Blog

CANICULE & MUTINERIE

« … La ville de Paris va bientôt imposer le port du masque dans certains espaces publics à l’air libre très fréquentés et cela ne plaît pas du tout aux résidents… »

C’est comme pour l’écologie, on est pour, du moment que l’on ne nous empêche pas d’utiliser notre voiture quand on veut, d’acheter un nouveau portable tous les ans et des fringues pas chères.

Dimanche 9 août 2020

L’ambivalence de la plupart d’entre nous me hérisse le poil. Profondément individualistes, faussement solidaires, vaguement patriotes, on se fédère et on obéit si et seulement si cela ne touche pas à notre pré carré. Car on déteste la privation de libertés. Pas étonnant que les restrictions liées au Covid commencent à taper sur le système.

« Mon masque est dans mon sac car il fait trop chaud ! Là, ce sont les vacances et j’ai envie d’en profiter. Déjà qu’on a été confinés pendant deux mois… »

Tu feras moins ta faraude, ma grande, lorsqu’on sera re-confinés. Au train où vont les choses, dans pas longtemps.

Bref. Moi, ce ne sont pas tant les restrictions et les recommandations en tout genre qui m’insupportent mais la façon dont on essaye de nous les inculquer. On s’adresse à nous comme à des débiles profonds, tout en marchant sur des œufs et en appelant à notre sens civique.

Si la santé publique est en jeu, arrêtez votre marche en crabe, les gars, et imposez, obligez, dictatoriez ! Alors oui, l’économie blablabla… Deux poids, deux mesures. Un peu comme pour le tabac, hein ? Arrêtez de fumer, c’est mauvais pour la santé mais achetez nos cigarettes pour faire rentrer des sous dans les caisses de l’état….

A force d’avoir un pied sur l’accélérateur et l’autre sur le frein, ça n’inspire pas l’adhésion. On en arrive même à soupçonner un complot machiavélique pour nous asservir. Il n’y a qu’à voir les manifestations ‘anti-corona’ qui fleurissent un peu partout dans le monde où le rejet du masque est devenu un geste politique contestataire… Je ne cautionne pas mais je comprends.

Bon, ce n’est pas parce que moi, je respecte les consignes à la lettre que je suis plus civique que les autres. Le masque, la distanciation, le confinement même me vont bien, j’imagine que si cela me soulait, je serais la première à râler.

Mais j’aime pas quand on me parle comme si j’étais neuneu. D’où ma petite révolte du moment. Je supporte de moins en moins quand ils l’ouvrent sur tout à tout bout de champ, comme des pseudos patriarches bienveillants. Tout y passe. Ça fait un bout de temps déjà que je ne regarde plus la télé mais je crois que je vais bientôt aussi boycotter la radio.

« Ne mettez pas la clim ni le ventilo, ça propage le virus. » Ah parce qu’il a des ailes, le corona ?!

« Faites une pause toutes les deux heures sur la route et mangez léger pour éviter la somnolence. Voici nos recettes de déjeuner light… » Sont jamais allés dans un restoroute, eux, où les pommes ne l’emportent jamais contre les sandwiches, les chips et les Snickers.

« Ne vous exposez pas trop au soleil pour éviter les cancers de la peau et mettez de la crème solaire. »    Je croyais que ça polluait la mer ?…

« Soyez bienveillant avec vous-même, pardonnez-vous, chouchoutez-vous car le bien-être est fondamental. » La dépression n’est pas une maladie honteuse.

« … Mangez bio, mangez sain, évitez la viande, les plats préparés, le Mac Do, faites vous-mêmes, modérez l’alcool, buvez dix litres d’eau,  triez vos déchets, apportez vos bocaux pour faire vos courses, traversez dans les clous, respectez les limitations de vitesse, ne faites pas de doigt d’honneur aux radars, mettez une capote, de la crème solaire donc et ne dites pas de gros mots… »  TA GUEULE !!!

 

En revanche, je n’entends jamais : « Ne jetez rien sur la voie publique, dans la mer, sur les petits chemins de randonnée et gardez vos ordures dans votre poche jusqu’à temps de trouver une poubelle, n’abandonnez pas votre chien sur le bord de l’autoroute, encore moins votre mémé, et ne jetez pas votre tortue de Floride dans les toilettes, bande de gros dégueulasses !!! »

Parce que moi, l’écologie, c’est mon dada. Une prise de conscience que j’ai eue en 2009. A l’époque, je bossais dans une boîte de télécom et réseaux avec un trajet quotidien en voiture de deux heures aller et retour. Un soir en rentrant, j’étais dans ma voiture en plein bouchon et l’absurdité de ma vie m’est apparue clairement : le carbone que j’émettais chaque jour toute seule dans ma voiture pour apporter ma pierre à l’édifice de la consommation ultra-polluante, valait-il que je rabroue les convictions qui grandissaient alors en moi ?

Tout ça pour payer des crédits et des taxes à gogo et avoir l’illusion d’être propriétaire de quatre murs. Comme si l’on pouvait posséder la terre. Je préfère payer un droit de vivre plutôt qu’une foncière pour des cailloux sur lesquels je n’ai aucun droit.

Bref, je me suis donné bonne conscience alors avec une chaudière à condensation et des plants de tomates bio sur mon toit-terrasse puis j’ai continué lâchement ma petite vie. Parce que de vivre en marge et à l’envers de la société s’est avéré être un choix trop difficile à faire à ce moment-là. Même aujourd’hui, j’ai un loyer à payer et un monceau de dettes.

