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« Bonsoir, messieurs dames, vous pouvez consulter notre carte en scannant le QR Code que voici, je reviens dans un instant prendre votre commande. »

Je tâte, dépitée, mon téléphone préhistorique dans mon sac mais je finis par remonter le menton d’un air bravache et demander à la cantonade si quelqu’un veut bien me faire la lecture. Si j’étais venue dans ce restau avec ma mère, bah on serait reparties.

 

Lundi 3 août 2020

Réunion du Scoobigang samedi soir, sur la terrasse de ce restaurant ultra-moderne, donc. Ça faisait un bail ! Andrew, Mimine et Timothy ont répondu comme un seul homme à mon signal de détresse où j’indiquais vouloir entrouvrir la porte de la grotte dans laquelle je me suis sordidement refugiée depuis trop longtemps, maintenant.

La soirée sous l’étendard « Il faut sauver Bichette » aurait pu consister en un étrillage en bonne et due forme mais les bien meilleures armes que sont le rire et la dérision ont été préférées. Ainsi, pas d’inquisition moralisatrice, pas de sonnage de cloches, pas de bourrage de mou à coups de mantras.

Et c’était ce qu’il me fallait. Car j’en ai un peu marre, en ce moment, qu’on me dise ce que je dois faire, pas faire et d’une façon générale, marre du gouvernement et de ce bataillon d’experts sermonneurs qui ramènent leur fraise à propos de tout. Un salmigondis de recommandations infantilisantes au possible. Ils vont bientôt nous dire comment chier, comment clamser, comment dire des insanités sans passer pour l’antéchrist. Bref, je suis un bon soldat dans l’âme mais là, ras le pompon.

Ma petite rébellion pourrait augurer d’une première marche gravie dans mon processus de sortie de grotte. Peut-être. Mais bon, j’ai entrouvert la porte, certes, mais c’était parce que cela sentait le moisi et que j’avais besoin d’oxygène.

Et ce grand bol d’air, le Scoobigang me l’a apporté sur un plateau, en même temps que ma burrata à la truffe et de multiples verres de Crozes-Hermitage. Un moment d’un réconfort inouï qui m’a rabibochée avec le monde des vivants. La légitimité d’être à ma place, d’appartenir à un tout.

C’est rassurant de constater que certaines choses ne changent pas, que l’amitié, même en pointillés, ne perd pas une once de sa valeur et de sa force lorsqu’on se regarde dans les yeux et que l’on éclate de rire à l’unisson.

C’est revigorant aussi de remarquer que d’autres choses peuvent changer et que ce n’est pas la fin du monde pour autant. Mimine a eu un coup de blues. Elle qui d’habitude est un monument de retenue, d’une placidité inébranlable, s’est enfuie à un moment donné pour cacher son émotion, après un échange de propos qui n’avaient malheureusement pas ce but-là quand ils ont éclos.

Je l’ai rejointe, elle s’est confiée. Je me suis bien gardée de lui faire ce que je déteste qu’on me fasse, c’est-à-dire de la gaver de conseils aussi creux que vains. Je l’ai simplement prise dans mes bras – fuck le Covid – et je lui ai dit qu’elle avait de la chance de ne pas être blasée comme moi. Son émotion m’a touchée et je l’ai trouvée belle dans ce nouvel apparat.

–  Je me sens nulle. Comparé à ce que tu vis en ce moment, j’ai honte de m’apitoyer sur mon sort…

–  La douleur ne se compare pas : quand ça fait mal, ça fait mal, point !

–  Mais on était censés ce soir te remonter le moral à toi, pas à moi…

–  Billevesées ! Allez, je sais que tu es forte, tu sauras retrouver ton chemin. En attendant, ma copine, on se fait l’after chez moi ?

After qui s’est terminé aux premières lueurs du jour. Comme au bon vieux temps ! Ainsi, rires, chants et chorégraphies improbables, gnôle débusquée au fin fond d’un placard, petit frichti improvisé à cinq heures du mat par Timothy, dépité de prime abord par le dénuement du contenu de mon frigo – bah oui, c’est frugal, une végétarienne au régime – et l’on s’est quittés à force embrassades – re-fuck le Covid – non sans s’être copieusement promis de se refaire ça dès que.

J’ai alors dormi deux petites heures, pas plus car j’étais un vrai ressort dans le lit. Etonnamment en forme, j’en ai profité pour faire mon ménage. Puis, la flemme. Pas de step, pas d’abdos, je suis restée en boule devant la télé pendant près de douze heures d’affilée. Et en y repensant, je n’ai que ces mots :

Ça fait du bien de revoir ses amis.

Ça fait du bien de rire.

Ça fait du bien de raconter des conneries.

Ça fait du bien de mettre des sandales à talons et de marcher comme une fille.

Ça fait du bien d’avoir des ampoules aux deux pieds.

Ça fait du bien d’avoir une mini-gueule de bois.

Ça fait du bien de nettoyer après une grosse soirée, ça prouve qu’il y a eu de la vie dans cet appartement-témoin.

SUR LA ROUTE DES VACANCES… OU PAS

–  Ça te plaît ici, Maman ?

–  Oui mais je ne sais pas où je vais ensuite.

–  Nulle part, tu es à l’EHPAD maintenant.

–  Mais après, je vais où ?

Je me mords les lèvres pour ne pas lui répondre du tac-au-tac « au cimetière », ce qui sans nul doute la ferait rire, car je repense au sermon de Tonton qui m’a enjointe ce matin d’y aller mollo avec elle…

 

Vendredi 31 juillet 2020

40 degrés ambiants, soleil au zénith et bouchons des départs en vacances : décidément, pas le bon jour pour le transfert de l’hôpital à l’EHPAD ! Heureusement que l’ambulance est climatisée !

Sur place, Maman sur son brancard, est accueillie dans le sas de décontamination par le CDC, ou équivalent : ils lui sautent dessus, l’emmaillotent dans une sur-blouse, lui collent une charlotte sur la tête, sur les pieds, gants, masque, il ne reste que les yeux qui ne soient pas emballés. Vu la chaleur, je n’ose pas imaginer ce qu’elle doit endurer.

Je lui fais coucou de la main puis ils l’emmènent prestement au loin. Je pose dans le sas son sac d’affaires, son rollator et sa canne qui doivent être décontaminés eux aussi, puis je me dirige vers l’accueil. J’essaye, du moins : je n’ai pas fait un pas et demi que l’on me crie « Halte ! » et qu’un essaim de petites mains s’affairent autour de moi. A mon tour, me voilà sous blister de la tête aux pieds et copieusement arrosée de gel hydro-alcoolique. Je me mets alors à cuire à petit feu.

