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DES CERISES

… My life is perfect, so you believe
Are you that stupid ’cause I strongly disagree
I’m not a martyr, more like a thief
Your rules are twisted and they don’t affect me !
There ain’t nothin’ in this world for free
There’s not a man, not a man I believe
Give a rat’s ass what you think about me
I’ll dot your I’s and cross your fuckin T’s !…

Five Finger Death Punch à fond dans la Clio chargée jusqu’au plafond hier, direction l’EHPAD et Toto pour déposer les premières affaires de Maman. De chanter à tue-tête la musique à fond et de retrouver mes anciens réflexes de conduite, même si pas forcément glorieux vu que j’ai toujours conduit comme une délinquante de la route, bah ça m’a fait un bien fou. Et je déteste toujours autant les femmes en Twingo qui freinent autant qu’elles accélèrent et qui mettent leur clignotant à droite pour tourner à gauche.

Mercredi 3 juin 2020 – DECONFINEMENT J+24

J’ai toujours aimé conduire. Partout, sauf à Paris. Je crois que je l’ai fait trois fois dans ma vie, contrainte et forcée. Faut regarder à gauche, à droite, devant, derrière, au-dessus, les sens uniques sinon tu refais un tour gratuit… Faut faire gaffe aux scooters, aux vélos, aux trottinettes, aux piétons qui traversent en dehors des clous le nez vissé sur leur portable, bref, on a les yeux partout sauf sur la route. Sans parler de se garer.

Non, je préfère la route, la vraie. J’aurais pu être routière. J’aime bien les camions et j’ai déjà les tatouages. Mon record : seize heures d’affilée pour faire l’aller-retour Denver-Durango dans le Colorado en passant par les Rockies et trois tempêtes de neige !

Dernièrement, j’étais un peu frustrée niveau conduite routière, je ne faisais que trimballer ma mère en mode ‘ambulance’ où l’aiguille dépassait rarement les 30 km/heure. Et avant cela, pas le temps, pas l’argent pour une escapade quelconque, donc ce petit tour hier m’a fait le plus grand bien.

Lundi, j’ai bien fait les cartons que j’ai réussi, mais à quel coût, à fourrer dans la voiture. En effet, j’y ai laissé un tibia et mes deux bras. Le tibia est resté sur l’escabeau duquel je n’ai pas manqué de dégringoler en voulant attraper une caisse de photos perché sur une armoire, quant aux bras, notamment les coudes, déjà mal en point depuis quelques temps, ils ont fini par décéder après le troisième carton, celui des bouquins…

J’ai donc pris la route hier avec les deux derniers Nurofen que j’ai dénichés au fin fond de mon sac et laissé mon frère et ma belle-sœur s’occuper du déchargement pendant que je bullais sur leur terrasse. Cela a parfois du bon d’être handicapé.

J’ai fait le tour de leur jardin, ravie. Rat des villes depuis des lustres, je ressens néanmoins un immense plaisir à chaque fois que je me mets au vert. Et là, j’ai eu la totale : les gazouillis des petits oiseaux dans les arbres, l’air pur, les salades fringantes dans le potager et le cerisier regorgeant de fruits. Et même pas la tondeuse du voisin !

C’était aussi l’anniversaire de Maman que j’ai appelée avec Toto. Je ne sais pas si c’est son téléphone à l’hôpital qui est pourri et/ou sa surdité qui s’aggrave mais elle a cru que l’on venait la chercher… Ça m’a fait peine.

Puis, nous sommes allés rencontrer la directrice de l’EHPAD qui nous a fait visiter l’établissement sur son Ipad. On a pu voir cependant les extérieurs qui étaient très agréables, fleuris, au calme… Un environnement idéal pour une convalescence, ce dont j’ai fait part à la directrice.

  • Je dois faire le point avec les médecins mais s’il s’avère que l’état de ma mère ne s’améliore pas, pouvez-vous l’accueillir quand même ? Elle sera mieux ici plutôt qu’à l’hôpital.
  • Oui, on peut faire une réservation.
  • Comme sur RB&B ?…

J’ai eu un bon feeling, Toto également. Le personnel nous a semblé très gentil et dévoué, les résidents n’avaient pas l’air d’être maltraités, on avait même l’impression qu’ils étaient contents d’être là. Bref, on a tablé sur fin juin au max.

Je suis repartie tard dans la soirée, saluée par les grillons qui s’en donnaient à cœur joie dans la lavande. Le cœur rempli d’espoir et le coffre plein de cerises. J’ai regagné mon petit appartement citadin qui du coup m’a paru bien exigu, après cette journée au grand air.

Surtout avec le tas de cartons et de sacs en vrac dans le salon déjà prêts pour l’acte II du déménagement samedi.

Je suis revenue avec une petite extinction de voix aussi … Pas à cause des courants d’air mais à force de brailler sur System Of A Dawn sur la route du retour. Kevin aurait été ravi, le heavy-metal étant un des rares points que j’avais en commun avec lui.

Bref, j’attends ce dernier justement d’un instant à l’autre pour aller vider mon garde-meubles et m’aider à réaménager l’appart, en tout cas, pour ce qui nécessite la force de deux bras vaillants. Comme de repasser mon lit dans la chambre. Après plus de deux ans de nidification dans le salon, il va falloir que je me réhabitue à finir ma nuit à côté. Mine de rien, c’est un sacré changement.

16.00. Vu qu’il fait 30°, la terrasse en-dessous est en pleine effervescence. Déjà hier soir en rentrant vers minuit, j’ai vu qu’il y avait du monde. Il va donc falloir que je réacclimate mes oreilles à ce bruit de ruche mais là, ça me soûle alors je ferme les fenêtres et je mets en route le ventilateur fraîchement récupéré de mon garde-meubles.

Profitez bien car demain, c’est la Toussaint et vous ferez moins les malins avec vos anoraks et vos moufles. Une belle vacherie que la météo, n’est-ce pas ? Mais une aubaine pour mes oreilles.

Il a bien bossé, Kevin. Il a eu pitié de mes bras en carton et il a ramené tout seul l’intégralité de mon garde-meubles. Il a également évacué les trois mètres cubes de ce que j’ai jeté et poussé les meubles en deux coups d’épaules. Je lui dois une fière chandelle. Toute seule, cela m’aurait pris jusqu’à Noël.

On a fait une petite pause-déjeuner sur un bout de table et on s’est mis à papoter. Lui, surtout. Surprenant, car si moi je suis un bulot, lui c’est une bernique en temps normal. Bref, on a parlé entre autres de sa recherche de job, il m’a dit notamment qu’il envisageait un retour dans son pays d’origine car il aurait quelques opportunités… Ce serait l’occasion ou jamais. Mais comme il faut un visa permanent et la maîtrise un tant soit peu de la langue, ce n’est pas un voyage à faire sur un coup de tête.

Je suis contente pour lui. C’est quelque chose dont il a besoin. L’aboutissement d’une longue quête. Je comprends, même si cela m’est complètement étranger. Je n’ai jamais ressenti cet appel de la mère-patrie qui pour moi ne l’est pas.

Est-ce parce que moi j’ai été adoptée lorsque j’étais bébé et que je n’ai aucun souvenir ? Rien de franc, en tout cas. Ma mère m’a dit que j’avais juste peur des avions dans le ciel et que je courais me cacher sous la table en me bouchant les oreilles. Mais était-ce bien une réminiscence et non une peur légitime pour une fillette de deux ans ?…

J’ai bien fait quelques recherches sur mes origines vers mes trente ans. Jamais auparavant je n’avais ressenti ce besoin, j’étais d’ailleurs plutôt dans le rejet. Il aura fallu un extrait à la télé de la comédie musicale Les Dix Commandements et cette chanson Mon Frère :

« … Chacun avec sa peine… Que le temps nous apprenne… A nous aimer… En frères… »

Je me souviens m’être figée devant la télé, ces mots résonnant à l’infini et soudain cette question s’est mise à hurler en moi : était-ce parce que j’avais été adoptée que je ne connaissais pas cet amour filial inconditionnel et si demain je rencontrais quelqu’un de mon sang, le ressentirais-je enfin ?

J’ai déterré alors mon dossier d’adoption que mes parents m’avaient donné à mes dix-sept ans. Déterré, c’est bien le terme. Car lorsque je l’ai eu en mains la première fois, j’ai fait une sorte de fracture d’identité et je suis partie en cacahuète. Fugue, abandon de l’école et dérives en tout genre…

J’ai mis du temps à m’en sortir. Mais quelque part, ce qui m’a empêchée de me perdre définitivement a été mon enfance ultra-heureuse. J’en ai toujours puisé une force, même, surtout, je dirais ! dans mes heures les plus noires, pour me relever, pour me battre, pour vivre. Le seul rocher indéboulonnable dans cet édifice sans fondations sur lequel je me réfugiais au moindre tremblement de terre.

Je me suis reprise en main et j’ai enfoui ce dossier, source de tous mes maux selon moi, au fin fond d’un carton et même s’il a suivi toutes mes pérégrinations depuis lors, je ne l’ai jamais rouvert. Jusqu’à ce jour devant la télé et cette stupide comédie musicale.

Tout ce que j’avais pu lire jusqu’à lors était une traduction sommaire du rapport de l’orphelinat et pas grand-chose sur mon abandon. J’ai alors traduit l’intégralité de mon dossier et fait quelques recherches en contactant certains organismes sur place.

