pas de réponse.
Mardi 29 janvier 2013
Aucun message de ta part, rien… J’ai senti immédiatement que quelque chose n’allait pas.
« Bonjour, est-ce que ça va ? »
Ce à quoi tu as daigné répondre en fin de journée :
– Bonjour, oui ça va !
– J’ai eu peur… 🙁
– Pourquoi ?
– Parce que mauvaise intuition…
– Ah bon ?
– Tu n’as pas l’air dans une forme olympique tout de même, si ?
– Moyen. Mais je viendrai samedi.
– Puis-je te demander pourquoi ‘moyen’ ?
– J’aimerais qu’on me laisse, un peu.
– D’accord. Courage, bizooo.
– Je ne te repousse pas, bonne chance pour demain.
– Je sais. 🙂 »
Mercredi 30 janvier 2013
Pas de nouvelles. Bon, ça ne m’inquiète pas outre mesure vu que tu m’as dit hier. Mais ne t’avise pas samedi de me jouer l’Arlésienne devant ma mère et tous mes amis !
A vrai dire, je ne sais plus trop quoi penser. Il faut peut-être replacer tout ça dans le contexte : je suis à la veille de savoir qu’officiellement je n’ai plus de boulot et qu’il va falloir que je repense ma vie que j’ai mise, par la force des choses, en stand-by depuis quelques temps déjà. Je vis au jour le jour, j’essaye de ne pas trop penser, ça fait un peu roue libre dans ma tête en ce moment… Et la situation avec toi est du même acabit : en stand-by, en roue-libre, au jour le jour…
Bipolarité !
Ça fait un moment que j’y pense te concernant mais comme je ne suis pas psy, j’ai fait quelques recherches sur internet et je suis tombée sur cet article :
« … Le trouble bipolaire (ou trouble maniaco-dépressif, anciennement classifié sous les termes de psychose maniaco-dépressive (PMD) ou maladie maniaco-dépressive (MMD)) est un diagnostic psychiatrique décrivant une catégorie de troubles de l’humeur définie par la fluctuation anormale de l’humeur, oscillant de périodes d’excitation marquée (manie) à des périodes de mélancolie (dépression)… »
C’est ça ? Tu ne m’as jamais parlé clairement de ta ‘maladie’, je pense que tu as honte. Tu ne devrais pas.
Mardi 5 février 2013
Je ne sais pas par quoi commencer… Ces derniers jours ont été des plus extraordinaires, au sens propre du terme, surtout samedi… Que d’émotions ! Que de sensations fortes ! Et enfin, la révélation suprême… Décidément, le mois de février est notre mois !
Retour au jeudi 31 janvier 2013. Toi :
« Bonjour, j’espère que tu as de la voix pour samedi 🙂 Et ton travail, alors ? J’ai hâte de te voir sur scène ! »
Là, je t’ai envoyé ma feuille de calculs de mes indemnités de licenciement avec l’échéancier et le planning sur un an. Pour faire court, je serais en ‘vacances’ à partir d’avril jusqu’à décembre en conservant mon salaire et de solides indemnités à la clé.
– C’est bien ! Que vas-tu faire après ?
– Chaque chose en son temps, je pense.
– Que vas-tu faire de tes ‘vacances’ ?
– Acheter une voiture, me remettre en forme avec un coach sportif, écrire de nouvelles chansons, faire un tour dans le Montana…
– Ah, OK.
– D’avril à juin. Peut-être une formation à partir de septembre, je sais pas trop… Pourquoi, c’est pas bien ?
– Pas d’autre projet ?
– Vivre avec toi ?
– Si tu as une place dans ton programme ?
– Ce n’est pas un projet, ça se fera, c’est tout.
– Un projet de vie !!!
– Pour moi, c‘est juste un concept. Toi, tu vas devoir, c’est vrai, le mener comme un ‘projet’ avec un planning, des dead-line et des rapports d’activité. Mais on arrivera bien à se rejoindre en fin de compte, non ?
– Je vais dans le Montana ?
– Hein ?
– Laisse tomber.
– Laisse tomber quoi ? Je sais que tu n’es pas bien en ce moment.
– Non mais je ne vois pas au loin…
– Au figuré, je suppose ? Ce n’est pas grave. A regarder trop loin, on ne voit pas où on met les pieds et on trébuche. Je sais que tu as un besoin viscéral de te projeter et de tout cadrer à l’avance. Mais souffle un peu !
– Non mais tu vas me laisser, oui !
– De quoi tu parles ?! Honnêtement, je ne vois pas ce qui t’angoisse autant. Pour l’instant, je suis là, je t’aime et je n’aime que toi. Profite ! 🙂
– On n’a pas les mêmes idées.
– Sur ? La dernière conversation qu’on a eue n’a servi à rien, apparemment… 🙁
– Oui.
– Alors, bonne soirée, bizoo.
– « On aura le temps de se prendre un appart, de s’installer, de profiter de vacances !!! » Ça c’est bon !
– Qui dit ça ? Toi ? Tu connais, je l’espère, ma seule condition. Si oui, j’avais espéré qu’on pourrait vivre ensemble à la rentrée.
– Ce que tu aurais pu dire… Je n’y crois pas.
– Je te le dis.
– C’est la première fois !
– Tu n’as pas bien écouté (ou lu) alors. Je n’ai pas dévié d’un iota, j’ai toujours été très claire, me semble-t-il.
– OK ! C’est moi. A samedi, alors ?
– Of course !
– Je me ferai discret.
– Pourquoi ?
– Je préfère.