L’équipe soignante vient me poser des questions, j’attends les papiers d’arrivée. J’aimerais bien aussi voir Maman dans sa chambre. Ils sont en train, apparemment, de la doucher. Alors, je patiente comme je peux, thermostat 12 fonction pyrolyse puis enfin, je peux monter la voir. Une demi-heure max et en ressortant, je dois mettre mon costume de saucisse grillée dans la poubelle jaune et en remettre une autre toute neuve pour reprendre l’ascenseur et traverser le hall d’entrée.

Ils rigolent pas ici, avec le Covid. C’est rassurant, j’imagine. Oui, je sais, il faut dire LA Covid mais je trouve discriminant de mettre au féminin toutes les catastrophes de la terre : les tempêtes, les tornades, les épidémies, les sept plaies d’Egypte… Donc moi je dis LE Covid.

Et tandis que je remonte dans le sauna de ma voiture sur le parking à peine ombragé, je revois le visage famélique de Maman sur lequel j’ai pu lire un début de panique lorsque je lui ai dit au-revoir. Je m’écroule en larmes. Je devrais me sentir soulagée mais j’ai le cœur tellement serré que j’en étouffe. J’ai l’impression de l’abandonner, comme si je l’avais attachée à un arbre sur le bord de la route.

« Tiens bon, ma petite maman, encore un peu, d’accord ? Tu es fatiguée, je sais, mais on a encore besoin de toi… Ils vont prendre bien soin de toi, ne t’inquiète pas. Et je reviens vite te voir. »

Samedi prochain. J’espère qu’elle va tenir mais cela a l’air fortement improbable. Ça s’entend à sa voix d’outre-tombe, à son élocution plus que difficile, ça se voit à ses yeux éteints et à son corps recroquevillé comme une feuille fanée, ça se sent même avec une légère odeur de formol qui suinte de sa peau…

Je chasse ces visions d’horreur d’un revers de main, je sèche mes larmes et je reprends la route pour aller chez Toto. Je passe la nuit chez lui car ils annoncent des orages violents avec des grêlons comme des balles de golf et je n’ai ni l’envie ni la force de tenter le Trophée Andros sur l’autoroute ce soir.

Et dans la touffeur de la nuit, allongée en croix sur le canapé-lit du salon, trois verres de rosé et un somnifère entier dans le coco, je ne dors pas. Je pense à Maman à sept kilomètres à vol d’oiseau, toute proche mais pourtant si loin. Je prie, je pleure. Et je finis par reprendre un somnifère pour m’assommer.

LA PUDEUR DE L’AUTRUCHE

Je me suis toujours demandé pourquoi l’autruche plantait sa tête dans le sable. Par lâcheté ou bien par pudeur ?…

 

Dimanche 26 juillet 2020

Les funérailles hier matin de la mère de ma belle-sœur. Très simples, sans cérémonie, sans un mot et encore moins de chichis. Mais pas moins de larmes. En tout cas, devant la stèle. Ensuite… Bah y avait un ‘pot’ au café du coin qui s’est transformé en apéritif géant.

Et là, j’ai commencé à tiquer. Je m’attendais à un petit rassemblement d’yeux bouffis et de nez qui coulent avec des condoléances de toutes parts mais au lieu de ça, j’ai eu l’impression de me retrouver au beau milieu d’un mariage, d’un anniversaire ou d’un baptême, je crois que peu d’ailleurs auraient fait la différence : plus de larmes mais des rires, des brailleries et des conversations à bâtons rompus sur tous les sujets sauf sur ce qui nous rassemblait, le tout copieusement arrosés de kir, de pastis et de whisky. Bref, j’ai trouvé cela quelque peu surréaliste.

Je connais bien cette communauté rurale, paysanne et bourrue pour y avoir été élevée par une famille elle-même championne du non-dit, allergique à toute démonstration d’émotions. Ici, tout est dans le torse bombé et le verbe haut, très haut. On aboie plus qu’on ne mord, cependant, malgré le panneau ‘Attention, chien méchant’ que l’on arbore sur le front de façon bravache.

Et bien sûr, on ne montre jamais ses sentiments, sous peu qu’ils ressemblent de près ou de loin à de l’amour, car c’est assimilé à de la faiblesse. Cela ne veut pas dire qu’on n’en éprouve pas, on a même souvent un cœur immense. Mais pour le voir, il faut savoir éviter les pièges à loups, sauter par-dessus les douves infestées d’alligators et défoncer la porte blindée. Les sentiments ici sont farouchement gardés comme un secret d’état.

Je pense plutôt que c’est par peur. Car ce sont pour la plupart de véritables tanks, des bulldozers équipés pour faire face à n’importe quelle agression extérieure mais si la menace vient de l’intérieur, ils ne savent pas comment réagir. Cela les déstabilise tellement qu’ils planquent tout au fin fond d’eux-mêmes et qu’ils jettent la clef. Et ils font comme si de rien n’était. D’où mon interrogation à propos de l’autruche.

Bref, le seul qui ait fait sens à mes yeux, c’est le frère de ma belle-sœur. Les yeux rougis par le chagrin, il s’est confié lors d’une cigarette partagée sur le trottoir, tout à son émotion mais répétant entre deux sanglots comme un leitmotiv « Je dois être fort »

« Et alors, c’est écrit où ? Tu as le droit de chialer et d’être une merde, tu viens de perdre ta mère ! Vas-y, le chagrin, ce n’est pas radioactif ! »

J’ai eu besoin de le bousculer et cela a semblé lui faire du bien. Mais ça m’a ramenée à mon propre chagrin, à celui qui emprisonne mon cœur depuis quelques mois et dont j’anticipe l’explosion prochaine. Je me demande comment je serai, moi, aux funérailles de Maman. Droite comme un i dans un carcan de douleur silencieuse ou geyser de larmes intarissable ?…

Une chose est sûre, cependant : devant le silence assourdissant au cimetière devant la tombe de la mère de ma belle-sœur, je sais désormais que moi, je ne laisserai pas partir Maman sans un mot.

BAGUETTE PAS SI MAGIQUE

« Bonjour, votre Maman est stable sur le plan clinique et peut désormais sortir. Que fait-on ? L’EHPAD comme c’était prévu ? Sinon, nous pouvons l’accueillir ici en long séjour. Qu’en pensez-vous ? »

Pas grand-chose, à vrai dire. Je suis désarçonnée. Ce n’est pas évident, pour le paquebot émotionnel que je suis, de braquer à 360 degrés comme ça. Y a un mois, il fallait se préparer à sa mort imminente et aujourd’hui, elle est prête à gambader…

 

Vendredi 24 juillet 2020

C’était complètement inattendu. D’ailleurs, quand j’ai vu s’afficher le numéro de l’hôpital lundi, j’ai cru que c’était pour m’annoncer son décès. Car dimanche lorsque l’on est venus la chercher pour pique-niquer dans le jardin de l’hôpital, on a pensé qu’elle est était morte dans son fauteuil. On l’a trouvée complètement hagarde, les yeux fixes au fond de ses orbites creusées, le teint cireux et baignant les fesses à l’air dans son pipi de la veille. Une vision de cauchemar.