Ainsi, j’ai découvert que ma mère biologique avait seize ans lorsqu’elle m’a eue et qu’une fille-mère dans ce pays rétrograde en matière de droits de la femme – qui l’est toujours, d’ailleurs – n’avait d’autre choix que de m’abandonner. Elle vivait dans les bidons-villes, près de la base militaire américaine. D’où ma peur des avions, peut-être. Et la cicatrice de brûlure sur mon épaule droite est le résultat d’un incendie qui était monnaie courante dans les bidons-villes où l’on s’éclairait à la bougie.

C’était certainement une prostituée et pas par choix. Je ne peux qu’imaginer sa détresse lorsqu’elle s’est retrouvée enceinte de moi. Bref, je suis née dans une poubelle. Littéralement. Elle a accouché accroupie sur un tabouret. Cependant, elle ne s’est pas débarrassée de moi immédiatement, elle a essayé mais sans ressources, elle n’a pu faire autrement que de me donner à l’orphelinat lorsque j’ai eu un an.

Un autre facteur très important dans cette décision, c’est le fait que je n’étais pas une ‘pure race’. En effet, ce n’est pas très clair mais il est fait mention que j’ai dû avoir un géniteur aux origines occidentales pour moitié. Mes traits, en grandissant, l’ont confirmé. Peut-être la base militaire américaine à proximité ?…

Je n’ai jamais eu d’illusions, je ne me suis jamais dit que j’étais une princesse qui avait été enlevée à des parents aimants. D’être le bâtard non-désiré d’une jeune fille prostituée n’était pas pour autant ce à quoi je m’attendais mais cela ne m’a pas révulsée, bien au contraire, cela m’a apaisée et j’ai pu pardonner à cette femme qui n’a vraiment pas eu de chance et qui, d’une certaine façon, m’a sauvée.

Toute ma vie, j’ai fait ce rêve où cachée à l’orée d’un bois, je regarde la vie d’un petit village se dérouler en contrebas. Une femme s’en vient vers moi, je sais que c’est ma mère même si elle n’a pas de visage. J’ai envie de sortir du bois et de courir vers elle mais je ne peux pas, quelque chose me retient. Je ne fais que fixer son ventre vers lequel je tends les mains sans jamais pouvoir le toucher.

A la suite de ces révélations, j’ai refait ce rêve une seule fois. Et là, je suis sortie du bois, je suis allée vers elle et son visage est apparu. Un sourire heureux et triste à la fois, pas de larmes. Et j’ai enfin pu toucher son ventre.

Ça a été le déclic, il était temps pour moi de retourner au pays. Je suis allée directement à l’orphelinat qui n’en était plus un mais la chapelle baptiste dans laquelle j’avais été amenée était, elle, toujours là. Pour moi, c’était mon ombilic, mon point de départ.

Et seule pendant deux heures dans cette grande salle surannée au décor rococo, je lui ai parlé. Et j’ai pu faire la paix.

« … Me pardonnes-tu ma colère toutes ces années ? As-tu pensé à moi ? T’es-tu demandée si j’étais heureuse ?

J’ai grandi tant bien que mal avec ce trou immense dans mon cœur. Je n’étais qu’un fantôme de moi-même. Je tendais les doigts vers le miroir mais je ne me voyais pas. Je me suis construit une carapace à toute épreuve, tout en sachant que le danger viendrait de l’intérieur.

Peur d’imploser. Peur de lâcher la bride à mes émotions et qu’elles me submergent, peur de m’y noyer sans bouée de secours. La peur surtout d’aller jusqu’au bout de moi-même et de ne pas savoir en revenir. Peur de t’aimer, sans retenue et sans regret.

Aujourd’hui, je te pardonne. Car tu m’as sauvé la vie en me confiant à des gens qui m’ont aimée de toutes leurs forces. Alors du fond du cœur, merci… »

De ne pas faire de recherches plus poussées a souvent été mal interprété, notamment par d’autres adoptés qui pensaient que j’étais lâche. Eux qui n’avaient de cesse de retrouver leur famille biologique en mettant tous leurs problèmes existentiels sur le dos de leur abandon, ils avaient du mal à comprendre que je me suffise d’un simple retour au sol.

Je leur ai répondu que c’était ma quête à moi que personne n’avait le droit de juger. Je leur ai dit aussi que c’était peut-être eux les lâches, en ne prenant aucune responsabilité dans ce qui n’allait pas dans leur vie. Qu’un visa permanent n’était pas un passeport pour le bonheur pour autant.

Tous ces jugements à l’emporte-pièce, tout ce pathos, ces regards de chiens battus ont fini par me soûler et je me suis éloignée.

C’est un très beau pays qui mérite vraiment d’être découvert, touristiquement parlant. Je ne pourrais y vivre, c’est trop aux antipodes de ce que j’ai connu jusqu’à lors. Je ne me suis jamais sentie autre chose que Française. Bourguignonne-Normande, plus exactement. Une fille du terroir, du cru. C’est comme ça, la greffe a prise. Seul le Montana peut rivaliser dans mon cœur.

J’ai de plus un regard particulier sur l’adoption en général. Pendant longtemps, je disais que j’avais été choisie sur catalogue puis apportée par une grosse cigogne aux ailes de fer qui, de nos jours, aurait pu s’appeler Amazon. C’est à peu près ça dans les faits, mais comment faire autrement ?

Non, le plus gros reproche que je puisse faire, c’est aux destinataires du colis, ceux qui passent commande. Commander un enfant, avec peut-être tous les traumas qui l’accompagnent, ce n’est pas comme de commander un jeu-vidéo ou un lave-vaisselle : il n’y a pas de notice, pas de SAV et pas de bon de retour. Plus grave, il n’y a pas ou très peu d’enquête sur l’habilité psychologique à devenir parents.

Même pour faire un enfant naturel, je pense qu’il faudrait un permis, plutôt qu’un passe-droit.

Bref, moi j’ai eu une chance incroyable d’avoir été adoptée par des gens aimants car je me suis rendu-compte, au fil de mes rencontres dans cette association, que ce n’était pas la majorité ! Certains ont été carrément maltraités, abusés : comment peut-on faire cette démarche censée être remplie d’amour si l’on est plein de haine et de perversité ?

Je pense que les adoptants devraient passer des tests psychologiques plus poussés qu’un QCM d’une heure avec un psy d’opérette et une formation sur ce qui les attendra inévitablement, à savoir comment gérer et accompagner un enfant déraciné en quête de ses origines.

Certains de ces adoptants vont jusqu’à gommer complètement l’identité de l’enfant et lui cacher son dossier d’adoption, voire lui mentir sciemment. Ils lui martèlent qu’il n’a qu’un seul pays et qu’il doit être reconnaissant, que sans eux, il serait mort. Ils prennent toute question, tout embryon de recherche, ne serait-ce que de se rapprocher d’une association d’adoptés, comme une trahison suprême. Certains même vont jusqu’au chantage :

« Tu choisis : nous qui t’avons sauvé la vie ou eux qui t’ont jeté dans le caniveau ! »

L’adoption, pour moi, est tout sauf altruiste. C’est une démarche égocentrée et bien trop souvent inconsciente. Comme de faire un enfant naturel, d’ailleurs. On assouvit un désir biologique, on essaie de s’accomplir, de se dépasser mais très rarement, on se met à la place de l’enfant. Quelle déception, quelle cuisante défaite lorsque ce dernier avoue qu’il aurait préféré rester dans sa misère, si tel était sa destinée et que de changer le cours naturel des choses n’a fait de lui qu’une âme en peine, une coquille vide, un arbrisseau déraciné qui pourrit sur pied…

Là aussi, j’ai eu une sacrée chance d’avoir des parents qui m’ont accompagnée comme ils ont pu sans jamais me renier, même dans les pires moments de ma révolte. Ils ne comprenaient pas, comment auraient-ils pu, mais ils n’ont jamais cessé de m’aimer et de me souhaiter tout le bonheur possible.

C’est grâce à eux, à leur amour, que j’ai pu réchapper à tous ces tourments. Cela a toujours été très clair pour moi, je n’ai eu qu’une seule maman, qu’un seul papa, qu’un seul pays mais dans mon cas, personne ne m’a lavé le cerveau.

Je suis peut-être l’exception qui confirme la règle. Même si au fond de moi, je reste fataliste : si j’étais restée dans mon bidonville, je serai déjà morte certainement. Mais bon, sur les milliards que l’on est sur terre, cela s’appelle la sélection naturelle.

17.00. Il faudrait que je commence à ranger, à trier. Mais comme je sais que je vais y passer la nuit et que mon courage s’est carapaté en même temps que l’effet de l’ibuprofène de contrebande que ma belle-sœur m’a refilé, je remets ça à plus tard. En l’occurrence, à vendredi car demain je vais voir Maman à l’hôpital et faire l’état des lieux de sortie de mon garde-meubles.

23.00. Ça me fait bizarre de me traîner, mon somnifère avalé, du lit de ma mère réhabilité en banquette devant la télé jusque vers mon lit dans la chambre. Bien sûr, je ne manque pas de laisser mon deuxième tibia, le valide, sur un carton qui traîne dans le passage…

Ainsi, allongée dans le noir, les yeux grands ouverts, j’essaye de ressentir la présence de ma mère qui dormait, il n’y a pas si longtemps encore, à la place exacte où je suis. Mais je ne ressens rien. J’imagine que d’avoir évacué ses affaires y est pour quelque chose.