– C’est-à-dire que tu te mettras dans un coin et que tu ne parleras à personne ? Woww
– Où est le problème ?
– OK, si tu le sens comme ça. Tu as peur de quoi ? De mes amis ? De ma mère ? 🙂
– Je veux te voir chanter ! C’est tout.
– J’ai bien compris mais que feras-tu en attendant ? Parce que le show commence à 14h mais on ne sait toujours pas à quelle heure on passe et si on fera un ou plusieurs passages… Donc, si tu restes dans ton coin, tu risques de t’emmerder un brin.
– Ah bon ? Ca ne sent pas bon, tout ça…
– De quoi ?
– Le plan !
– Pour toi ?
– Yep
– Eh bien ne viens pas ! Si tu ne veux rencontrer personne et faire ton clandestin, ce n’est pas la peine.
– OK je souhaite juste te voir chanter !
– Non.
– Mais comme tu voudras.
– C’est bon, là, tu m’as fait mal.
– Mais non! Je te dis que de rencontrer ton monde d’un coup n’est pas évident.
– Fais comme tu veux.
– OK salut.
– Comment veux-tu que je me projette avec toi alors que tu n’existes même pas ?! Tu n’es qu’un fantôme et apparemment, tu tiens à le rester ! Tu ne pouvais pas me faire plus mal.
– Super… 🙁 Bon écoute, tu seras avec moi ? Si tu es avec moi, OK !!!
– Tu pensais quoi ? Que j’allais te poser dans un coin et t’ignorer tout le reste du temps ??
– Désolé. Bon, tu es fâchée, c’est normal. Je serai là !
– Je ne suis pas fâchée, j’ai mal, c’est pas pareil.
– Je serai là ! J’ai eu mal aussi il y a quelques temps !
– Et alors ? C’est un prêté pour un rendu ?
– Ca va pas ?! C’est pour dire qu’on est con, parfois. A plus tard. C’est chiant, ces embrouilles ! On fait quoi, alors ?
– On fait quoi quoi ?
– Tu as envie de continuer ?
– Nous deux ?
– Oui.
– Avec un fantôme, non.
– Et tu veux me présenter comme quoi ? Un fantôme ?
– Je pensais tout simplement : « Je vous présente Walter. » Et pas à tout le monde !
– Comme un ami, alors.
– J’ai imaginé que tu serais mal à l’aise si je disais plus que ton prénom. Que voudrais-tu ?
– Je suis super mal de venir. Alors, juste le prénom, c’est bien.
– Si tu es mal, ne viens pas.
– Ah bon ? As you want… Tu veux que je vienne ou pas ?
– Je ne veux pas que tu sois mal.
– Tu veux que je vienne ou pas ?
– Fais comme tu veux, je t’ai dit.
– Tu t’en fous, maintenant !
– Si c’est pour que tu sois mal, je n’ai pas envie.
– Et si je ne viens pas, c’est fini, c’est ça ?
– C’est bien, tu fais les questions et les réponses.
– Evidemment que je vais venir ! Mais c’est bizarre que tu ne me dises pas qui il y aura, tout ça…
– Tu m’as demandé une place, je t’ai pris une place, après tu me dis que tu viens mais qu’en fait c’est comme si tu n’étais pas là car tu te cacheras. Après tu me demandes d’être avec toi mais que tu seras mal, je ne sais plus sur quel pied danser ! Moi aussi, je suis mal, maintenant. Honnêtement, ce n’est ce dont j’ai besoin en ce moment. Alors je vais essayer de faire de mon mieux sur scène, je leur dois. Et toi et moi, on va faire simple : tu viens, tu ne viens pas, on avisera.
– Ah super ! Je t’ai demandé comment me procurer une place, c’est tout.
– Peu importe, ça me faisait plaisir de te la prendre. Je ne peux pas faire plus simple.
– OK, on avisera.
– Tu veux savoir qui il y aura ? Pour savoir à quoi t’attendre ? Si ça peut te rassurer, personne ne te cuisinera et les rares personnes auxquelles je pourrai te présenter seront heureuses de te rencontrer.
– Tu ne m’as rien demandé !
– Demandé quoi ? Si tu voulais que je te présente ? Je n’avais pas ça bille en tête, non. Je me suis dit, s’il vient, s’il le veut, oui. J’avais l’intention de faire les choses sans calcul.
– Ce sera très bien. »
Puis, le lendemain, tu m’as appelée. On a eu à nouveau une longue conversation. J’ai alors compris ton appréhension, c’est juste que je n’avais pas pensé que cela pouvait être une présentation officielle. Je t’ai rassuré en te disant qu’il fallait laisser les choses se faire d’elles-mêmes et que tout irait bien.
Puis, tu m’as dit vouloir rompre. Parce qu’on n’était pas sur la même longueur d’ondes, parce qu’on ne voulait pas les mêmes choses, parce qu’on n’avait pas les mêmes projets de vie. Cela ne m’a pas surprise. Ni même anéantie. Car quelque part au fond de moi, je le voulais aussi. Je ne voyais pas d’issue à notre incompréhension mutuelle qui dure depuis bientôt douze ans.
Mais je ne sais pas pourquoi, je t’ai travaillé au corps, comme on dit, je t’ai poussé pour que tu me dises tout ce que tu avais sur le coeur, pour que tu ailles au bout de ta pensée laquelle pour moi, même si elle était loin d’être concise, devait néanmoins s’exprimer.