Lors du pique-nique où je lui ai donné carrément la becquée, elle a semblé reprendre un peu vie. Je pense que cela lui fait du bien de nous voir, de voir du monde. Elle a besoin de stimulation sinon, elle se laisse complètement aller : elle ne mange plus, ne se lave plus et elle se fait sur elle. Elle attend la mort, quoi.

Comme il n’existe aucun moyen de savoir combien de temps il lui reste, déjà que c’était inespéré qu’elle soit encore en vie aujourd’hui, ce choix cornélien m’a taraudée pendant deux jours. A priori, plutôt l’EHPAD mais tout ce tremblement pour quelques jours, peut-être quelques semaines, est-ce bien nécessaire ?

Mais l’annonce du coût du long séjour de Sainte Périne a fini par nous décider : ce sera donc bien l’EHPAD à la campagne près de chez Toto comme c’était prévu. Il y aura certainement plus de soins au quotidien, elle ne sera pas seule et peut-être que ce nouvel environnement lui apportera la stimulation nécessaire pour se maintenir encore quelques mois peut-être ?…

J’ai alors déclenché le plan ORSEC pour son transfert à l’EHPAD vendredi prochain. Coordination entre les deux établissements, avec Toto qui part en vacances deux jours après, commande de l’ambulance – à notre charge, bien évidemment parce que le trajet dépasse les 150 kilomètres – et préparation des diverses paperasses.

Mon chant du cygne en la matière.

J’ai encore un peu de mal à lâcher prise, à passer le flambeau, à me faire à l’idée que je ne m’occuperai plus de rien. Je me suis d’ailleurs sentie un peu coupable de démissionner de la sorte. Mais dernièrement, ce que j’ai ressenti n’a fait que me conforter. En effet, je me suis vue agacée, limite en colère avec une patience au ras des pâquerettes, d’où le raccourcissement de mes visites. J’ai bien compris que cela ne servait à rien, que JE ne servais à rien en l’état. C’est clair désormais, je ne peux plus m’occuper de ma mère. Physiquement et moralement.

 

Demain, je vais au cimetière. Ma belle-sœur, la femme de Toto, m’a annoncé lundi que sa mère venait de décéder d’un arrêt cardiaque à 66 ans. C’est la série. Et ça ne va pas m’aider à sortir de mon décor mortifère du moment.

J’ai bien repensé à ma soirée avec Nénette qui m’exhortait à me secouer les puces et à me réinventer une vie. Ça m’a paru très excitant sur l’instant mais j’ai vite déchanté. Définir ce que j’aimerais être et faire de ma vie si j’avais une baguette magique s’est révélé être un exercice impossible pour moi.

Car qu’est-ce que je voudrais être ? Célèbre ? Riche ? Immortelle? Une super-héroïne ? Une sorcière ? Une oie sauvage ? Ou simplement moi en version ‘tout me réussit’ ?

Le croquis d’une telle fiction, mythomane et mégalo, même à vocation thérapeutique, s’est vite coincé au travers de mes neurones. De créer de toutes parts un personnage que je ne suis pas et ne pourrai jamais être, c’est souligner au stabilo toutes mes failles et ma misérabilité.

Alors, je me suis demandé ce qui comptait le plus pour moi et j’en ai déduis que, comme tout un chacun, je voulais juste être heureuse. Mais de savoir que cela ne tenait qu’à moi ne m’a pas aidée.

LES QUATRE COMMANDEMENTS DE NENETTE

« Ça va pas du tout, Bichette, tu te rends compte à quel point tu es négative ? »

Oui, ma Nénette, je le sais.

 

Samedi 18 juillet 2020

Me suis pomponnée hier soir comme pour un rendez-vous galant, j’ai préparé de belles tomates-buffala et ouvert une bonne bouteille de Malbec pour recevoir Nénette venue voir la recluse que je suis devenue.

Ma première soirée à la maison depuis une éternité ! Heureuse de briser un peu la monotonie de mes journées qui se ressemblent toutes en ce moment. Je me suis demandé cependant si Nénette n’allait pas prendre peur à me voir dans cet état larvaire.

–  J’aimerais dire que je vais mal mais c’est plutôt confortable, la néantisation. Tu vois, je n’ai pas envie de me suicider mais je n’ai pas envie de vivre non plus. J’ai réussi à sortir de l’Enfer mais je reste bloquée au Purgatoire sans savoir si j’ai envie de revenir dans le monde des vivants.

–  On dirait que tu te punis toi-même, que tu ne parviens pas à te pardonner.

–  Je ne vis pas dans le passé, pourtant, mais je ne vois pas l’avenir. Et mon présent n’est que limbes.

 

J’ai bien vu l’effarement dans ses yeux, alors j’ai tenté de la rassurer.

–  Je pourrais glisser complètement dans la déchéance mais je ne me laisse pas aller, je me lève tôt, je me lave, j’envoie mon cv, je fais ma gym… C’est plus dans ma tête, quoi. Je n’ai rien qui me challenge, rien qui me motive, rien qui me pousse dans mes retranchements, rien à espérer, rien à désirer. Je vis comme un robot.

–  Tu as pensé à reprendre un traitement pour ta dépression ?

–  J’aimerais éviter.

 

On s’est resservi du vin.

–  T’as un amoureux ?

–  Tu sais, je vis en véritable recluse, je ne sors que pour faire les courses ou aller voir ma mère à l’hôpital, donc je ne vois pas comment je pourrais rencontrer quelqu’un. Si tant est que j’en ai envie.

–  Bah les sites de rencontre ?

–  Je suis nulle à ça ! Et pis, faut se décrire, faut décrire ce que l’on recherche et c’est bien mon souci du moment : savoir qui je suis et ce que je veux. Quand bien même, je ne sais vraiment pas ce que je pourrais apporter à quelqu’un.

–  Déjà, il faut que tu arrêtes ton négativisme et que tu sois bienveillante avec toi-même.

 

La conversation ensuite est bien sûr arrivée sur Walter.

–  Quoi ? Et pourquoi tu ne l’as pas appelé ?!

–  J’appelle déjà pas mes amis… Regarde, c’est toi qui as pris l’initiative.

–  T’en as pas marre ?

–  Nan. Je sais pas.

–  Bon, il va falloir que ça change, tout ça.

 

Nénette a alors remonté les manches qu’elle n’avait pas sur sa jolie robe d’été et a pris sa voix de maîtresse d’école.