EMPATHIE vs SYMPATHIE

 

– Bonjour, j’ai des papiers à faire signer à ma mère, impôts et assurance, je peux la voir ?

  • Oui, on va vous équiper car il ne faut pas que vous lui ameniez des microbes.
  • Pas de problème ! Attendez… Oh mince ! J’ai oublié les papiers dans mon autre sac ! Je suis trop nulle !

Gros moment de solitude, hier après-midi.

Dimanche 31 mai 2020 – DECONFINEMENT J+21

Maman ne m’a pas reconnue, elle m’a prise pour un chirurgien avec ma blouse, mon masque et ma charlotte. Bref, elle ne se lave toujours pas, pas plus qu’elle ne change de linge, vu les deux pauvres culottes sales que je récupère, elle ne mange pas plus qu’avant, bref, elle est toujours aussi fatiguée et aussi déboussolée que lorsqu’elle est partie aux urgences il y a deux semaines.

Et cela devient de plus en dur pour moi de la voir comme ça. J’essaye de la convaincre qu’elle ira mieux bientôt et que le pire est derrière elle mais je m’aperçois qu’en fait, c’est moi que j‘essaye de convaincre. Alors, encore une fois, je ne fais pas de vieux os et je me sauve avec le mini sac de linge sale.

Je n’en reviens toujours pas pour ces papiers ! Avant de partir, je les ai bien glissés dans la poche arrière de la malle-cabine qui me sert de sac à mains mais en soulevant ce dernier, vu la trotte qui m’attendait, je l’ai troqué avec un petit sac à dos et bien sûr, j’ai oublié de reprendre ces satanés papiers.

J’étais perturbée. Sûrement. Depuis le matin quand j’ai reçu le texto de Nénette qui m’annonçait le décès de son beau-père. Connaissant l’affection qu’elle lui portait, cette nouvelle m’a frappée en plein cœur car je pouvais ressentir sa peine. A tel point que j’ai éclaté en sanglots. Et cette tristesse ne m’a pas quittée de la journée. Ma pauvre Nénette !

Du coup, je m’interroge : est-ce parce que le barrage a cédé dernièrement que je pleure désormais pour un oui ou pour un non ou est-ce mon don d’empathie qui s’amplifie ? On m’a dit dernièrement que j’avais certainement aussi le don de ‘sympathie’ car au-delà de ce que je ressens, je suis maintenant très affectée, comme si cela m’arrivait à moi… Avant, le malheur, la tristesse, la noirceur que je pouvais ressentir chez les gens ne m’atteignaient pas. En tout cas, pas comme ça.

C’est très étrange, dérangeant même et je me demande bien ce que je vais pouvoir faire de ce ‘don’ encore plus inutile que le premier.

14.30. J’ai enfin terminé le ménage sur Facebook. J’y ai passé la soirée d’hier soir et toute la matinée aujourd’hui. C’est pour moi que je l’ai fait car je me doute bien que les gens s’en foutent et ont autre chose à faire que de fouiller dans mon passé virtuel. Ainsi, j’ai quasiment effacé sept ans de photos et de vidéos qui ne voulaient plus rien dire.

J’ai désormais un profil narcissique comme tout le monde. Je me sens mieux, plus légère.

J’aurais peut-être dû opérer en plusieurs fois car cela m’aurait laissé le temps de faire autre chose, comme de commencer les cartons… Mais le Monk qui est en moi ne m’a pas lâchée d’une semelle et m’a littéralement vissée devant mon ordi pour terminer ce que j’avais commencé. Obsédée, incapable de passer à autre chose.

Et maintenant que la journée est bien entamée, une flemme énorme me tombe sur le paletot. Je regarde le pyjama que j’ai toujours sur le dos, les cartons encore pliés et les quelques babioles que j’ai commencé de rassembler, je tâte les muscles de mes jambes qui pâtissent encore de ma promenade à l’hôpital d’hier… Et je décrète que je serai mieux en croix devant la télé.

C’est calme, dehors. Pas comme hier. Avec la réouverture du parc, c’était la kermesse sous mes fenêtres : pique-niques dans l’herbe haute pas tondue, apéros sur les bancs, frisbees, foot, rodéos de mobylettes, voitures vitres ouvertes et musique à fond… Pauvres canards ! Fini le bon temps où vous aviez le parc pour vous tout seuls !

Mais j’y pense… la terrasse du restau en-dessous de chez moi va rouvrir bientôt ?! Et merde. Je n’y peux rien, ça finit de me saper le moral. Du coup, j’ai envie d’un bon gros bain moussant. Je crois que le dernier remonte à plus de quatre ans ! Et comme j’ai enlevé le siège de douche pivotant de ma mère qui mangeait toute la place dans la baignoire, je n’ai plus d’excuses.

Oui oui, demain, je ne fais que ça : les cartons.

DECRIVEZ-VOUS…

 

« … Il s’agit d’une self-made woman au parcours atypique, une enthousiaste pleine de ressources qui s’adapte à toutes sortes de situations sans jamais se départir de son positivisme… »

Paradoxal, une semaine après mon roulage en boule.

Jeudi 28 mai 2020 – DECONFINEMENT J+18

Bref, aujourd’hui, concentration maximale sur mon cv. L’activité semble repartir et mes contacts se sont bien activés. Mimine, surtout, une vraie coach ! Au programme : phrases d’accroche et définition de mes objectifs. Parce que ce n’était pas très clair. J’avoue.

L’exercice est très dur pour moi qui déteste me mettre en lumière comme ça. Mais essentiel. Donc, ça donne ça :

ASSISTANTE DE DIRECTION / OFFICE MANAGER

bilingue anglais

Forte d’un parcours atypique qui révèle une richesse et une variété de compétences me permettant de gérer toutes sortes de situations, je sais définir mes objectifs et les atteindre avec une appétence sans équivoque pour l’excellence. D’un naturel équilibré entre énergie et stabilité, entre autonomie et travail d’équipe, je suis proactive, investie mais également organisée et structurée, le multi-tasking étant un challenge que j’aime particulièrement relever !

Je dois dire que je suis assez contente de moi. Je suis allée chercher loin en moi les ressources nécessaires pour me remettre en selle et dresser un portrait éloquent et ma foi, percutant sans être mégalomaniaque.

Ça m’a faite sortir de ma torpeur mentale dans laquelle, je dois bien l’avouer, je m’étais confortablement installée. Du coup, ça me donne envie de gros ménage. Sur Facebook, d’abord, en écoutant le premier ministre dérouler sa phase 2 du déconfinement.

Chouette, on pourra bientôt gambader librement par monts et par vaux au-delà de 100 km. J’appelle donc l’EHPAD et Toto pour confirmer le rendez-vous de visite mardi prochain. J’en profiterai pour amener déjà quelques cartons. Ce que je réussirai à descendre au parking et à faire rentrer dans ma Clio. Pas gagné, avec mes petits muscles amorphes, ça va me prendre des plombes et je n’ai absolument pas commencé le moindre carton. Va falloir que je me secoue.

Appel de la médecin de l’hôpital.

  • Alors, l’EHPAD dans quinze jours, c’est peut-être prématuré car on préfère la monitorer encore quelques temps puis l’envoyer en convalescence.
  • Ah bon ? Votre assistante sociale m’a appelée hier pour me demander si un placement en EHPAD avant le 13 juin était possible, faudrait savoir.
  • Au cas où, mais nous sommes sceptiques. Comme son taux de plaquettes continue de baisser, si elle a le moindre choc, elle sera incapable de coaguler, le pire serait une chute sur la tête, vous comprenez pourquoi. D’autre part, même si nous l’avons mise en isolement sous antibiotiques, ses défenses immunitaires restent insignifiantes et le moindre rhume pourrait lui être fatal.
  • Votre assistante sociale m’a également dit qu’au-delà de 150 km du domicile, il n’y avait pas de bon de transport en ambulance. Donc, vu que c’est à 178 km, ce sera à moi de l’emmener à l’EHPAD au moment venu. Je voulais savoir : je devrai l’envelopper de papier-bulle ?…

JE NE ME SOUHAITE A PERSONNE

 

– Votre maman refait de la température et ses globules blancs sont toujours très bas alors nous la renvoyons à Ambroise Paré ce midi.

J’appelle Toto dans la foulée pour qu’il prenne ses dispositions si l’arrivée en EHPAD est retardée. On maintient quand même le déménagement au 6 juin et si besoin, il stockera les affaires de Maman chez un ami à lui qui a un grand hangar.

Mardi 26 mai 2020 – DECONFINEMENT J+16

Je le savais bien. Ils vont la garder deux mois, ça va faire comme à Pompidou il y a sept mois où ils n’arrivaient pas à expliquer sa fièvre intermittente et encore moins à trouver les bons antibiotiques.

Bref. Ce qui me tracasse en revanche, c’est son état de propreté. Dimanche, je suis allée lui porter un sac entier de linge propre et l’infirmière m’a donné en retour une culotte et un bas de pyjama dans un état immonde.

  • Maman, tu te laves au moins ?
  • Je me fais une toilette de chat…
  • Tu n’as pas pris de douche depuis une semaine ?!
  • Bah j’ose pas demander de l’aide…
  • Il faut ! Et change de culotte, s’il te plaît !

Quand j’en parle au personnel soignant, on me dit qu’elle s’est bien lavée, sur stimulation certes, mais qu’elle est toute propre. Bon, elle ne se rappelle même plus et elle baigne dans sa crasse. Ça aussi, je m’en doutais.