Comme à ton habitude, tu m’as sorti un méli-mélo de questions et d’interprétations diverses, sans aucune réponse ni de conclusion particulière. J’ai alors haussé le ton :
« Ecoute-moi bien car c’est la dernière fois que je te le dis. J’aurais préféré te le dire en face mais tant pis, ce sera au téléphone.
Je suis prête à vivre avec toi, avec ta petite famille mais pas tout de suite à cause de TA SITUATION ! Je pensais rencontrer tes enfants en juillet lors, si c’est possible, d’un voyage pour les vacances. Bien sûr, tu aurais divorcé d’ici là. Puis, vers septembre-octobre, je pensais oui qu’on pourrait s’installer ensemble.
Sache une chose me concernant : je n’ai qu’une parole et je ne m’engage JAMAIS à la légère. Si je m’engage, j’y vais à fond, de tout mon coeur, sinon je ne m’engage pas.
Ce que je t’ai dit, ce que je t’ai écrit, je le pense. Ne remets plus jamais en doute ma parole.»
Tu as semblé tomber des nues, comme si je prononçais ces paroles pour la première fois… Bref, on s’est dit à demain.
Et le lendemain est arrivé. Moi, j’avais le trac chevillé au corps et j’ai été à la bourre dès lors que j’ai ouvert les yeux. « Journée de merde ! » me suis –je dit en imaginant le pire, comme ma piètre prestation sur scène, ma déception de ne pas te voir et notre méga-embrouille à la clé…
Mais il n’en a rien été.
Voici d’ailleurs ce que je t’ai dit le soir : « Je crois qu’aujourd’hui, c’était le plus beau jour de ma vie. »
A un moment donné sur scène, sous les applaudissements, j’ai regardé mes amis, ma mère, je t’ai regardé toi et j’ai ressenti alors un bonheur immense m’envahir : c’était la photo parfaite, je n’ai jamais été plus heureuse qu’à ce moment-là !
Tout le monde me l’a dit : j’étais radieuse, lumineuse, ivre de bonheur, je rayonnais littéralement !
Et tu n’étais pas caché derrière un poteau à me regarder de loin, non, tu étais assis à la même table que mes amis et de ma mère à parler, à faire connaissance le plus simplement du monde. Comme si tu avais trouvé ta place, naturellement.
Je t’ai guetté un peu vers 12h30 mais comme on me réclamait pour la balance-son, j’ai dû me résigner à quitter la porte d’entrée des yeux… Tu es alors arrivé en catimini, tu m’as glissé dans le cou « Bonjour… » et moi, j’ai fondu !
On ne s’est quasiment pas quittés. Tu t’es installé à mes côtés à table et je t’ai présenté à tout le monde très simplement… Tu t’es rapproché de moi, tu as eu ces gestes d’affection qui ne mentent pas et tout naturellement, je me suis lovée contre toi… C’est ça qui est fou : tout s’est fait le plus naturellement du monde, on ne pouvait pas être plus à l’unisson qu’à ce moment-là !
On s’est pris en selfie, toi et moi, puis mes amis ont proposé de faire des photos de couple, ce qui ne t’a pas effrayé, bien au contraire ! Et lorsque je t’ai présenté à d’autres amis qui ont instamment demandé qui tu étais pour moi, même l’hésitation que j’ai pu avoir n’a rien entaché, je dirais même qu’il a provoqué l’inattendu : tu m’as embrassée devant eux en disant « Comme ça, c’est clair ? » !
Mes amis m’ont dit que c’était une évidence flagrante que tu étais fou amoureux de moi car tu ne me quittais pas du regard, tu étais plus qu’attentionné… Sur une des photos de ‘couple’, ça se voit, tu me regardes avec tellement de choses dans les yeux…
A table, tu t’es même targué de vouloir prendre un appartement avec trois chambres au moins, une pour nous, une pour tes filles et une pour… Je me suis arrêtée, je t’ai regardé, tu avais cette lueur mi interrogative, mi amusée dans les yeux… Tu as abordé ce sujet devant tout le monde, sans contrainte, naturellement une fois encore… Et même si mes amis faisaient semblant de s’intéresser à autre chose, crois-moi, ils ont bien entendu ! Ils n’en revenaient pas !
Puis, il y a eu le spectacle… Même si j’évitais de te regarder par peur d’être déstabilisée, je pouvais sentir ton regard qui ne me quittait pas une seule seconde. J’avais presque hâte que ça se termine… pour te retrouver. Même si je savais que c’était aussi synonyme de ton départ.
Je t’ai raccompagné, on a discuté un peu, tu m’as dit avoir passé une merveilleuse journée et je n’ai pu qu’approuver… On s’est embrassés et tu es parti… C’était un déchirement ! On rompait par la force des choses ce lien sublime qui nous avait unis cet après-midi-là…
Lundi, je t’ai envoyé les photos de nous…
– Oh my God ! Trop belle !
– Merci ! Oui, j’aime beaucoup ces photos !
– Moi aussi !
– Voilà, diaporama opérationnel sur mon ordi, je ne vois que toi désormais ! 🙂 Ça me rend heureuse !
– Je te tél vers 15h ?
– Ah vi ah vi !
– Comment tu m’as trouvé ? Triste ? Fatigué ? Dis-moi !
– Un peu, certes. Mais je t’ai adoré comme tu étais !
– Car on me le dit souvent, en ce moment…
– Quel est l’avis qui compte le plus ? 🙂
– Tu es trop adorable !
– C’est un mot que tu n’as jamais employé pour moi… Ce sont mes amis qui ont déteint sur toi ? 🙂
– Je vais prendre soin de moi, faire ce qu’il faut !
– Yes, my love.