–  Bichette, ta vie en ce moment n’est qu’une grosse pelote de laine inextricable. Tout est emmêlé mais il suffira qu’un seul fil se dénoue pour que tout le reste suive. Alors, il faut que tu mettes du fun dans ta vie, des potins, du rock n’roll, bordel de merde ! Alors, tu vas commencer par t’inscrire sur Meetic. Même si tu n’y rencontres pas l’homme de ta vie, tu sortiras, tu iras boire un verre, tu parleras, tu vivras, quoi.

–  Les Quatre Commandements de Nénette !

 

On s’est mises à rire. Bref, ce remontage de bretelles que j’avais trouvé de prime abord bien inoffensif, a commencé à faire son chemin. Et finalement, il a fait le job.

–  Et ton blog, là, ça sert à rien. Il faut que tu en fasses un bouquin. Et si ta vie actuelle est morne plaine, tu n’as qu’à en inventer une autre. Va dans la fiction, rêve, imagine ! Mais vas-y à fond, sois extraordinaire, flamboyante, deviens une icône !

–  Euh… D’accord.

SOIGNEUSE D’ELEPHANTS AU SERENGETI

« Tu es sur Paris ? Peut-on s’appeler ? »

Le seul truc excitant de cette semaine où je n’ai pas mis un pied dehors, sauf pour récupérer mon colis hier auprès du livreur de DHL qui ne voulait pas monter dans les étages.

Vendredi 10 juillet 2020 – DECONFINEMENT J+61 – FIN DE L’URGENCE SANITAIRE

Enfin, excitant… Oui, après deux mois de silence radio, j’avoue que cela m’a sortie de la torpeur dans laquelle je me suis emmitouflée depuis quelques temps. Mais cela n’a pas été plus loin. Pas plus de sa faute que de la mienne, en fait, car je savais pertinemment que le ‘on’ voulait dire ‘Lequel de nous deux va appeler l’autre en premier’ et que bien évidemment, ni l’un ni l’autre ne l’a fait.

Je n’ai pas réussi à me motiver, à me dire que je n’avais rien à perdre, qu’un simple coup de fil pouvait changer la donne. A vrai dire, je n’ai même pas essayé. J’ai repensé au rêve que j’avais fait et j’ai compris que je devais me faire confiance pour que les choses changent. Que cela n’en tenait qu’à moi. Beaucoup plus facile à dire qu’à faire.

Je ne me trouve aucune excuse mais une seule circonstance atténuante : ma situation actuelle qui me momifie littéralement sur tous les sujets. C’est ça, je me suis enfermée toute seule dans un sarcophage. Avec ma malédiction mais sans les scarabées. Et d’une certaine façon, ça me convient. Je suis lâche en ce moment.

Je me demande tout de même ce qu’il devient. Est-il en vacances ? Voit-il quelqu’un ? Où habite-t-il ? Je me rends compte que je ne sais absolument rien sur lui, sur sa vie, son quotidien. Pas plus qu’il ne connaît le mien, je présume.

Et toutes ces histoires d’amour maudit, d’amour impossible dans les films et les bouquins ne peuvent m’empêcher de constater, un peu amère, qu’au moins eux, ils ont eu un semblant d’histoire à laquelle s’accrocher, alors que moi, nada. Juste une poussière d’étoiles. Un fantasme dans toute sa splendeur.

Bref, Walter réapparaîtra sans doute dans quelques temps et suivant mon stade de décomposition mentale, j’entrerai dans la danse ou pas.

 

R.A.S. Maman. Ni plus, ni moins au niveau de ses analyses. Ils ont arrêté les antibios, du coup, elle a retrouvé un peu la pêche mais surtout, elle n’est plus en isolement et l’on peut la sortir se promener dans le jardin de l’hôpital. En fauteuil roulant, bien sûr. Tonton s’est empressé de lui  faire son baptême mardi et elle a beaucoup apprécié. Dimanche, j’irai avec Toto. Eh oui, avec mes petits bras atrophiés de mini-tyrannosaure, je ne peux pas faire grand-chose toute seule.

Bref, elle est enfin parvenue à se faire à l’idée qu’elle a besoin d’aide pour à peu près tout, désormais, buzzant les infirmières à tout va. C’est clair, elle a la patate. Et ne s’est pas départie de son esprit de contradiction :

– Je fais tout ce que je peux pour sortir d’ici !

– Tu manges ?

– Bah nan…

Si seulement elle ne rechutait pas et que son état pouvait se maintenir… Je n’ai pas annulé son assurance pour l’EHPAD, ni son abonnement de portable même si celui-ci est éteint, j’ai laissé les choses tel quel car j’ai encore espoir…

 

R.A.S. également pour ma recherche d’emploi. Ça commence sérieusement à me déprimer. Financièrement, ça va encore mais je me pose de plus en plus de questions. Je savais que j’allais ramer un peu à cause de mon âge et de l’atypisme de mon parcours mais à ce point-là… Alors oui, le Covid. Mais même. Ai-je vraiment les compétences requises pour le type de postes que je recherche ? Aurais-je la force de me remettre à niveau ? Est-ce que je ne me berce pas d’illusions de grandeur ? Et pourquoi ces postes qui, je dois bien l’avouer, ne me remuent pas la petite cuillère plus que ça ?

Alors, j’ai exploré d’autres pistes, comme différentes formations de métiers qui me plairaient. Je viens juste de m’inscrire au Pôle Emploi, je peux peut-être espérer de leur part une aide au financement.

Bref, le médical me plaît. Urgentiste, plus précisément. Mais bon, il faut faire médecine et tout ça, ce n’est pas une petite formation de six mois avec un diplôme en cellophane. Auxiliaire ambulancier, éventuellement…

Puis, je tombe sur une formation de soigneur-animalier. Ça, ça me plaît énormément. Finalement, je préfère soigner un rhino plutôt qu’un alcolo du samedi soir, y a moins de vomi.

Comme ça, je pourrais amorcer le dernier quart de ma vie comme cela m’est toujours apparu dans mes rêves : soigneuse animalière dans le parc du Serengeti en Tanzanie. Oui, je sais, c’est à l’opposé du Montana et je ne suis pas Dian Fossey. Ça n’empêche que je me suis toujours vue en train de faire un pansement à un éléphant en pleine savane. Vieille, seule mais accomplie.

La formation a l’air dans mes cordes et pas ultra onéreuse mais… elle dure deux ans ! Je fais comment pour payer le loyer, en attendant ? Je me prostitue ? Nan, je n’en suis pas capable et j’imagine que mon âge, là aussi, poserait un problème à l’entretien d’embauche ! Ha ha ha !!

Bref, peut-être un petit job sans grande implication comme femme de ménage, pardon, agent de nettoyage. Mais c’est un plan de carrière à étapes multiples qui ne s’envisage pas comme ça. J’ai aussi des dettes à éponger, donc ça se réfléchit.

J’ai également regardé le truc des traductions à distance que m’ont recommandé Zane et Lewis. Je ne suis hélas pas allée bien loin car le cursus est extrêmement scolaire avec un background pédagogique solide dont je ne dispose absolument pas.