Mon roulage en boule aura duré deux bons jours. Je n’en suis pas tout-à-fait sortie, je suis encore en mode demi-hérisson. Malgré cela, j’ai réussi à faire ce que j’avais mis de côté depuis un bout de temps. Un bon coup de pied aux fesses auto-administré.

Ainsi, j’ai eu ma doctoresse en téléconsultation pour renouveler mon Stilnox parce que j’ai fini mes deux boîtes et entamé mon stock secret. La droguée et son dealer. On en a profité pour parler de ma mère qui est une des causes de mes insomnies récalcitrantes.

Je dors de façon anarchique en ce moment, parfois six heures d’affilée, parfois par tranches de deux heures, parfois pas du tout et ce, même avec deux cachets dans le buffet. Ma doctoresse ne désespère pas de me faire décrocher un de ces jours, moi non plus car j’ai bien réussi une fois…

Je me rappelle que je voulais littéralement faire le tour de la terre pour avoir un tel jet-lag que mon horloge biologique aurait bien fini par se caler d’elle-même sans aucune aide chimique. Je voulais rallier en premier le Montana puis descendre sur San Fransisco, ensuite Hawaï, le Japon, les îles Fidji, la Nouvelle-Zélande et la Nouvelle-Calédonie…

Bon, je suis allée au plus rapide et au moins cher : j’ai arrêté un soir de prendre mon petit cachet oblong. J’ai morflé quelques jours ensuite puis je m’y suis faite. J’étais fière de moi. Ce que je ne savais pas alors, c’est qu’un sevrage brutal n’est jamais anodin et peut avoir des répercussions longtemps après. Ainsi, cela a certainement dû participer à mon break psychotique effectivement quelques mois plus tard…

Bref, ce n’est pas le bon moment pour réessayer. Mais j’ai bien peur que ce ne soit jamais le bon moment, alors…

J’ai également envoyé le mail de résiliation pour mon box au 9 juin et traité différentes paperasses qui traînaient dans ma corbeille. Je suis allée faire quelques courses, dont les cartons pour le déménagement, au grand Auchan dans lequel je n’avais pas mis les pieds depuis trois mois.

L’avantage de faire les courses à Franprix, c’est qu’on n’est pas tenté d’acheter des conneries. Comme le Gym Form Total ABS qui trône désormais à côté de la Wii dans mon salon. Je me suis dit qu’avec le retour des chips, il allait bien falloir deux armes pour vaincre mes derniers capitons…

Comme je me sens passablement stupide avec mes électrodes sur le ventre, j’en rigole au téléphone avec mes amis dont je salue l’optimisme à toute épreuve :

  • C’est chouette, ton truc, tu peux faire du sport et mater une série en même temps !

Mes amis sont mes petites bulles d’oxygène. Heureusement qu’ils sont là et qu’ils m’aiment toujours, même dans le ridicule !

J’ai surtout enfin retouché mon cv, surtout la dernière expérience professionnelle. Quand je l’ai écrite début mars, j’étais encore imprégnée du restaurant donc pas très objective et encore moins factuelle. Aujourd’hui, c’est propre et concis. J’espère.

J’ai aussi réactivé sérieusement mes contacts, répondu à plein d’annonces et créé un compte sur plusieurs sites de recrutement. Je me suis faite violence car je déteste les petites cases à cocher pour se décrire et décrire ses objectifs. Je déteste tout autant les questions à choix multiples qui jamais ne proposent le choix ‘Autre’… Je déteste être définie par la somme de petites croix dans les bonnes cases. Ou les mauvaises. Je déteste n’être pas plus complexe qu’un grille-pain.

Ça me rappelle Meetic. Qu’est-ce que j’en avais bavé pour me créer un profil ! Au final, ça ne ressemblait à rien et je passais un temps infini à expliquer mes petites croix dissidentes à des mecs pour la plupart déroutés qui finissaient par fuir à toutes jambes.

Je ne me rappelle pas trop, d’ailleurs, pourquoi j’avais fait cette démarche. J’imagine que c’est parce que je me sentais seule à ce moment-là et que j’avais besoin de parler. Ça a parfois débouché sur des embryons de relations, plus charnelles qu’émotionnelles, ce qui m’allait bien.

En fait, j’ai longtemps collectionné les relations éphémères. Trois mois, c’était ma durée légale. Ne jamais m’investir. Ne jamais être déçue. Abandonner avant d’être abandonnée. Héritage de ma toute petite enfance.

Puis un jour, je me suis mariée. Sur un pari. Du style ‘chiche, pas chiche’. Oh je l’aimais, Bradley, pas de doute mais je n’avais aucune idée de ce que je faisais, ni même de ce que je voulais. Je me disais fantasque et romanesque alors que j’étais con et inconsciente !

Bref, j’ai mis une année entière à savoir dire ’nous’ et la suivante à me faire à l’idée de redire ‘je’… Une première audience de divorce un 14 février et quelques jours plus tard, je rencontrais Walter qui était lui sur le point de se marier.

Quelques années et une longue traversée du désert plus tard, je me suis remariée. Avec Sean. Un collègue de bureau. Je l’aimais lui aussi et je pensais que cela mettrait un terme définitif à mon histoire avec Walter qui m’avait bien étrillée.

Mais cela m’a menée à un deuxième divorce. Ce qui m’a fait reconsidérer sérieusement ma vie sentimentale. Je n’étais peut-être pas faite pour le mariage ? Je sais qu’il ne faut jamais dire ‘jamais’ mais je crois que je suis vaccinée.

Quand j’ai besoin de victimiser, je me dis que je n’ai pas eu de chance : Bradley et moi étions très complices mais on ne pouvait pas vivre ensemble, Sean et moi étions de parfaits colocataires mais n’avions aucun point en commun…

Mais de façon plus lucide, je dirais que les deux m’ont sincèrement aimée, les deux ont essayé de trouver leur place à mes côtés et les deux se sont brisé les reins à l’assaut de la tour fortifiée dans laquelle je m’étais enfermée en déployant la bannière « Je t’aime mais je n’ai pas besoin de toi ».

Je n’ai gardé aucune rancœur.

Même si mon premier divorce a été douloureux. C’était la première fois que je faisais confiance à quelqu’un qui était censé m’aimer à la vie à la mort, comme ma mère biologique. J’ai donc ressenti le divorce comme un deuxième abandon et je suis partie en vrille.

Je me revois, juste avant de nous séparer, dans cette spirale nauséabonde de violence et de jalousie où l’on en est venu aux mains et je me revois drapée dans une mesquinerie sans nom au moment du partage des biens…

Je me revois surtout, quelques temps après, me jurer à moi-même de ne plus jamais vouloir être celle que je venais d’être et que j’exécrais de toute mon âme. Cela m’a tellement traumatisée que j’ai tenu ma promesse jusqu’à ce jour.

Je suis même restée en bonne relation avec Sean qui, après notre divorce – le plus courtois que les juges aient pu voir de leur vie ! – s’est expatrié à l’autre bout de la terre et que je revois avec plaisir lorsqu’il revient en France.

Ainsi, lui et Bradley m’ont aimée comme ils ont pu et même s’ils ont eu des torts, la palme m’en revient sans l’ombre d’un doute. Je ne suis pas un cadeau. Plutôt un boulet aujourd’hui, avec ma fibromyalgie. Bref, je ne me souhaite à personne.

En amour comme en amitié. Il vaut mieux me fréquenter en pointillés. A exposition prolongée, je deviens insupportable. Mes amis, ceux qui ont résisté, l’ont bien compris. Nénette la première. Et pourtant, je lui en ai fait baver !

Même mon chat a capitulé. Au bout de dix ans de vie commune, du jour au lendemain, il a fait en sorte que je le laisse à demeure chez sa nounou préférée, me crachant dessus dès que je venais lui rendre visite ensuite !

14.00. Un mail du voisin FFP2 sur le nez pour aller chercher le pain :

« ‌‌Chers voisins et amis,  

J’ai eu l’occasion, en particulier très récemment, de mieux connaitre certains d’entre vous. Avec mon épouse, nous avons imaginé un pot/petit barbecue chipolatas et merguez sur notre terrasse vendredi 5 juin vers 18h30/19h00 pour fêter la fin progressive du confinement et retrouver cette convivialité qui nous tient à cœur. Un petit groupe de voisins anciens et nouveaux… Bon sang ! Que la vie redémarre ! »

C’est l’appart-terrasse de 200 m² au dernier étage où j’ai déjà fait quelques afters très arrosés de Fête des Voisins auparavant. L’ascenseur se souvient bien de moi.

Bon, les merguez et les bobos de l’immeuble, ça me tente moyen. Allez, je dis oui. Ça me fera du bien de redevenir mondaine le temps d’une soirée et qui sait, je me ferai peut-être de nouveaux contacts pour trouver un boulot ?

 

LA TACTIQUE DU HERISSON

 

 

– Bonjour, je vous appelle pour vous informer que l’on a fait une transfusion de plaquettes à votre mère et que nous mettons en place un nouveau traitement censé la rebooster. Nous pensons la transférer vendredi en maison de convalescence à Sèvres en attendant son placement en EHPAD le 13 juin, c’est bien ça ?

Quand je l’ai dit à Maman, elle a voulu rassembler ses affaires et m’attendre pour rentrer à la maison… Cela m’a fait mal au cœur.