– Quand je t’ai revue il y a plus de deux ans, tu semblais fanée… Et là samedi, tu brillais de mille feux !!!! Incroyable !
– In my wildest dreams, I never would have thought that I could have been so happy !!! Thank you so much, my love ! C’est bizarre, après être montée si haut dans le ciel, je m’attendais à une dépressurisation sévère mais le fait est que je me sens délicieusement bien, sur un nuage, j’ai confiance en moi, en toi et je veux que jamais ça ne s’arrête !! »
Tu m’as appelée. On a à nouveau parlé longuement. Si longuement que tu n’as pas vu l’heure passer et que tu étais en retard pour aller chercher tes filles à l’école. Ça parait anodin mais c’était la première fois que tu ‘oubliais’ l’heure, toi qui d’habitude est réglé comme un coucou !
On a reparlé de samedi, bien sûr, tu as voulu savoir ce que mes amis et ma mère avaient pensé de toi… En fait, cela t’obsédait presque, comme si leur avis pouvait changer ta vie. Puis, on a reparlé de l’appartement avec trois ou quatre chambres… Je t’ai dit que provisoirement, deux chambres pouvaient très bien suffire et tu m’as dit :
« Je le reconnais, c’est ça que je n’arrive pas à me mettre dans la tête : provisoire !!! »
Enfin, la conversation est arrivée sur mes deux ex-maris… Toi :
– On dit jamais deux sans trois…
– C’est une demande formelle ???
– Peut-être…
– On va peut-être attendre que tu sois divorcé quand même, non ? De même que pour faire un bébé… Là tout de suite, ça la ficherait moyen, tu ne crois pas ?
– Euh oui, c’est vrai !
Tu as semblé vraiment étonné, tu me l’as dit d’ailleurs. Moi qui ne voulais plus entendre parler de mariage et encore moins d’enfants, je semblais à tes yeux transfigurée ! Mais c’était à l’époque où moi-même je n’étais pas encore divorcée et où je devais faire le deuil d’une relation stérile. Bref, la vie change, les choses et les gens changent, j’ai changé…
Oui. Depuis samedi surtout, tout a changé.
Mardi 5 février 2013, donc.
Toi : « Bonjour, ma belle. »
On s’est mis à papoter de choses et d’autres, de choses simples, anodines et pragmatiques comme un vrai couple. On a parlé de mon boulot notamment et de mon instance à être licenciée avec un gros chèque, on a parlé de ta demande de congé exceptionnel… Moi :
– Ce serait marrant d’avoir trois mois de congés en même temps !
– Oui, pour faire des travaux !
– Où ?
– Tous les apparts sur le marché sont pourris… Du provisoire OK mais pas du camping ! »
Ça commence à faire son chemin dans ta tête, on dirait… Et plus tard dans la soirée, toi :
– Je ne suis pas très bien, les larmes au bord des yeux sans raison. Il n’y a qu’à toi que je puisse dire ça. Ce sera mieux demain !
– Je suis avec toi 🙂
– Ne t’inquiète pas, ça m’arrive ! Love
– Ce n’est peut-être pas le moment mais je voulais te dire que je suis prête, vraiment. Je te prends comme tu es, en entier. Je nous veux maintenant et pour toujours. Je l’ai compris samedi.
– Pourquoi samedi ?
– Je ne sais pas, je l’ai ressenti très fort, c’est tout.
– Moi aussi, je voulais que ça dure indéfiniment !
– Oui, pareil…
– Je me suis dit « C’est ce que j’ai toujours voulu »
– Moi, j’ai ressenti au fond de moi comme une lumière, une véritable révélation ! Je sais, je suis mystique 🙂
– Tant mieux ! Imagine l’inverse !
– Tu veux dire si je n’avais pas ressenti ça ? Pour la toute première fois, toi et moi sommes sur la même longueur d’ondes, à l’unisson !
– Je suis amoureux ! »
On s’est vus le vendredi suivant. J’étais plus que jamais perchée sur mon nuage, heureuse et confiante… La magie a opéré une fois de plus, j’ai ouvert les bras et tu t’y es lové sans l’ombre d’une hésitation.
On a parlé, encore et encore. Du samedi bien sûr, mais aussi de l’avenir, de NOTRE avenir… On était bien, seuls au monde dans ce petit restaurant, comme si rien d’autre n’existait. Puis, tu as du partir, on s’est quittés devant la bouche de métro dans laquelle tu t’es engouffré en un éclair, me laissant quelque peu perplexe, vu la vitesse à laquelle tu as disparu…
J’ai su immédiatement, j’ai ressenti comme une pointe dans le coeur. Mon nuage était en train de se désagréger. Et ce mauvais pressentiment s’est confirmé le soir même : pas un seul message de ta part, encore moins un appel, le vide sidéral.
Malgré cela, je t’ai envoyé les deux photos que j’avais prises de nous deux avec « I love You » mais je n’ai eu de retour de ta part, si ce n’est quelques messages laconiques du style « Bonjour, grosses pensées ! » ou « Je crois que j’ai la grippe ! »…
Moi, j’étais chez ma mère ce week-end-là pour l’anniversaire du décès de mon père. Déjà, ce n’était pas un contexte joyeux et je crois la neige n’a pas fait qu’envahir le jardin mais mon coeur aussi. Pour de bon.