Mais l’écriture en elle-même est peut-être une piste à explorer ? Mais écrire quoi ? Ce blog étant totalement à but non-lucratif, je ne sais pas trop. J’ai bien quelques idées, j’ai déjà écrit plusieurs nouvelles, des trucs assez potables mais pas suffisamment époustouflants pour me faire éditer. De plus, ce qui marche de nos jours est plus visuel comme You Tube et compagnie. Mais ça, c’est réellement hors de ma galaxie !

Tant pis, je ne vivrai pas de ma plume.

Enfin, on m’a demandé dernièrement si je pouvais reconsidérer un job dans la restauration. Non, je ne me sens ni la force ni l’envie de rempiler pour 12 heures par jour 6j/7j. Cependant, je veux bien explorer la piste d’un job de caviste. C’était mon plan Z qui est devenu par la force des choses mon plan B. Après tout, j’ai un diplôme et la passion chevillée au corps. Alors, je réponds à ce genre d’offres :

Sommelier caviste H/F

Vitrine de l’œnologie française, venez découvrir l’une des plus belles collections de vins au monde. Les Caves de Taillevent proposent un choix unique parmi plus de 2 000 références de vins et spiritueux, des appellations les plus célèbres aux plus confidentielles. Grands classiques, grands crus, vins atypiques et étoiles montantes, venez rejoindre notre équipe et conseiller nos clients pour une sélection sur-mesure.

Nous recherchons en CDI un Sommelier-Caviste (H/F), sous la responsabilité du Directeur, vous aurez pour missions :

– Accueil / Conseil / Vente de vins et spiritueux
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Savoir-faire et savoir-être :
– Connaissances en vins et spiritueux avec expérience en sommellerie et/ou caviste
– Sens du relationnel
– Sens de l’organisation
– Passion pour les vins, spiritueux et gastronomie
– Anglais parlé et écrit
– Excellente présentation

La perspective d’être en contact permanent avec la clientèle ne me réjouit guère mais je ne peux plus me permettre de faire la fine bouche. On verra bien.

 

En me regardant dans le miroir cette semaine, j’ai trouvé qu’il y avait un truc qui clochait. La gym que j’ai reprise activement a bien commencé à porter ses fruits mais j’ai grossi. Rien à voir avec les muscles qui pèsent plus lourd que la graisse car je ne suis pas remontée sur la balance depuis son dernier constat désobligeant. Non, je le vois aux vêtements qui me serrent et bien sûr dans le reflet vexant de ce fichu miroir.

J’ai fait quelques petits calculs : zéro activité + chips = environ 500 calories par jour qui squattent. La gym ne fait que limiter les dégâts, sans grande conviction, toutefois. Alors, j’ai décidé de me secouer pour de bon. J’ai arrêté les chips, j’ai redoublé d’efforts sur mon tapis de gym et j’ai acheté 2,5 kilos de Protein Meal Replacement Blend, les substituts de repas protéinés, quoi.

J’ai pris de mauvaises habitudes lorsque j’avais le restaurant avec mon seul jour de repos en croix devant la télé avec mon paquet de chips. Mais à l’époque, vu que je dépensais 4.000 calories par jour, ça n’avait aucune incidence.

Il faut donc que je réadapte mon alimentation à ma dépense calorique qui est très faible. Ce n’est certes pas vraiment la situation idéale en ce moment où je coquille très souvent devant la télé mais je me motive en me disant qu’il est hors de question d’avoir sué sang et eau pendant des mois pour rien. Mais d’abord, je dois perdre le surplus. D’où le slim-fast.

Déjà que je commence à accuser mon âge avec un grain de peau qui se rapproche de plus en plus du papyrus, quelques petits cheveux blancs que je camoufle comme tout le monde avec une coloration et une estime de soi dans les chaussettes, si en plus je ressemble à Madame Patate, c’est la fin des haricots.

FANTÔME DANS LA Wii

Une semaine de bonne grosse bulle. Par désœuvrement plus que par fainéantise. Car la situation entre deux eaux de ma mère me fige littéralement. Je ne sais pas quoi espérer, quoi ressentir et bien évidemment, je ne sais pas quoi faire. On nous a dit qu’elle pouvait partir à tout moment mais l’espoir d’une petite rémission n’est pas exclu pour autant. Elle peut aller mieux puis rechuter. Elle peut aussi s’éteindre à petit feu. Et il n’y a plus rien que l’on puisse faire.

Juste attendre. Mais attendre quoi, au juste ?

Vendredi 3 juillet 2020 – DECONFINEMENT J+54

Je tourne en rond. Comme je ne travaille pas, je ne peux même pas me changer les idées. Je suis confinée avec moi-même 24/24 dans une tour d’ivoire sans portes ni fenêtres et sans plus aucune envie de communiquer avec l’extérieur. Je ne pleure pas, je ne ris pas, je ne pense pas et je me réveille chaque matin plus vide que la veille.

Et lorsque mon semblant de planning journalier touche à sa fin, je me roule en boule sur la banquette et je m’abrutis de séries. Les plus anciennes, les plus longues, les plus débiles, n’importe quoi, pourvu que je puisse me projeter dans un ailleurs, dans une autre famille, dans d’autres intrigues et dans d’autres tourments que les miens.

Je suis un zombie. Et cette fois, ça n’a rien à voir avec la fibromyalgie. Je ne vais même pas trop mal physiquement, ce qui est très paradoxal. L’ibuprofène que j’ai forcé ma doctoresse à me prescrire, doit aider beaucoup. Oh je ne saute pas comme un cabri mais je parviens à suivre mon nouveau programme de gym sans trop de difficultés.

J’ai même repris la Wii. J’ai essayé, du moins. Car je ne sais pas si c’est parce qu’elle boude du fait que je l’ai délaissée pendant quelques semaines et qu’elle me met des taquets en représailles ou si c’est parce qu’il y a… un fantôme dans ses circuits.

Des ombres passent furtivement en bas de l’écran et des éléments de décor que je n’avais jamais vus auparavant apparaissent puis disparaissent dès que l’on change de niveau, comme un très étrange château médiéval le long du parcours de golf et des tentures baroques en fond de scène où je fais mon step. Et mon personal trainer, qui a toujours été d’une courtoisie impeccable même si un peu mièvre, se permet maintenant des réflexions très désobligeantes.

Bref, bizarre tout ça. Et ce ne sont pas les piles ! Donc, si c’est bien un fantôme, c’est un fantôme tricheur, en plus : mes performances sont systématiquement rabaissées, mon temps chrono est diminué et les scores sont arrangés en ma défaveur, même lorsque ma victoire est flagrante. J’ai donc ajouté une nouvelle activité à mon programme quotidien : je vitupère.