Vendredi 22 mai 2020 – DECONFINEMENT J+12

10.00. J’attends que la maison de convalescence m’appelle. Hier, ils m’ont dit qu’ils auraient peut-être besoin de la carte vitale et de la mutuelle, j’en profiterai pour apporter d’autres affaires. Bien que je sache qu’elle n’en aura pas besoin car elle ne change de culotte que si on lui arrache celle qu’elle a sur elle.

Je pourrais appeler l’hôpital pour savoir vers quelle heure ils comptent la transférer mais comme ils m’ont gentiment envoyée balader hier, je n’ai pas insisté. Pas envie non plus de tanner à nouveau le cuir de mes fesses sur les chaises de la salle d’attente, j’attends simplement qu’on m’appelle.

Pendant ce temps-là, je me secoue les puces et je prépare mon plan de bataille. En premier, la logistique du déménagement. Demain, je vais acheter des cartons et du papier-bulle pour la télé et c’est parti. Cela devrait aller vite car le volume des affaires de ma mère n’est pas énorme, le tri ayant été fait quand elle est arrivée il y a sept mois. Le plus complexe va être de distinguer ce qui suivra ma mère à l’EHPAD de ce qui restera chez mon frère.

Je loue un petit garde-meubles depuis la fin du restau où j’ai stocké les archives de ma société, une table, deux chaises et une étagère de ma mère que j’avais recyclés au restau et que je n’ai pas eu le cœur de laisser là-bas. Des conneries aussi, comme mon sapin de Noël.

Bref, je n’ai plus les moyens de garder ce box mais il peut se rendre utile encore quelques temps. Donc, le plan c’est de jeter ces archives et de rapatrier toutes mes conneries dans mon appart pour les remplacer par les affaires de ma mère, en attendant le déménagement le 13 juin.

Ensuite, je réaménage l’appart : ce sera principalement le jeu des chaises musicales et un peu de bricolage. Mais pour ça comme pour le garde-meubles, il faut des muscles non-fibromyalgiques. Quand je repense au bulldozer que j’étais avant ! J’aurais plié ça en deux temps trois mouvements sans l’aide de qui que ce soit ! Bref, merci Kevin.

C’est mine de rien une situation qui n’a rien d’évident : je dois réaménager l’appart pour moi seule comme il y a six ans avant Kevin, tout en sachant que peut-être je serai à la rue dans quelques mois. Je ne vais donc pas acheter de nouveaux meubles, je n’en ai pas les moyens de toute façon. Ça tombe bien, le home staging, c’est mon dada.

Indispensable, tout ça. Je me connais, je ne pourrai pas avancer sinon. Je suis ultra-séquentielle, parfaitement infichue de me dédier à une autre tâche tant que la précédente n’est pas terminée.

12.30. Kevin m’appelle pour me dire qu’il ne sera pas disponible avant douze jours. Il me dit voir quelqu’un qui souhaite passer une semaine chez lui et qui ne veut pas qu’il soit ‘contaminé’ par moi s’il vient me donner un coup de main…

J’avoue que c’est une surprise, bien que je ne m’attendais pas à ce qu’il reste célibataire ad vitam aeternam. Je lui demande si c’est quelqu’un que je connais, il hésite une seconde à me répondre par la négative, ce qui ne me laisse aucun doute du contraire.

Je pourrais faire la pie mais je m’en fous, en fait. J’espère juste que leur relation ne s’est pas nouée dans mon dos à l’époque. Car même si notre rupture est bel et bien consommée, ce n’est jamais agréable d’apprendre une trahison après coup. Bref, je pense qu’elle est simplement jalouse. Mais c’est de bonne guerre.

Du coup, je dois revoir mes plans.

Ainsi, Kevin m’aidera à vider mon garde-meubles dans douze jours donc et mon frère viendra chercher l’ensemble des affaires de ma mère quelques jours après pour les déposer à l’avance à l’EHPAD. Si d’ici là, on a le droit de voyager au-delà de 100 km. Et ensuite, je me débrouillerai avec mes petits bras pour réaménager l’appart.

Moi qui m’étais secouée pour avancer, me voilà déjà dans l’ornière. Délayer sur douze jours ce que j’étais prête à faire en trois, c’est de la méga-procrastination. Mais forcée, sur ce coup-là. Et je ne peux m’empêcher de constater que tout le monde avance, sauf moi.

Figée à un énorme carrefour au bord du passage-piétons. J’ai envie de traverser puis je me ravise et je finis par laisser les feux se succéder sans bouger d’un iota. Je suis perdue. Je ne sais pas vers quoi me diriger ni quelle rue emprunter, je n’ai pas de carte, encore moins de GPS, à supposer que j’ai une adresse à lui indiquer. Le bourdonnement de la rue, le mouvement des gens, des voitures me donnent le vertige. Ça me submerge. Mon réflexe est de rentrer tout au fond de ma coquille.

Il va bien falloir pourtant que je me donne un coup de pied aux fesses. Mais pour aller où ?…

Je me rends compte à quel point j’ai besoin d’aide en ce moment. L’aide d’un psy. Mais ça, comme l’acupuncture, cela devra attendre que je retrouve une paie. Je vais m’en sortir, je pense, car j’ai déjà processé pas mal de choses, mais l’aide d’un pro ne serait pas superflue. J’étouffe un peu, en fait.

Je suis encore loin du break psychotique qui m’a poussée à consulter il y a sept ans mais l’état larvaire dans lequel je me suis engluée ces derniers temps est de plus en plus intenable. D’en connaître la cause principale ne m’avance guère car c’est repartir sur un chemin que je m’étais jurée de ne plus arpenter.

«… En effet, en dehors des symptômes très largement présents chez tous les patients atteints de fibromyalgie, douleurs diffuses et chroniques, asthénie, troubles du sommeil, il existe un autre syndrome : l’état anxio-dépressif et parfois même une dépression sévère voire mélancolique… »

Et ça, ça veut dire cocktail d’anti-anxiolytiques et d’antidépresseurs, avec le petit parasol en crépon et la cerise confite. Je préfèrerais un Perrier-menthe et quelques séances sur un divan. Du coup, je me revois il y a sept ans dans le cabinet de la psy qui me parlait de troubles de la personnalité borderline, de bipolarité, de cyclothymie…

J’étais atterrée. Une prise de conscience très violente mais nécessaire, de mes actes et de mon comportement, limites tous les deux. J’ai pris alors la décision de me soigner et de faire en sorte de ne plus jamais revivre ce que je venais de vivre, à savoir cette crise psychotique qui avait bien failli m’annihiler pour de bon. J’avais vraiment fait n’importe quoi jusqu’à ne plus pouvoir me reconnaître dans le miroir.

Comme cette crise d’hystérie où je m’en suis prise à un ami qui ne m’avait rien fait. Je me revois ivre de colère lui aboyer dessus, pourquoi, je ne sais pas, et si j’avais eu une arme dans les mains à ce moment-là, je sais que je serais en taule aujourd’hui. Le pauvre ! Bien sûr, il a coupé tous les ponts mais peut-être qu’il n’est pas trop tard pour m’excuser ?…

Je buvais aussi à l’époque, beaucoup, je m’imbibais littéralement jusqu’à l’intoxication. En fait, je ne savais pas fonctionner sans alcool. Ça me faisait faire des choses que je ne regrettais pas vu que je ne m’en souvenais pas le lendemain. Je faisais les pires trucs et je n’en subissais aucune conséquence. Et j’évitais les miroirs.

Cette autodestruction a duré quelques temps jusqu’au jour où j’ai eu un blanc, un vide, une absence. Et un soir, j’ai avalé une bouteille entière de Jack et de quoi anesthésier un éléphant. Mon plan était de ne pas me réveiller. J’ai fait un coma. Je me suis réveillée. Et là, j’ai dit stop, direction le psy.

Dès lors, j’ai tout gobé, diagnostics et petits cachets, sans chercher plus loin. Et j’ai tout arrêté quelques mois plus tard car j’ai cru que j’étais ‘guérie’. Mon histoire avec Kevin venait de commencer et la passion des débuts aidant, j’ai cru que cela était le meilleur des antidépresseurs.

Je vois bien aujourd’hui que le problème sous-jacent est toujours là. Tapi dans l’ombre depuis trop longtemps à son goût, il ne pouvait revenir sur le devant de la scène qu’avec véhémence.

Et je ne peux m’empêcher de constater la similitude de ma situation d’aujourd’hui avec celle d’il y a exactement sept ans : sortant d’une relation houleuse et stérile, bonne pour le couvent, perdue, sans job, sans boussole… Tout ce qui diffère, c’est qu’aujourd’hui je suis fauchée et sobre comme un chameau. Mais est-ce bien important ?

Vais-je avoir à nouveau un break psychotique ? Vais-je me résoudre à reprendre un traitement ? Vais-je retrouver la force de me battre ? Ne vais-je pas lâchement choisir de tout envoyer valdinguer et de tirer ma révérence ?…

14.00. Je finis par appeler la maison de convalescence où ma mère est bien arrivée en fin de matinée. Je l’ai même au téléphone.

  • Maman ? Comment vas-tu ?
  • Bof… Quand est-ce que je sors ?

J’irai dimanche après-midi lui apporter des affaires. Je demanderai si une petite visite en ninja est tout de même possible… Voilà, il n’y a plus qu’à attendre. Même si je sais qu’elle est entre de bonnes mains et que je ne peux plus rien y faire, je m’inquiète. Je crains qu’elle ne remonte pas la pente.