En rentrant le dimanche soir, je n’ai pu m’empêcher de t’envoyer ces mots :
« Oui, je suis bien rentrée après un week-end triste comme tu as pu t’en douter mais pas que…
En effet, c’était même assez surréaliste, j’ai fait mon ‘coming-out’ officiel à propos de toi auprès de ma famille mais aussi auprès de mes amis… Depuis toutes ces années et il n’y a pas si longtemps encore, je préférais te garder dans mon jardin secret. Là, je t’ai fait sortir au grand jour. C’était une sensation très étrange, forte et douce à la fois. Ça s’est fait naturellement, une fois encore, sans obligation.
Je ne te cache pas que j’ai eu droit à un interrogatoire en règle de la part de certains mais globalement, c’était très positif, n’aie plus aucune crainte ! Et tout ça parce que nous avons enfin franchi le seuil du concret. Moi, surtout. Avant, c’était de l’abstrait, du fantasme et aujourd’hui, c’est devenu une réalité.
Alors, oui, il reste du chemin à parcourir mais je suis heureuse de m’y engager avec toi. Maintenant qu’on marche du même pas dans la même direction, je sens, je sais que tout ira pour le mieux et que notre bonheur n’est qu’à quelques pas devant nous. Je t’aime. »
Ce à quoi tu as répondu presque immédiatement :
– On t’a posé des questions ? lol Ta mère ? Tes amis ? Terrifiant !
– T’es censé dire « Je t’aime aussi »…
– J’en suis coi, en fait.
Et dès le lendemain matin, à la minute où j’ai ouvert les yeux, le sentiment sourd et poisseux que j’avais soigneusement éludé quelques jours auparavant est revenu me tancer, plus fort que jamais. Et j’ai dégringolé de ce qui restait de mon nuage. Une chute vertigineuse et un atterrissage fracassant. Toi :
– Bad trip today…
– Toi aussi ?
– Ah bon ?
– Oui, depuis que j’ai ouvert les yeux.
– Le Service me propose un poste en province…
– En Bretagne ? Et tu me dis ça le jour où je suis le moins glop ! 🙁
– J’ai pas dit oui !
– Mais t’as pas dit non. Ça te trotte dans la tête depuis un bout de temps. Je peux comprendre, si tu penses être plus heureux comme ça…
– C’est un ‘retour’ d’une ancienne demande ! Oublions ! Tu es sombre, toi…
– Pas du tout. Enfin, pas plus que ça. Mais maintenant qu’on parle, toi et moi, je sais que tu envisages ce ‘retour aux sources’ mais qu’il signifie aussi ne pas être avec moi. Crois-moi, je suis navrée que tu aies ce dilemme.
– Ma note est si basse que ça ?
– Ta note ?
– Oui, celle que tes amis m’ont donnée, pour que tu dises ça ?
– Arrête ta parano, s’il te plaît. Que je te dise quoi ? Je ne peux pas être plus compréhensive et quelque part, je suis malheureuse de t’imposer ce choix.
– Excuse-moi, ce n’est pas le jour !
– D’ailleurs, l’as-tu vraiment fait ce choix ?
– Quoi ???
– Oui, je te demande si tu as fait le choix de rester sur Paris pour être avec moi ou si tu as encore quelques velléités à partir en province.
– Stop, s’il te plaît ! Tu me cherches ? Pas aujourd’hui.
Je savais bien au fond de moi que cela ne pouvait pas durer. Mais j’avais tellement envie d’y croire ! Me voilà revenue à la cruelle réalité, aussi glacée qu’une lame de couteau !
Puis, tu m’as appelée. Je suis encore restée dans le froid dehors pendant près d’une heure. Encore une de ces conversations où j’ai dû te pousser dans tes retranchements, où les mauvaises interprétations et les explications de texte ont foisonné pour finalement s’étouffer dans un goulot d’étranglement, sans que ni l’un ni l’autre ne soit rassuré un tant soit peu.
On s’est écharpés, on a reparlé de rupture, tu m’as dit que ton amour pour moi t’asphyxiait ! Tu m’as dit que je te mettais la pression encore et encore et que même si, quelque part, tu en avais besoin pour avancer, ce n’était pas pour autant évident à gérer.
Oui, c’est vrai, vendredi quand on s’est vus, je t’ai demandé de venir à la soirée anti-St Valentin à laquelle j’allais avec mes amis et que comme le 17 février suivait, j’ai souhaité que tu restes avec moi sur quatre jours. Je t’ai dit que si tu devais partir de chez toi, c’était le meilleur moment, car symbolique à l’extrême, mais aussi parce qu’il fallait bien que ça arrive un jour ou l’autre. Tu n’as ni acquiescé, ni refusé. Comme à ton habitude.
Dans quelques jours, notre histoire aura 12 ans.
Je t’ai dit que je n’avais pas envie de passer cet anniversaire seule comme toutes les autres fois, que je voulais le passer avec toi. Si tu me faisais faux-bond cette année encore, je t’ai dit que je ferais certainement un week-end avec mes amis pour ne pas rester seule ou que je prendrais la route, certainement vers ma plage comme il y a deux ans.
Alors oui, pression. Même si ce n’était pas mon intention. Mais comme à chaque fois que j’attends quelque chose de toi, tu le ressens comme une pression incommensurable. A ce moment-là, tu déclines, tu fuis, et je n’ai plus que le goût amer de la déception dans le coeur.
Je t’ai demandé de venir à cette soirée du 14 et de rester avec moi ce week-end du 17 février car j’avais espoir, les choses ayant tellement changé entre nous ces derniers temps, que tu puisses enfin avancer.