Faudrait peut-être que je fasse un mail de réclamation à Nintendo ?…

 

J’ai fait un rêve il y a quelques nuits, de ceux très vivaces qui restent collés aux basques toute la journée. Aujourd’hui encore, j’en perçois les réminiscences, même si je ne suis toujours pas parvenue à en comprendre la signification.

Dans ce rêve, j’avais rapatrié Maman à la maison et elle se plaignait que sa chambre avait changé. Je lui disais qu’avant, c’était tout noir et poussiéreux, que ça sentait la mort et que désormais la lumière devait entrer. J’ai alors ouvert les lourds rideaux de velours sombre et le soleil a envahi la chambre aux murs retapissés de fleurs roses…

Ensuite, j’ai rêvé de Walter. Je n’ai pas de souvenirs précis à part le fait qu’à un moment donné, il m’a pris le visage dans ses mains et m’a regardée droit dans les yeux en tentant de me convaincre de quelque chose. Je me souviens que j’étais sur la défensive puis que je me suis laissée aller, finalement, à lui faire confiance.

Enfin, dans ce rêve à tiroirs, je me suis vue faire mes bagages, une carte géante des Etats-Unis déployée sur mon lit. J’avais un crayon et je devais dessiner mon itinéraire. Je me souviens m’être dite que Maman étant partie, j’avais besoin d’un long road-trip pour faire le point sur ma vie.

Etrange, ce rêve, car il veut dire tout et rien à la fois. Pertinent mais indéchiffrable. Criard et mystérieux à la fois.

19.30. Ça fait trois soirs d’affilée que le bruit de la terrasse du restaurant en bas me casse les oreilles. J’imagine, vu l’époque, que ce sont des pots de collègues qui fêtent l’arrivée des vacances. Mais est-ce une raison pour beugler et cacarder de la sorte ?! Une vraie basse-cour ! Vraiment, ce n’est pas l’envie qui me manque de leur balancer un seau d’eau mais je me souviens qu’un soir, un voisin du dessus, excédé lui aussi, l’avait fait et que cela n’avait fait qu’ajouter de copieuses injures à leurs braiements.

Alors oui, c’est chouette, les restaurants et les bars font le plein, sur Paris en tout cas. Ils vont peut-être réussir à sauver leur année, tant mieux pour eux et tant pis pour ma tranquillité. Et cette reprise s’est confirmée ce matin quand Kevin m’a appelée pour me dire qu’il avait enfin retrouvé du boulot.

Je suis foncièrement contente pour lui. Bon, ce n’est pas forcément le job de ces rêves, mais d’après ce qu’il m’en dit, cela a tout l’air d’être un sacré bon plan quand même : 3.000 euros nets, horaires continus 9.00-18.00 et repos samedi dimanche ! Même pour faire de la bouffe de brasserie, cela ne se refuse pas. Ça lui permettra d’attendre confortablement un poste plus à la hauteur de son talent.

Bref, il a souhaité revoir Maman une dernière fois, au cas où, alors on s’est organisé une visite pour demain après-midi. Faut pas qu’il s’attende à la trouver en méga-forme. Surtout qu’elle est encore tombée ce matin car elle ne tient plus debout. Elle s’entête à penser qu’il n’y a personne pour l’aider, malgré l’énorme bouton rouge d’appel à côté de son lit, du coup elle veut faire toute seule et se vautre car elle n’a plus de forces. C’est la troisième fois depuis qu’elle est là. Cela ne m’étonnerait pas qu’elle le fasse exprès car elle m’a dit dernièrement « Si seulement je pouvais caner vite fait ! »…

Elle vise la tête à chaque fois mais cette dernière doit être particulièrement dure car les scanners ne montrent aucun traumatisme. Mais ce matin, elle s’est ouvert la jambe quand même. Du coup, j’ai eu droit au courroux de son frère qui ne comprend pas pourquoi je n’exige pas les séances de rééducation avec un kiné comme c’était prévu au début.

On rééduque ce qui a un espoir de fonctionner à nouveau un jour. Dans le cas de Maman, c’est inutile car ses muscles sont atrophiés à cause de l’anémie due aux cellules cancéreuses qui gagnent du terrain chaque jour un peu plus. Je pense qu’il faut se faire une raison : elle ne marchera plus.

Je sais que c’est dur pour mon oncle, il aimerait tant pouvoir faire quelque chose. Il vient la voir souvent, il lui apporte du jus de grenade car c’est bon, paraît-il, pour le sang, il a même tenté une fois de la faire sortir de sa chambre sur son fauteuil à roulettes, mais bien évidemment ils se sont fait choper par l’infirmière en chef… Telle sœur tel frère…

De la voir décliner ainsi et d’être parfaitement impuissant, c’est insupportable pour lui. Je pense qu’il est encore dans le déni et qu’il refuse de perdre espoir. D’où sa colère. Je ne peux malheureusement rien faire d’autre que de l’envoyer gentiment sur les roses en l’invitant à parler avec la médecin qui s’occupe de Maman.

J’ai fait ce que j’ai pu, je fais ce que je peux. Même si je comprends que l’on trouve que ce ne soit pas assez.

MC COFFIN & DJ GRAVESTONE

– Je suis contente d’entendre ta voix ! Qu’est-ce que tu me racontes, ma cocotte ? Moi, je ne fais rien, je suis trop faible et feignasse de nature. Je croyais que j’allais à l’EHPAD ?

– Dès que tu iras mieux, promis, M’man.

Difficile de lui dire autre chose. Et certainement pas qu’hier, Toto et moi sommes allés préparer ses obsèques.

Dimanche 28 juin 2020 – DECONFINEMENT J+49

Les pompes funèbres. Les professionnels du marchage sur des œufs et du ton monocorde. J’imagine que ce sont des prérequis. Pas un mot plus haut que l’autre, des phrases toutes faites, le sourire vaguement affable et le regard à la Droopy.

Rien que le décor, on a l’impression d’entrer dans un cercueil géant. Et malgré les 25 degrés ambiants, l’atmosphère est froide comme le marbre de leurs stèles d’exposition.

Bon, en même temps, on ne s’attend pas à ce que ce soit rock n’ roll. Dommage, j’aurais bien aimé qu’on m’aide à dédramatiser. Dans bien d’autres cultures, la mort est plus joyeuse, ce qui n’enlève en rien sa solennité.

Et dans ce petit bureau triste et suranné, un écran de plexiglas posé sur deux piles de ramettes de papier entre Madame D. et nous, on a déroulé pendant une heure et demie la litanie des modalités des obsèques de Maman. Quel cercueil, quel type de poignées, la couleur du capitonnage, la longueur de la gerbe florale, la forme de l’urne funéraire…

Comme tout était moche et que foncièrement je n’en avais rien à carrer, trop occupée que j’étais à me mordre les lèvres pour ne pas fondre en larmes, j’ai laissé mon frère choisir. Il y a juste pour le choix du cercueil que j’ai donné mon avis : comme tout va à la crémation, le cercueil en chêne laqué à 6.000 balles et le coussin bleu ciel à pompons à 300 balles, bah non merci.