Tout petit moral. Je dirais même que je suis au fond du puits. Mon estime de moi-même est au plus bas. Je n’ai qu’une envie : me rouler en boule et hiberner jusqu’à l’année prochaine. Et ce ne sont pas les mises en garde alarmistes à la radio qui annoncent un retour du Covid à l’automne qui m’aident.

Si jamais je parviens à reprendre un semblant de vie avec un job notamment, ça se passe comment si on est reconfinés avant la fin de ma période d’essai ? Ça se passe comment pour ma mère qui a déjà le moral dans les chaussettes au bout de trois jours sans voir personne ?

Le présent, c’est chiant. L’avenir, c’est angoissant. Il pleut ce soir. Parfaitement raccord avec mon humeur. Allez, je me roule en boule.

PEDALAGE DANS LA SEMOULE

 

– Bonjour, j’ai appelé tout à l’heure, j’amène des affaires pour ma mère. Eventuellement, je peux la voir et parler aux médecins ?

  • C’est nous, les médecins et là on n’a pas le temps. Il faut prendre rendez-vous. C’était déjà le cas avant le covid, alors vous imaginez aujourd’hui !

On se calme, j’ai dit ‘éventuellement’. Bref, on m’envoie attendre à l’extérieur du service gériatrie où ma mère a été transférée hier. Les chaises ne sont pas en métal comme aux urgences mais ne sont pas plus confortables.

Mardi 19 mai 2020 – DECONFINEMENT J+9

Au bout d’une vingtaine de minutes, une des médecins vient me voir en douce.

  • Le test écouvillon est revenu négatif mais on s’en doutait. Là, ce qui nous inquiète, ce sont ses plaquettes très basses et ses défenses immunitaires quasiment à zéro.
  • Bah c’est pour ça que je vous l’ai amenée. C’est vraiment le covid qui a fait ça ?
  • Très probablement. Aussi, vous pouvez aller la voir mais pas trop longtemps. Pas de contact, pas de bisou, d’accord ?

Je ne me le fais pas répéter deux fois et Maman m’accueille avec un grand sourire.

  • Je suis bien contente de te voir !
  • Moi aussi. Je ne peux pas rester longtemps, c’était juste pour te dire que je ne t’ai pas abandonnée.

J’essaye de lui expliquer ce que m’a dit le médecin mais je vois bien qu’elle ne capte pas plus qu’avant.

  • Quand est-ce que je sors ?
  • Pour ça, il faut te requinquer. Tu manges au moins ?
  • Oui.
  • Deux bouchées, c’est ça ?
  • Bah j’ai pas faim, j’ai des nausées…
  • Maman, fais un effort s’il te plaît : plus tu mangeras, plus tu retrouveras des forces et plus vite tu seras sortie !

Je lui dis au revoir et je m’enfuis. Je n’aime décidemment pas ces situations où je suis totalement impuissante, où tout ce que je peux faire est de peigner la girafe.

Le gars qui filtre les entrées avec son gel hydro-alcoolique est toujours là dans sa petite cabane qui ressemble au stand du bateau-pirate chez Mickey. J’ai bien cru d’ailleurs, quand je suis arrivée, qu’il allait me donner un ticket de manège. En fait, il m’a dit que j’avais mis mon masque à l’envers… Le côté bleu doit être à l’extérieur ! Bah c’est écrit nulle part !

12.30. Je grignote devant mon ordi. Il faisait beau, je suis rentrée à pied de l’hôpital car je me suis dit que de marcher me ferait du bien. J’ai donc traversé toute la ville. Une bonne petite trotte qui, sans nul doute, va laisser sa carte de visite auprès de mes muscles… Je les sens déjà en train de préparer le piquet de grève.

Le bruit de la rue qui entre par la fenêtre du salon pour sortir par celle de la chambre en ce jour où l’on frôle les 28° et où le moindre courant d’air est précieux, a bien retrouvé, comme je le craignais, son niveau d’avant confinement. C’est si fort parfois que cela me retourne les yeux dans les orbites. Où sont mes purée de boules Quiès ?!

Tiens, un mail du liquidateur qui fait état d’une seule offre de reprise à… 60 000 euros ! Des peccadilles, quoi, mais c’est toujours mieux que ce que l’on aurait obtenu par la vente à l’emporte-pièce. Et la propriétaire va pouvoir retrouver un locataire.

« … Je vous remercie de me faire part de vos éventuelles observations par retour… »

Vaut mieux pas, Madame.

Bref. Je ferme mon ordi et je me mets à gamberger. Dois-je commencer à faire les cartons de ma mère ? Planifier le déménagement ? Réaménager l’appart ? Mais si elle rentre à la fin de la semaine ?

Je ne sais pas pourquoi, j’ai tout laissé tel quel, je n’ai touché absolument à rien. Comme si elle allait rentrer d’un instant à l’autre. Je suis bloquée. Comme dans un jeu vidéo, je ne parviens pas à passer au niveau supérieur. Elle me manque.

D’une certaine façon, je me sens mieux. Même si je suis souvent au bord des larmes, je ne suis plus en colère et je n’ai plus mauvaise conscience. Beaucoup moins, en tout cas. Je préfère qu’elle me manque plutôt que d’avoir envie de l’étrangler. Qu’est-ce que j’ai pu détester être comme ça !

Je me retrouve aussi un peu désœuvrée car mine de rien, m’occuper d’elle me prenait pas mal de temps. Je sais que je devrais en profiter pour retoucher mon cv et me remettre à fond sur ma recherche d’emploi mais d’une, je n’ai pas du tout la tête à ça et de deux, je ne suis pas sûre que l’activité soit redevenue assez conséquente pour que les embauches redémarrent.

Tant pis, je me laisse pédaler dans la semoule.

20.00. Un appel de Kevin pour prendre des nouvelles de ma mère. Il est passé hier, j’en ai profité pour lui refiler la bouffe que ma mère ne mangera plus. Bref, ça me fait du bien de discuter. Il est mimi. Je pense qu’il a été touché par mes larmes dimanche soir, lui qui ne m’a jamais vue pleurer. Il a même accepté de me donner un coup de main pour démonter les meubles et faire les cartons quand je me lancerai.

Et je ne peux m’empêcher d’être amère quand je repense à Walter. C’est lui qui devrait être là, pas mon ex et son soubresaut inattendu de compassion. Bon, en même temps, je ne lui ai pas dit. Dimanche sur ma chaise aux urgences, cela m’a bien démangée de lui envoyer un texto. En fait, je ne savais pas trop quoi écrire. Je lui en voulais de ne pas prendre de mes nouvelles mais je ne lui en donnais pas pour autant. Je t’aime moi non plus. Comme d’habitude.

 

AUX URGENCES

– C’est nous qui faisons pimpon ?

  • Oui, on est dans une ambulance.
  • Mais je vais bien ! Je préfère qu’on aille manger au restaurant, dis, on peut ?

Appel au 15 à 9.33, visite du médecin de garde qui juge l’état de ma mère assez grave pour appeler une ambulance, direction les urgences d’Ambroise Paré. Il ne manque pas, au passage, de se moquer de mon téléphone préhistorique… Bah tant qu’il appelle les numéros d’urgence…

Dimanche 17 mai 2020 – DECONFINEMENT J+7

Incapable de faire le moindre geste sans souffler comme un bœuf et manquer de s’évanouir, la toilette et le petit-déjeuner de ma mère ce matin ont été dantesques. D’où le 15. En fait, elle présente tous les symptômes qui l’ont envoyée à l’hôpital il y a huit mois. J’ai beau lui expliquer mais elle ne comprend pas, elle le prend comme une punition, un billet pour le couloir de la mort.

Elle s’affole tellement qu’elle me crie, tandis que les ambulanciers la hissent sur leur chaise roulante :

  • J’ai faim ! Tu vois, je vais mieux, je peux rester ?

Et en stand-by dans la rue, elle se lève dans un sursaut d’énergie en déclarant qu’elle va bien. Les ambulanciers s’y mettent à deux pour la rasseoir puis pour la transférer sur le brancard. Ils essayent, tout du moins, vu qu’elle fait exactement le contraire de ce qu’ils lui disent. Ha ha ha, elle ne le fait pas qu’à moi, ça me rassure !

Bref. A mesure que l’on approche de l’hôpital, j’ai l’impression qu’elle réalise enfin. Elle se met à paniquer :

  • J’ai peur ! Me laisse pas !
  • Je suis là, Maman. Tout va bien se passer.
  • Je ne reviendrai jamais, c’est ça ?
  • Il y a de fortes chances pour que plus tard tu sois transférée directement de l’hôpital à l’EHPAD, oui…
  • C’est un mouroir là-bas ! Je ne serai qu’avec des vieux.
  • Non, ça c’était le service gériatrie de Pompidou.
  • Je vais me laisser mourir.
  • T’as pas intérêt. Y a Toto qui t’attend, tu ne peux pas lui faire ça.

On arrive aux urgences désertes où Maman est prise en charge immédiatement. La doctoresse avait raison. Mais de la voir à travers la vitre me faire un petit signe de la main tandis que l’on s’affaire auprès d’elle, j’avoue que cela commence à me toucher.

D’un seul coup, je suis incapable de me rappeler un seul des moments d’exaspération que j’ai pu vivre durant ces sept mois, je ne ressens que de l’angoisse teintée de mauvaise conscience et un irrésistible besoin de la prendre dans mes bras.

14.00. Ça fait un peu plus de deux heures que je patiente sur une chaise métallique qui me tale le coccyx. L’interne, une blondinette aux traits tirés, est venue me voir à un moment donné pour faire le point.