« Vas-y, fais ton week-end avec tes amis et si je peux, je me viendrai me greffer. »
Je n’aime pas ces conversations qui se tiennent sur un ring de boxe, même si, je le reconnais, elles permettent de dire haut et fort ce qu’on pense. Et à force de t’acculer dans les cordes, tu finis toujours par cracher le morceau, à commencer par les raisons – quand il y en a – de tes ‘descentes dépressives’…
Là, en l’occurrence, il y en avait deux.
La première est que tu étais sur le point de faire toi aussi ton ‘coming-out’ complet auprès de tes parents. Tu voulais leur dire que tu m’aimais et que tu restais à Paris pour moi, que c’était ton choix. Tu as cherché toute la journée comment leur dire, tu as ruminé, tu as essayé d’anticiper l’affrontement inévitable et ça t’a tordu les boyaux en te plongeant dans un état proche de la catatonie.
Je t’ai dit alors ceci :
« Tu veux savoir ce que j’ai dit à ma mère ? Elle émettait quelques réserves sur notre histoire, des réserves de mère qui s’inquiète pour sa fille, c’est légitime. Elle l’a déjà fait par le passé mais je n’en tenais pas compte. Mais là, je lui ai dit : Il y a des choses qui sont négociables avec moi et il y en a d’autres qui ne le sont pas. C’est lui, c’est l’homme de ma vie, j’y peux rien et crois-moi, j’ai bien essayé qu’il en soit autrement ! Maintenant qu’il y a une vraie chance pour que lui et moi ça fonctionne, je ne laisserai rien ni personne se mettre en travers de notre chemin ! C’est mon choix, ma décision, je sais à quoi je m’engage et aucun avis autre que le mien ou le sien ne rentre en ligne de compte. »
Tu as semblé admiratif, en tout cas, cela t’a interpellé…
Enfin, la deuxième raison… et quelle raison !!! Tu m’as sorti tout-à-trac que tu n’avais pas digéré le fait qu’à la soirée après le show j’ai dansé complètement saoule avec des hommes dont un qui s’est comporté un peu limite avec moi, tu m’as hurlé que tu ne voulais pas entendre ce genre de choses et que ça te gangrénait depuis le moment où je te l’avais dit, soit il y a dix jours ! Si c’est pas avoir un métro de retard !
C’est de ma faute, comment ai-je pu penser que je pouvais tout te dire ? Que tu pouvais tout entendre ? J’ai éclaté de rire, nerveusement et ça a fini par détendre l’atmosphère. Tu as même ri avec moi.
Bref. On a raccroché. Tu m’as rappelée ensuite plusieurs fois, comme si de rester sur des quiproquos te cramait sur pied.
– J’avance à petits pas comme un chat, en essayant de ne rien faire tomber… C’est trop magique ce que tu m’as dit hier ! Et puis, je ne suis pas maniaco-dépressif ni bipolaire ! Je suis juste un imbécile qui a peur de ses sentiments…
– On en reparlera, d’accord ? Parce que par tchat, on sait que ce n’est pas l’idéal.
– J’ouvre mon coeur, c’est tout.
– Parce qu’il était fermé ?
– Sous protection !
– Si tu restes sous ton blister, on n’est pas sortis de l’auberge ! 🙂
– Je faisais l’inverse ! Je t’aime.
– C’est pas trop tôt. Lol
– You still love me ?
– Yes I do. Ca fait très formel. 🙂
– Tu es bizarre… Remonte sur ton nuage !
– Vas-y, fais-moi la courte échelle !
– Tu doutes, je le sens ! On est connectés…
– Douter de quoi ? Ne projette pas tes doutes sur moi.
– De moi. Car je n’ai pas été comme j’aurais dû…
– Qu’attends-tu ?
– De poser ma brosse-à-dents.
– Ca fait un bail que je l’attends ! Tu peux la poser en intérim, en attendant…
– Lol Bonne nuit ! Demain, mon ‘coming-out’ ! On a été con, aujourd’hui, non ?
– Plus toi que moi.
– Euh OK moi, en fait ! Bon, une petite courte échelle et au lit ! Dors bien sur ton nuage, mon amour ! »
Mardi 12 février 2013
Tu m’as appelée. Tu semblais dans de bonnes dispositions… Moi, passablement encore dans la brume de notre dernière conversation et pas spécialement dans une grande forme physique… Mais j’ai pris la décision de prendre les choses plus légèrement. Je me suis dit qu’on aurait encore bien des occasions de s’écharper, alors autant profiter des moments de trêve…
Tu es parti bille en tête avec une diatribe sur tous les aspects pragmatiques de ta future vie, seul et avec moi, comme ton budget mensuel, l’organisation au quotidien, mon incorporation dans le planning quotidien… Tu as voulu connaître chaque détail, savoir comment je concevais notre vie à deux dans ses moindres recoins, par exemple si j’étais prête à aller chercher tes enfants à l’école, quel était mon budget courses du mois, si j’étais de nouveau encline à vouloir acheter un jour un appartement etc.
Je t’ai répondu le plus sincèrement possible, même si je pensais que c’était un peu prématuré. On a reparlé des enfants que toi et moi on souhaiterait avoir, de l’organisation de la vie de tous les jours, je t’ai laissé faire…
Le fait est que j’étais un peu sur la réserve car hier, j’ai senti quelque chose se briser en moi. Je crois que ces hauts et ces bas ont fini par me retourner le coeur. Parfois je te sens prêt à franchir le pas mais l’instant d’après, tu repars dans une autre galaxie où je n’ai pas ma place…
Alors, je me donne une dernière dead-line : je t’attends encore jusqu’à juin mais si on en est toujours au même point, je mettrai un point final à notre histoire.