J’ai buggé aussi lorsque Madame D. nous a demandé si l’on souhaitait prévoir un temps de parole avant la crémation : impossible de me rappeler si on l’avait fait pour mon père et impossible de savoir si on veut le faire pour Maman.

– C’est normal d’avoir des blancs. Avec toutes ces émotions, on perd facilement les pédales. Mais peut-être puis-je vous aider ?

Elle a alors sorti un bouquin d’un tiroir dans un geste obséquieux… Hola, range ton missel de poèmes moisis, si jamais je veux dire quelque chose, crois-moi, ce ne sera pas une citation de Victor Hugo !

Bref, elle a continué avec les fringues de Maman, le salon funéraire, la publication dans la presse locale, les faireparts et les remerciements, le choix du maître de cérémonie et là, j’ai tiqué. Quoi ?!? MC Coffin et DJ Gravestone ?!! Pourquoi pas une boule à facettes, aussi ?!!

J’ai trouvé cela d’une absurdité sans nom. C’est le même business que celui du mariage. Les invités, la robe, la cérémonie religieuse et/ou civile, la publication des bans… Je me suis même attendue à ce qu’elle nous propose de choisir la pièce montée et la destination du voyage de noces !

J’ai fini par en rire nerveusement jusqu’à ce qu’elle nous donne à signer le devis et là, j’ai arrêté de rire. On a voulu grosso modo les mêmes prestations’ que celles pour mon père, on s’attendait à une légère inflation mais pas à ce point : 2.400 euros en plus !!!

Il y a effectivement certains secteurs économiques qui ne connaissent pas la crise. Bah vous pourriez en profiter pour relooker vos boutiques qui vendent la mort avant même d’en signer le contrat. Je sais pas, moi, un peu plus funky. A ce prix-là, on pourrait même avoir Elvis en MC.

 

J’ai passé la soirée chez Toto. On a discuté de ce qu’on allait faire des affaires de Maman stockées dans son garage. Je n’ai plus de place chez moi ni les fonds pour reprendre un garde-meubles mais on n’a pas le cœur de tout bazarder. Alors, Toto fera construire une deuxième cabane de jardin. Ce sera un peu notre mausolée à nous. Et un abri à vélos.

Sur la route du retour, j’ai mis la musique à fond, chanté à m’en faire éclater les cordes vocales et fait des solos de batterie comme une folle. Ouais, ouais, je sais, tout en conduisant à fond les ballons. Mais j’avais besoin de me défouler, de hurler, de m’assourdir. Et ma voiture est le seul endroit où je peux épargner les voisins.

Bref, ça m’a fait un bien immense. C’est ça que je devrais faire en ce moment, rouler sans but la musique à fond. Pas très écolo, je l’admets, mais je rêve d’un road-trip sans fin accompagnée de Korn et de Rammstein

Je rêve aussi de funérailles vikings et de ZZ Top en druides. Pour moi, hein, pas pour Maman. Même si je doute qu’un quelconque croquemort me signe ce genre de devis. Mais bon, va falloir que j’y pense sérieusement car comme je n’ai plus personne, ce sera à Toto d’organiser mes obsèques.

Et vu que j’ai failli m’emplafonner sur l’autoroute, cela pourrait arriver plus vite que prévu.

Alors, il ne faudra pas oublier de faire un procès à l’état qui impose aux cigarettiers français de produire du tabac qui s’effrite et des tubes qui partent en lambeaux dès la première taffe. Tout ça pour qu’on achète des paquets de clopes à 10 balles. Quels vicelards hypocrites, quand même !

Bref, ma clope est partie en queue de sucette et une boulette de tabac incandescent est tombée sur mon siège. Je me suis alors tortillée dans tous les sens pour éteindre le début d’incendie tout en essayant de garder le contrôle de ma voiture à 130 à l’heure sur l’autoroute. Au final, plus de peur que de mal et un trou dans mon siège.

A la maison, je fume la tête dans le cendrier pour éviter d’en mettre partout. Pff il faudrait que je fasse un go-fast en Belgique pour ramener du tabac digne de ce nom… OK, dès que je retrouve un semblant de vie normale financièrement parlant, parce que c’est un go-fast à 500 euros entre l’essence, le péage et le tabac que j’achète par seaux.

Je pourrais commander sur internet mais il faut savoir que les douanes confisquent d’emblée et qu’on peut toujours se brosser pour se faire rembourser ! C’est l’hypocrisie suprême de l’état français, une main devant et une main derrière, limite une arnaque en bande organisée.

Bref, comme si cela allait me faire arrêter de fumer.

EQUINOXE

 

Premier coup de semonce de la canicule. J’arrive cependant à garder un semblant de fraîcheur dans l’appartement et j’ai encore mes chaussettes, donc ça va. Je déteste avoir froid aux pieds.

Ils annoncent un été torride. Pire que l’an dernier. Quand je repense aux 32 degrés au thermomètre du salon volets et fenêtres fermés, j’en transpire déjà. Même si je supporte bien la chaleur, héritage génétique, je ne l’aime pas pour autant. Et de façon paradoxale, je n’aime pas la clim non plus. Rien de tel pour choper la mort. Et en ce moment, il vaut mieux éviter d’éternuer en public car on peut se faire lyncher.

Vendredi 26 juin 2020 – DECONFINEMENT J+47

Je consulte toujours les offres d’emploi, qui sont les mêmes pour la plupart. Par habitude, j’imagine. Je reçois quelques réponses du style ‘Merci mais non’… Bref, il faudrait certainement que j’explore d’autres canaux de recherche, Indeed par exemple, mais du peu que j’ai pu en voir, cela ne me correspond pas vraiment. Ça tutoie à tout-va, le descriptif des postes est tout sauf concis, tout est dans la ‘win attitude’, donc plutôt pour les 20-30 ans, quoi.

La reprise de l’activité économique reste fluette et les embauches très éparses, la priorité étant donnée aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail avec des aides massives de l’état et des contrats d’alternance à gogo. Je suis d’accord mais qu’en est-il des mi-figue mi-raisin comme moi qui de plus, touchent zéro euros de chômage ?

Et à écouter les experts à la radio qui font état de l’ampleur terrifiante de cette récession sans précédent, cela annihile mes derniers espoirs. Les redressements judiciaires, les liquidations, les plans de sauvegarde, tout ça fait froid dans le dos. On parle de deux ans pour éventuellement s’en remettre. Mais on fait quoi pendant ce temps-là ?…

Bref, je repense à mon interview où j’ai vraiment dû merder. Quand même, ils auraient pu se donner la peine de me dire qu’ils ne donneraient pas suite. Pas très correct, je trouve. Donc voilà, je n’ai pas d’autres pistes. Peut-être que je devrais regarder de plus près ces missions de traduction dont m’ont parlé mes amis américains Zane et Lewis ? Même si c’est à la pige, ce serait toujours mieux que rien.