  • Cela aurait peut-être été mieux d’aller à Pompidou où elle a été hospitalisée ?
  • Ah bah oui mais la gériatre ne m’a pas rappelée quand j’ai demandé il y a dix jours…

Bref. Pas grand-chose d’autre à faire que de regarder les allées et venues qui commencent à s’intensifier. Ainsi, j’observe le ballet des brancards du SAMU, de la Croix Rouge, des pompiers… De beaux pompiers, c’est déjà ça !

Puis, trois policiers débarquent en encadrant une dame en boubou léopard. Ils passent en priorité, je ne vois pas trop pourquoi parce que la dame n’est pas inconsciente, elle ne pisse pas le sang, elle a tous ses membres et même pas de menottes au bout.

Alors, comme je sens que je vais y passer l’après-midi, je sors mes mots fléchés.

17.00. Il y a une petite dame qui patiente comme moi, une chaise plus loin. Son mari a été amené vers 13.00 sur un brancard, à peine conscient. De l’avoir vue lui tenir la main et lui murmurer des mots d’apaisement, d’avoir vu son déchirement lorsqu’ils l’ont emmené derrière la lourde porte coulissante, de la voir depuis pratiquement prostrée sur sa chaise à côté de moi, rongée d’angoisse, cela me bouleverse. Alors, j’engage la conversation.

C’est bien ce que je pensais, l’histoire qu’elle me raconte est tout simplement abominable. Son mari est atteint de deux maladies en même temps, Lewy et Parkinson, toutes deux dégénératives et mortelles à relativement brève échéance. Elle dit que c’était un homme plein de vie, sociable et très actif qui s’est retrouvé réduit à néant du jour au lendemain.

Elle raconte alors les difficultés à le maintenir à domicile puis sa résignation à le placer en EHPAD où il a fait une chute dernièrement, nécessitant une opération. Mais la plaie s’est infectée et son état général s’est dégradé à la vitesse grand V, d’où les urgences aujourd’hui car il n’y a pas de médecin le dimanche en EHPAD. Mais le plus affreux est ce qu’elle me confie en sanglotant :

  • C’est la première fois que je le revois depuis deux mois à cause du covid. Il se laisse mourir, il me l’a dit, et je ne peux pas être auprès de lui !

Si je ne me retenais pas, je la prendrais dans mes bras pour la réconforter. J’ai une boule dans la gorge, je ne sais pas pourquoi cela me touche autant. Si maintenant mon don d’empathie fonctionne sans contact, me voilà fraîche.

En fait, je repense à mon père. Je revois le gaillard bedonnant qu’il était et le moineau famélique qu’il était devenu, paralysé dans son lit médicalisé après son deuxième AVC. Je repense à ce qu’il me chuchotait en me tirant par la manche dès que ma mère avait le dos tourné :

  • Tu peux m’aider à mourir ?

Je lui replaçais sous la nuque la peluche Barbapapa que je lui avais achetée et j’essayais alors de lui changer les idées en faisant le pitre. C’était surtout moi que je voulais distraire car j’étais bien désemparée.

Je venais un week-end sur deux et la plupart de mes vacances. J’ai dû me familiariser très vite avec le lève-malade, le changement de couches, la toilette au lit et la becquée pour aider comme je pouvais ma mère et les infirmières.

Moi, plus que tout autre peut-être, je peux comprendre qu’on ne supporte plus de n’être plus qu’un tas de chair meurtrie, je peux comprendre la honte de faire dans une couche, la honte d’avoir les fesses à l’air devant sa femme, sa fille, la honte d’être torché par des étrangères, je peux comprendre l’horreur de s’apercevoir que l’on perd non seulement son esprit mais aussi son âme, je peux comprendre que l’on ne veuille plus de ce maintien de vie car justement, ce n’est pas une vie.

L’euthanasie est le plus miséricordieux des cadeaux. Que l’on n’est jamais préparé à offrir, dusse-t-il être légal. On ne parvient pas à se mettre à la place de celui qui agonise, on ne pense qu’à sa propre douleur d’avoir à survivre à l’autre. C’est compréhensible mais c’est égoïste.

Je me revois au volant, des larmes plein les yeux, lorsque j’ai dû venir de toute urgence car mon père était dans le coma à l’hôpital. Je lui ai pris la main, je lui ai dit qu’il serait délivré bientôt et je lui ai souhaité bonne route. Je ne pouvais pas lui dire « Tiens bon, reste avec nous, pour nous, comme un légume mais reste ! »

Une heure plus tard, c’était fini. Mes larmes à l’infini. Mais j’étais soulagée pour lui.

18.20. Je lève mes fesses et leurs escarres et je vais voir le secrétariat pour la seconde fois. Ma mère, elle, n’était pas mourante quand elle est arrivée donc j’aimerais bien savoir ce qu’ils lui font, s’ils la gardent et combien de temps mon fessier va être confiné sur ma chaise de torture. On finit par me passer l’interne au téléphone.

  • Alors, on a fait un scanner et une sérologie qui révèlent une atteinte covid car elle a des lésions dans les poumons. C’est cependant modéré car elle n’a pas de détresse respiratoire, le cœur va bien et…
  • Je ne comprends pas, elle a fait un test il y a cinq jours qui était négatif…
  • Oui, c’est très probable qu’elle l’ait eu et qu’il soit parti. On a refait un test écouvillon, on aura les résultats demain. Les médecins vous appelleront.
  • Je suppose que je ne peux pas la voir ?
  • Non, désolé…

Je suis abasourdie. Je vais voir la petite dame qui attend toujours sagement pour lui dire au revoir et je sors de l’hôpital pratiquement en courant.

C’est une fois rentrée que je réalise. Je vais poser le sac d’affaires que j’ai emmené pour rien dans la chambre de ma mère et là, j’éclate en sanglots. J’appelle mon frère, mon oncle, même Kevin, je repense à ce qu’elle m’a dit dans l’ambulance « J’ai peur ! Me laisse pas ! » et je ne peux plus m’arrêter de pleurer.

C’est un barrage qui cède, mes larmes coulent à torrent. Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas pleuré ! C’est comme si elle venait de mourir. Tout ici me rappelle qu’elle n’est plus là, l’appartement entier résonne de son absence.

Pourtant, je savais que lorsqu’elle partirait pour l’EHPAD, cela allait me faire quelque chose et je pensais être préparée. Que dalle ! Même si j’étais impatiente de ne plus avoir à m’occuper d’elle, même si je ne la supportais plus, surtout ces derniers temps, cette séparation brutale me fait un mal de chien.

Cela dure une bonne heure où toute la boîte de kleenex y passe. J’ai les yeux tellement bouffis que je ne les vois plus. Je me mets à cogiter. Quand et qui a bien pu lui transmettre le virus ? Serait-ce moi en n’ayant pas pris de douche toute habillée en rentrant des courses ou en ne lavant pas les fraises au savon ?

Ou serait-ce Toto que nous sommes allées voir le dernier week-end avant le confinement, Toto qui se remettait doucement de ce qui semblait être une grosse grippe ? Ça ferait sens, elle a commencé à tousser courant mars, ses plaquettes et ses globules blancs ont chuté drastiquement début avril et la perte de poids a suivi…

Au final, peu importe, maintenant, c’est la voiture-balai du covid qui pose un problème, il faut qu’elle remonte la pente. Mais à son âge et vu son extrême faiblesse, je ne peux qu’avoir des craintes.

 

DECONFINEMENT DE LA CLIO

 

« Madame, Je reviens vers vous dans ce dossier qui vient de connaître une évolution. En effet, de potentiels candidats se sont manifestés tout récemment et en accord avec le juge commissaire, il a donc été décidé de leur donner un délai expirant le 19 mai 2020 à 12H00 pour formuler leur offre de rachat. Je vous tiendrai informé en cas d’offre.
Cordialement. »

Ça me laisse baba.

Vendredi 15 mai 2020 – DECONFINEMENT J+5

10.00. Pomponnée, je descends au parking. Ma Clio ronronne au premier coup de clef, brave Titine ! Je n’y ai pas touchée depuis plus de deux mois, ça me fait bizarre. Bref, je vais au restaurant donner mon jeu de clefs à la propriétaire.

Les abords du restaurant sont dans un état pitoyable, les bambous de la jardinière ont même été arrachés. Sur les vitres crasseuses, on peut voir des affiches en lambeaux A CEDER. J’avoue que cela me fait un peu mal au cœur.

Je retrouve la propriétaire et je vais pour lui montrer comment désactiver l’alarme. C’est hallucinant, je retrouve mes marques immédiatement, comme si j’avais quitté le restaurant hier : deux coups de clefs à l’envers, soulèvement de clenche puis traversée de la cuisine en dix secondes pour passer mon badge devant la centrale de l’alarme vers le bar.

Je m’attendais à être complètement dépaysée, limite une intruse mais de me retrouver dans ce décor me semble parfaitement naturel. Je regarde avec une pointe de nostalgie les verres à vin rangés au carré sur les étagères (la touche Monk), la machine à café qui clignote, le coin cosy avec ses fauteuils-club qui était souvent réservé longtemps à l’avance…

Je regarde les bouteilles qui prennent la poussière dans leur rack… Je me souviens avoir minutieusement fait la sélection des vins comme un artiste-peintre aurait choisi sa palette de couleurs. Je me souviens aussi des dégustations avec mon fournisseur, de mon enchantement quand il me faisait déguster des petits bijoux et de celui de mes clients lorsqu’à mon tour je les leur faisais découvrir…

Le vin, un fondamental de mon restaurant. Je proposais tout au verre et je changeais souvent la carte. Je crois que l’on était les seuls au monde à faire ça. Les clients adoraient, j’avais même pour projet d’organiser des ateliers-dégustation, fière de mon diplôme Wine & Spirit Education Trust.