Mercredi 13 février 2013
Toi, le matin :
« Bonjour, je ne viendrai pas demain. Je ne peux pas. »
Toi, le soir :
« T’as pas un psy sous la main ? »
Devant mon absence de réponse, toi :
« Et un dîner à deux ? »
Jeudi 14 février 2013
Tu es passé dans l’après-midi. On a parlé, on a fait l’amour et tu es reparti. Tout semblait, selon tes dires, plus clair pour toi, désormais.
Tu as pleuré dans mes bras, tu as exprimé ton mal-être, la maladie qui t’oxydait, ton impossibilité à prendre ta vie en main, à faire des choix et à les imposer, notamment à tes parents qui te mettent une pression folle pour que tu reviennes vers eux, en Bretagne…
Je t’ai écouté, j’étais là. Mais en tant qu’amie. Car au fond de moi, je sentais que l’amante commençait à prendre de la distance.
Et je suis partie en soirée. Et tu m’as manqué.
Vendredi 15 février 2013
Toi :
« Tu sais, j’ai réfléchi, je souhaite partir en province. Je suis vraiment usé… Mais je prie pour que l’on reste des amis car tu comptes pour moi. »
Deux jours avant nos 12 ans.
Je t’ai demandé de m’appeler, je trouvais que c’était plus décent d’en parler de vive voix. Ce que tu as fait.
Je t’aurais suivi au bout du monde et tu le sais, si seulement si on avait eu un morceau de véritable histoire, quelque chose de concret. Mais tout plaquer pour te suivre alors que toi et moi on n’avait rien vécu ?!
Il y a un an, tu en parlais déjà. Il y a un an, je te disais de partir, de penser à toi, de te refaire une santé mentale et physique, à la campagne, n’importe où… Je te le redis.
Accepte cette offre de mutation.
C’est pour septembre ? Que vas-tu faire en attendant ? Régler ton divorce, loger chez un ami une fois votre maison vendue, préparer ton retour en Bretagne ?
Tu voudrais continuer à me donner des nouvelles et en avoir des miennes ? Je ne sais pas. Tu voudrais qu’on se voie ce soir ? Non, moi je ne veux pas.
Tu me souhaites d’être heureuse ? Je te le souhaite aussi.
Tu pensais que je ne m’y attendais pas ? Oh que si. Quelque part, ça me libère. Mais ce n’est pas pour autant facile à encaisser. Car je sais que cette fois-ci, c’est la bonne. C’est le point final qu’on a mis tant de temps à mettre.
Mais promets-moi une chose : si un jour tu rencontres quelqu’un, ne lui fais jamais subir ce que tu m’as fait subir. Car très franchement, je crois qu’il n’y avait que moi sur Terre pour accepter ça et continuer de t’aimer.
Je t’aimerai toujours, je le sais. Mais j’ai fini de t’attendre.
Adieu.
Un adieu que je ne lui ai pas signifié, pensant que mon silence parlerait de lui-même. Même si je l’avais fait, je ne suis pas sûre que cela ait changé grand-chose. Il a donc repris contact quelques mois plus tard. Et bien sûr, j’ai répondu. Avais-je en tête de lui laisser une dernière chance ? Bref, on s’est revus. Il n’était pas reparti en Bretagne. Etait-il resté pour moi ? Je ne sais pas, je ne lui ai pas demandé.
Je venais juste de rencontrer Kevin. Et le contraste a été assez flagrant pour que je perde patience très vite devant le même statut-quo vers lequel on se dirigeait. J’ai mis alors un terme définitif à notre histoire, cette fois-ci bien clairement, et j’ai tenté ma chance avec Kevin.
Sept ans après, qu’en est-il ? Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que notre histoire est restée figée tel quel. Lui comme moi voulant l’autre désespérément tout en étant incapable de s’en donner les moyens. Lui comme moi essayant d’oublier, de tirer un trait mais ne parvenant, au final, qu’à construire un autel à notre histoire inachevée que l’on a érigée au rang de mythe.
Ainsi, on s’est revus encore une fois, un an après ce semblant de point final que j’avais mis. Comme ça, en amis. Rencontre étrange, si tant est que l’on puisse parler de rencontre. C’était plutôt un test : pouvions-nous rester de simples amis ?
On a voulu y croire, lui comme moi, avec par la suite quelques textos par-ci par-là pour prendre des nouvelles. Il voulait partir à l’étranger, il avait changé de job, il semblait avoir trouvé la paix et moi, je lui confiais déjà que je regrettais cette aventure du restaurant avec Kevin…
Je lui ai même demandé de me pardonner. Je lui ai avoué qu’il n’avait pas quitté mes pensées. En fait à l’époque, j’avais l’impression de m’être trompée de vie, que tout ce que je vivais, j’aurais dû le vivre avec lui. Et bien sûr, l’enfer que je vivais avec Kevin et le restaurant n’a fait que renforcer mon terrible regret de l’avoir évincé.
Et plus j’essayais de me rapprocher de lui, plus il devenait distant. Jusqu’à disparaître complètement le 10 mai 2017. Plus aucune nouvelle. Je savais qu’il ne lui était rien arrivé de grave mais qu’il avait peut-être enfin réussi à m’oublier.
Nous n’avons jamais été sur la même longueur d’ondes, lui et moi, on a toujours loupé le coche. La preuve, encore.
Je ne l’ai pas relancé. Je me suis résignée. J’ai même tenté de sauver ma relation avec Kevin. Mais c’était peine perdue. Cela a même empiré. Jusqu’à ce soir de novembre 2018 où j’ai voulu en finir en avalant ma boîte de somnifères. Et peu après, il a repris contact.