Zane et Lewis, une amitié hors du commun depuis 14 ans. On ne se voit pas souvent mais notre lien est indéfectible. Ils me manquent, j’ai hâte de les revoir. Dans ma boîte à bidules, j’ai gardé les petits pots de graines à planter de leur mariage. C’est un de mes plus beaux souvenirs. Moi et Sean à l’époque, on avait fait le voyage sur quatre jours, cela avait même laissé le douanier pantois à l’aéroport avec notre ‘purpose of the trip’

11.00. J’appelle Maman, elle a l’air d’aller bien aujourd’hui. Hier aussi, apparemment, lucide et bien ancrée dans la réalité. Elle s’est d’ailleurs plainte à son frère venu la voir que je ne restais pas longtemps lors de mes visites. Je prétexte à chaque fois qu’il vaut mieux avoir des contacts brefs pour éviter de la contaminer mais la vérité, que je ne peux lui avouer, est que c’est trop dur pour moi.

En effet, je supporte de moins en moins la marche en crabe des médecins, leur ton feutré et leur regard compatissant. Je sais que ce n’est pas facile, même lorsqu’on est professionnel, d’annoncer aux enfants la mort imminente de leur mère, ça doit se faire avec tact et compassion. C’est le cas. C’est juste moi qui n’y arrive plus.

Elle a dit aussi à son frère qu’elle n’avait que des bons souvenirs lorsqu’elle était chez moi, ‘comme un coq en pâte’ selon elle. C’est bizarre, elle ne se souvient pas de la tortionnaire que j’avais l’impression d’être avec elle, elle ne se souvient pas que je lui criais dessus à tout bout de champ. Ou elle choisit de ne pas se souvenir. Tant mieux pour elle. C’est juste que moi, ça ne fait que gonfler à bloc ma mauvaise conscience.

Oui, elle ne pouvait plus rester chez moi, oui je ne pouvais plus m’en occuper, physiquement et psychologiquement et oui j’avais hâte mais jamais je n’ai souhaité cet aller simple pour le mouroir d’un hôpital. Et ma décision raisonnée de ne pas la reprendre chez moi rajoute une couche à ma culpabilité.

Et donc tout ça fait que j’ai de plus en plus de mal à la voir, à lui parler. Parfois, j’ai hâte que cela se termine. Je repense à mon père qui voulait que je l’aide à partir. Maman n’est pas aussi atteinte que lui et ne souffre pas mais est-ce encore une vie pour elle, allongée toute la journée sans pouvoir sortir ? Dois-je faire tout mon possible pour prolonger sa vie ? Dois-je me battre pour son transfert à l’EHPAD et la mise en place des soins palliatifs ? Dois-je m’acharner égoïstement pour ne garder que l’ombre d’une mère ? Coûte que coûte, même à son encontre ?

Dois-je demander à nouveau l’aide d’Harry ?

LE PAPILLON

 

Le banc juste en bas de chez moi sous mes fenêtres a disparu. Il a été remplacé par deux chaises urbaines et je me demande bien pourquoi. Limiter le squattage ?

Mardi 23 juin 2020 – DECONFINEMENT J+44

Avec le déconfinement presque total, l’activité dans la rue s’est amplifiée. Le bruit aussi, donc. Et avec le retour du temps estival, la terrasse du restaurant en bas est pleine à craquer, surtout le soir. C’est comme ça, il faut faire avec. Je me dis que cela fait un bruit de fond, une présence dans le silence mortifère de mes pensées du moment.

Ma crise aura duré cinq bons jours dont trois passés entièrement au lit, bardée de douleurs et vidée de toute substance de vie. Je vais mieux aujourd’hui, j’ai ressuscité et presque retrouvé mon dynamisme légendaire. J’ai surtout raccroché les wagons.

Je sens à nouveau au fond de moi l’envie d’en découdre. Et j’ai pris la décision de ne plus laisser mes douleurs m’handicaper. Que je fasse ou pas, j’ai mal alors autant faire. J’ai même renforcé mon programme de gym car avec ces dernières semaines d’inactivité, tout le bénéfice que j’avais tiré de mes longues heures de sport durant le confinement, bah est parti en fumée. J’envisage même de me remettre à la boxe. A voir le club d’à-côté s’entraîner dans le parc m’a redonné envie.

Je ne pleure presque plus. Il faut que je sois prête à affronter ce qui m’attend bientôt. Et le point sur l’état de ma mère que me fait la médecin de l’hôpital ne fait que confirmer qu’il faut se hâter. Alors, je me mets à fouiller ma paperasse pour retrouver le plan obsèques qui prévoit bien la couverture des frais mais pas les modalités des dernières volontés de Maman qui s’en remet à moi.

Mon père n’avait absolument rien prévu pour lui et à chaque fois que j’avais essayé d’aborder le sujet, il m’avait envoyée balader. Je me souviens donc de la panique quand il est parti, ma mère à l’ouest et moi devant aller choisir en urgence le cercueil et préparer les obsèques…

Je ne veux pas du même boxon pour Maman, je pense qu’on aura déjà assez à faire avec notre chagrin. Je préfère tout border avant alors j’appelle les organismes puis Toto pour qu’on s’organise. Ainsi, samedi prochain, nous irons lui et moi aux pompes funèbres pour signer le contrat et… choisir le cercueil.

Nous choisissons de prévoir la mise en bière et l’incinération dans la petite ville où elle sera inhumée dans le caveau où sont déjà mon papa et mes grands-parents. Demain, lorsque j’irai voir Maman à l’hôpital, il faudra que je donne les coordonnées des pompes funèbres au docteur.

Je fais tout ça sans verser une larme. En fait, je me retiens. Je vais faire face. Je dois. Au moins pour mon frère qui est dépassé. Je sens bien qu’il est dans le déni et qu’il préfère s’en remettre à moi, sa grande sœur. Une dernière fois. Après, je revendiquerai mon droit à la dérive.

 

18.00. Toujours pas de réponse du cabinet d’architectes. Je trouve cela un peu long mais je ne les relance pas car cela ne sert à rien. Et peut-être que c’est mieux de ne pas avoir de job en ce moment. Avec le décès de Maman qui se profile, je pense que je n’aurai certainement pas la tête à autre chose.

J’aimerais être un papillon. Voletant de fleur en fleur sans le moindre souci. Bon, il paraît qu’ils préfèrent les charognes en décomposition, comme je suis végétarienne, bah je suis une abeille.