Fière également d’avoir la passion chevillée au corps qui me prévenait de marcher dans les sentiers battus.

Après la fermeture du restaurant, on m’a demandé pourquoi je ne voulais pas me lancer car mon diplôme me permettait d’être sommelière ou d’ouvrir une cave à vins. En fait, je souhaite garder ma passion intacte et ne pas avoir à vendre des choses auxquelles je ne crois pas. De plus, j’ai tiré un gros trait sur le commerce et la restauration.

Bref, je me sauve à tire d’ailes. Presque quatre ans de ma vie à mettre à la poubelle.

14.00. En téléconsultation avec la doctoresse.

  • Je ne vois aujourd’hui que l’hôpital comme solution, docteur. Elle est extrêmement faible, elle tousse toujours, elle est de plus en plus essoufflée… Si ça se trouve, elle refait une effusion pleurale et tout le toutim ? Je n’ai pas de scanner dans mes placards et je ne sais pas faire les ponctions… Elle a peut-être aussi l’estomac et l’œsophage détraqués ? Mais je n’ai pas d’endoscope non plus. Je crois que je suis arrivée au bout de mes petits moyens.
  • Oui, je suis d’accord. Bon, là on est vendredi après-midi, je ne peux pas demander une admission pour ce soir et après c’est le week-end. Je vous propose de vous rappeler lundi première heure et on fera la demande ensemble pour une admission dans la semaine. Mais, et j’insiste, si cela se dégrade trop ce week-end, n’hésitez surtout pas à appeler les urgences car en ce moment, il y a zéro attente et elle pourra être admise dans la foulée.

Je débriefe avec Maman. Elle semble accepter l’idée… Allez zou, faut que je refasse un nouveau dossier pour l’hôpital et que je prépare sa valise. Là aussi, ce que je ressens est étrange. Je devrais pousser un énorme OUF de soulagement mais j’ai mauvaise conscience de chercher à me ‘débarrasser’ d’elle tout en sachant que c’est la meilleure solution et que je n’ai plus le choix.

Bref, même lorsqu’elle ne sera plus ici avec moi, je sais que je vais continuer à en baver.

23.00. Les squatteurs de banc sont de retour. Ils sont sous mes fenêtres depuis 19.00 avec la totale : mobylettes pétaradantes, bouteilles d’alcool, narguilés et fanfaronnades provocatrices.

Vivement l’hiver ou le prochain confinement.

DEPACSAGE

 

– Je suis contente de te revoir. On aurait pu aller manger au restaurant ?

Dit ma mère à Kevin en repoussant sa saucisse-frites. Kevin, que j’ai briefé dès son arrivée, préfère en rigoler.

Mercredi 13 mai 2020 – DECONFINEMENT J+3

Il est passé signer les papiers pour la dissolution de notre PACS et est resté déjeuner. Il n’a toujours pas retrouvé de boulot mais a bon espoir dans les semaines qui suivent. Comme moi. Il prévoit tout de même la bérézina jusqu’en septembre. Comme moi. Si cela perdure, il n’aura d’autres choix que de retourner se mettre au vert chez ses parents. Pas comme moi.

Moi, c’est la rue qui m’attend. Il y a quelques jours d’ailleurs, j’ai écouté attentivement le témoignage de Christian Page, cet ancien SDF qui a écrit un bouquin. J’ai pris en note ses conseils car je me suis dit que j’en aurai peut-être besoin bientôt…

Bref. Chaque chose en son temps. Déjà, j’aimerais classer le dossier Maman. Et vu qu’elle est de plus en plus faible, les 300 mètres jusqu’à chez la doctoresse vendredi paraissent exclus. Donc, je transforme la consultation en cabinet en téléconsultation et j’appelle l’EHPAD.

  • Je voudrais savoir si une entrée chez vous en urgence serait possible. Car je ne suis vraiment pas sûre qu’elle tienne encore un mois et peut-être qu’un séjour à l’hôpital n’est pas nécessaire si vous pouvez l’accueillir avant…
  • Pas de souci, il faut juste une mise à jour du dossier médical et un test Covid négatif.

Bon. On verra vendredi ce qu’en pense la doctoresse.

Mais si c’est l’EHPAD un mois en avance, faut que je refasse mes comptes car ce ne sera pas la même chanson. Car plus de participation au loyer, aux courses, plus d’heures en CESU… Mais bon, la priorité, c’est elle.

18.45. La propriétaire des murs du restaurant m’appelle pour savoir si elle peut récupérer mon jeu de clés. Elle s’inquiète aussi de cette vente aux enchères car le liquidateur la renvoie systématiquement dans ses barres. Alors, on papote. Déjà parce qu’elle et moi avons toujours été en bons termes mais aussi parce que c’est une pipelette. Je lui dis que je n’ai aucune nouvelle du liquidateur, que je ne sais absolument pas ce qui est cessible de ce qu’il ne l’est pas et que bien sûr, je lui donnerai mon jeu de clés.

Ça dure trois quarts d’heure, du coup, ça me fait zapper ma gym. Ça m’arrange, en fait, je suis très fatiguée aujourd’hui et j’ai mal partout.

Et je reçois par mail les résultats du test Covid de ma mère : négatif.

 

DESILLUSION

Mardi 12 mai 2020 – DECONFINEMENT J+2

La charrue, les bœufs et la peau de l’ours. Je l’ai su dès que je suis allée la réveiller ce matin.

  • Je n’ai plus de forces, je vais mourir !

Nausées devant ses tartines et demi-gamelle à faire deux pas, vacillante comme la flamme d’une bougie. C’est même pire car ses caprices sont revenus en force.

  • Bah t’as pas fait ta toilette ?
  • Nan.
  • Et tu n’as pas changé de culotte ? Je t’en ai mis une propre là bien en vue.
  • Pas envie.

Puis, au déjeuner :

  • C’est dégueulasse, comment tu peux me servir ça ?!
  • Je te mettrais du foie gras que cela serait la même chose. Tu veux quoi ?
  • Des concombres.
  • Bah y en a pas. Tu te crois au restau ?!
  • M’en fous, j’ai pas faim de toute façon !
  • Tu as conscience qu’à ne pas manger, tu vas te retrouver à l’hôpital ?
  • La bouffe y sera peut-être meilleure.
  • Bien sûr, j’aurais tout entendu.

L’arrêt de ses médocs a permis de désembrumer un peu son esprit mais l’effet revers est qu’elle est plus défiante et capricieuse que jamais. Je me contiens comme je peux mais je suis surtout très déçue.

  • Tu ne te souviens pas d’hier ?
  • Nan.
  • Tu étais bien et tu as fait trois repas sans renâcler.
  • Ça m’étonnerait.

Il m’avait prévenue, Harry, les vieux ne tiennent pas l’énergie longtemps. Mais 24 heures, c’est vraiment très court ! Bref, me voilà bien déconfite. Et de la regarder sommeiller à demi-morte dans son fauteuil la bouche ouverte, je décide d’appeler la gériatre de l’hôpital pour voir si elle peut la prendre en pension quelques temps, histoire de la remonter avec des perf de cocaïne ou je ne sais quoi. Elle va me rappeler.

On m’a conseillée de me souvenir des bons moments pour contrebalancer le négatif. Le fait est que je n’en ai pas. A part celui d’hier.

18.00. Je crois qu’après le bras gauche, je viens de me flinguer le genou droit. Plus spécifiquement, je crois que ma fibromyalgie en a marre de la Wii. J’ai l’air fine dans mon salon avec mes abattis en vrac. J’espère que ça va passer.

Je range donc la Wii en claudiquant et m’en vais buller en croix devant la télé. Et même pas une seule chips dans tout l’appart pour me réconforter. Décidément, y a des jours, comme ça… Le problème, c’est que je les cumule, en ce moment. Petit moral.

21.00. Je ne peux, bien sûr, m’empêcher de repenser à mon tirage de cartes d’il y a deux jours. Car il y a plusieurs interprétations, je n’ai peut-être vu que celle qui m’arrangeait… Je ressors donc ces trois cartes.

Moi : Le Sexe > Passion ou servitude, grandeur et misère de la condition humaine.

Lui : L’Aventure > Chemins de traverse, compromission, histoire hasardeuse.

Nous : La Fin > Séparation. Il n’y a rien de définitif en termes spirituels.

C’est peut-être en fait la fin de notre misérabilité ? La fin de la servitude et de l’histoire hasardeuse ? Surtout qu’avant ce tirage pyramidal, j’ai fait un one-shot, c’est-à-dire une question/ une carte. Donc à la question « Vais-je voir Walter bientôt ? » j’ai tiré ça :

Le Karma > Sensibilité, équilibre, dispositions pour le bonheur. Invitation à prendre en compte les leçons du passé.

Je ne sais plus où j’en suis. Entre mon intuition, les tarots, son silence… Je me dis que je vais me forcer à l’appeler, ou le relancer par texto, ou lui envoyer cette fameuse lettre d’adieu, ou le lien de ce blog… Honnêtement, je ne sais pas quoi faire. Donc, je ne fais rien. Comme à mon habitude.

Quelle gourde !