D’une certaine façon, il m’a aidée à remonter la pente. J’avais de nouveau de l’espoir. Infime, comme une lumière faiblarde au bout du tunnel. Je lui ai alors raconté mon enfer, les raisons de mon geste et je l’ai remercié de m’avoir donné une raison de continuer. Et petit-à-petit, on a recommencé à tisser un lien…
Bien fragile, toutefois, car exclusivement par textos. Je lui ai demandé un jour de m’appeler mais je me suis faite si vertement rabrouée que je n’ai pas insisté. J’étais si blessée que j’ai arrêté de répondre à ses textos. J’ai essayé, du moins.
J’ai toujours fini par craquer, m’en voulant toujours après coup d’alimenter la virtualité de notre relation qui reprenait alors son cours comme si de rien n’était. Il m’a écrit de très belles choses, cependant, des choses que j’aurais bien gardées si une manipulation malencontreuse de ma part ne les avait effacées. Un acte manqué ?…
Bref, il a repris exactement là où l’on s’était arrêté six ans plus tôt. Il n’a eu de cesse de me demander si j’étais prête à venir habiter avec lui car il envisageait à nouveau un grand appartement avec plusieurs chambres et tout le tralala. Mais quand je lui ai dit que j’avais un gros bagage, ma mère en l’occurrence, ça l’a freiné. Je lui ai dit que de toute façon, tant que le restaurant n’était pas vendu, je ne pouvais aller nulle part.
Et cela nous a menés jusqu’à l’été dernier où il est venu déjeuner au restaurant. Un moment très bizarre. En le servant comme un client lambda, je n’ai pas pu échanger grand-chose à part des banalités et quelques regards troublés. On s’est quand même promis de se revoir bientôt, mais ailleurs. Un, deux puis trois rendez-vous ont été fixés et systématiquement, il les a annulés.
Et puis, j’ai fait ce rêve où venant tout juste de s’engager auprès de moi, il disparaissait littéralement sous mes yeux en se désintégrant dans l’air. Je me suis réveillée en sursaut, je savais que c’était prémonitoire. Effectivement, le lendemain il m’a envoyé un texto d’adieu en me demandant pardon.
Ma mère était alors en soins intensifs à l’hôpital, je croulais sous le boulot et la paperasse générée par le redressement judiciaire qui venait d’être prononcé, j’étais au bord de l’implosion. Autant dire que j’aurais bien eu besoin à ce moment-là d’une épaule pour pleurer. Aussi, quand j’ai reçu son texto, je n’ai rien su faire d’autre que de rire nerveusement. Et au fond de moi, je savais que je ne pourrai lui pardonner cette ultime défection.
Deux mois ont passé. J’avais accueilli ma mère chez moi, Kevin avait déménagé et j’étais déjà de plain-pied dans mon nouvel enfer quand il est réapparu. Par texto, bien entendu. Je n’ai pas répondu. Et j’ai tenu aussi fort et aussi longtemps que je le pouvais. Mais devant ses incessantes relances, j’ai craqué.
Je ne lui pardonnais pas pour autant mais couper le lien qu’il tentait de renouer était au-dessus de mes forces. Je ne lui ai rien expliqué de ma situation, je lui ai même écrit que s’il voulait vraiment avoir de mes nouvelles, il n’avait qu’à m’appeler. Ce qu’il n’a pas fait, bien entendu. Je lui ai dit aussi pour la liquidation du restaurant, on a échangé un peu sur le sujet par textos. Et puis voilà.
En prenant un peu de distance, je ne peux aujourd’hui qu’assumer ma part de responsabilités. Moi aussi, j’ai joué à ce jeu. Moi aussi, j’ai été insaisissable. Comme lui, j’ai éludé, j’ai navigué entre deux eaux, je n’ai pas été franche du collier et je n’ai pas apporté de pierres solides pour construire notre relation.
Je n’ai fait que l’attendre, l’aimer et le maudire tout en même temps. J’aurais pu moi l’appeler mais tout comme lui, je n’ai jamais pu. On s’est mis tous les deux dans une impasse, mais chacun d’un côté du mur en attendant que l’autre le franchisse.
Ce que je ressens ? Pour être honnête, je ne sais plus trop. Je sais que j’ai toujours mal de me retourner et de m’apercevoir qu’il n’est pas là. J’ai toujours mal lorsque je rêve de lui. Parfois, ces rêves sont tellement intenses qu’ils hantent toute la journée le moindre de mes regards, la moindre de mes pensées, me laissant dans un abîme de tristesse lorsqu’ils s’éteignent le soir venu.
D’une façon générale, j’ai toujours mal de son absence dans ma vie. Et j’ai mal d’espérer encore.
Même si je sais aussi qu’il n’est qu’un fantasme magnifié par toute cette absence. Je sais qu’il faudrait que je me fasse une raison. Ce n’est pas pour rien que je me suis faite tatouer il y a sept ans un phénix géant dans le dos avec écrit « I shall rise from your ashes »…
Je l’aime toujours. Jamais je ne pourrai me défaire de lui. Il est mon addiction, ma faiblesse, ma malédiction, mon élixir de vie et mon poison dans un même flacon. Même si je suis condamnée à voguer entre ombre et lumière toute ma vie, il restera en moi jusqu’à mon dernier souffle.
Depuis la toute première seconde où nos regards se sont croisés. Un coup de foudre instantané qui aura changé ma vie à tout jamais.