Et au-delà de ça, serais-je capable de plaquer ma petite vie de consommation pour vivre dans une cabane au fin fond des bois ? Bon, si ça se trouve, dans quelques temps, j’aurai enfin l’empreinte carbone proche du zéro dont je rêve quand je serai à la rue à dormir sur des cartons et à recycler le contenu des poubelles de restaurants…

 

On en revient à l’individualisme de tout un chacun. Nos cas de conscience s’effacent très souvent devant la réalité quotidienne. C’est d’autant plus le cas lorsqu’on a des enfants. Car il faut alors transmettre quelque chose qui nous survive, un héritage. En général, c’est une maison. Que les enfants revendent la plupart du temps car cela ne correspond pas à leur vie du moment.

Peu vivent selon leurs convictions, quel qu’elles soient. Ils passent souvent pour des marginaux fanatiques ou des olibrius qui n’ont pas la lumière à tous les étages. Publiquement moqués mais secrètement enviés. C’est extrêmement dur de faire des choix de vie radicaux pour aider une cause plus grande que nous, en espérant que notre exemple fasse des émules.

L’être humain cherche le bonheur au travers du confort et vice-versa. Ses valeurs sont celles qu’on lui a transmises, ou pas, et qu’il transmettra à son tour, ou pas : faire des études, trouver un boulot, se marier, avoir des enfants, acheter une maison, attendre la retraite et mourir avec le contentement d’avoir réussi sa vie.

C’est simple, censé et légitime mais immanquablement nombriliste. Et l’on erre tous comme ça dans nos bulles individuelles sans autre but que de produire d’autres petites bulles qui a leur tour ne se poseront pas plus de questions existentielles que leurs parents.

On se soucie très peu de notre destin commun. On se contente de faire ce qu’on peut à son petit niveau. On sait bien que ce n’est qu’une gouttelette dans l’océan mais on s’endort le soir en se disant que 7,8 milliards de gouttelettes vont bien finir par faire un océan.

Moi, ma conscience aigüe de la cause écologique mondiale n’a d’équivalent que ma lâcheté à ne pas faire plus que la plupart des gens. Je trie méticuleusement mes déchets, je n’achète plus ou très rarement de bouteilles plastiques, auquel cas je les écrase bien dans le sens de la hauteur, je ne jette même pas un mégot par terre et je fais les gros yeux à ceux qui jettent leur merde devant moi.

A la maison, j’ai des multiprises à interrupteur, des ampoules basse consommation, de l’électroménager AA+, je prends deux bains par an, très peu ma voiture, plutôt le métro ou mes pieds pour me déplacer et j’envisage sérieusement de ne plus jamais prendre l’avion.

D’autre part, je bataille du mieux que je peux pour faire comprendre autour de moi qu’il ne faut pas confondre bio et écolo. Le bio, c’est préférer se faire du bien plutôt que de faire du bien à la planète. Donc, moi, le bio, je m’en tape sauf si c’est local, français au moins. Les pommes bio du Chili, non merci.

Je lis attentivement les étiquettes. Mes bêtes noires étant l’huile de palme et le soja brésilien qui génèrent la déforestation forcenée, j’ai arrêté les Curly sans aucun regret. Et les M&M’s. Et les Häagen Dazs. De toute façon, je suis au régime.

Cela fait très longtemps aussi que je ne consomme que des produits de saison : les fraises en décembre, quelle honte ! Pas de viande, pas de poisson à cause de mes allergies mais si je pouvais en remanger, j’irais certainement à la ferme et à la pêche.

Bref, je me force à espérer que les choses changent à grande échelle et que les pouvoirs publics vont enfin faire de l’écologie leur priorité absolue sans plus aucune compromission que ce soit. Mais c’est pas gagné.

Quand on voit le ridicule de notre parc éolien et solaire, par exemple : c’est chouette, l’énergie propre mais pas dans mon champ, s’il vous plaît… Bah réquisitionnez et pis c’est tout. Et mettez le paquet, enfin, pour le développement des autres alternatives au carboné et pétrolifère. L’économie est moribonde ? C’est le moment ou jamais d’en créer une nouvelle.

Quand on voit les limitations de vitesse pour cause de pollution de l’air respectées par à peu près 10% des automobilistes, on se demande pourquoi vous perdez votre temps en incitations molles du string alors que vous savez très bien que seules la répression et l’atteinte au portefeuille pourront faire changer les mentalités. Là aussi, vous devriez taper du poing sur la table.

Ou mettre un mouchard dans tous les véhicules qui bornerait aux panneaux de limitations de vitesse connectés : à chaque dépassement, ça déclencherait l’envoi automatique d’un PV au propriétaire du véhicule. Ce mouchard serait imposé par les assurances, un peu comme les détecteurs de fumées dans les habitations.

Moi la première, j’ai eu du mal à me faire une raison mais si j’avais pris une prune à chacun de mes excès de vitesse, ça m’aurait calmée de suite. En fait, j’ai fini par me dire que je ne pouvais pas tenir un discours écologique et faire le contraire quand ça m’arrangeait. J’ai décidé alors de me ranger et de respecter les limitations, celles à cause de la pollution, du moins. Donc dernièrement, c’était 110 sur autoroute tout du long et un seul petit appel de phares derrière un lambinard sur la voie de gauche. J’étais fière de moi.

Cette idée de mouchard m’a faite repenser à Sean, ingénieur de son métier, auquel je soumettais souvent des idées saugrenues pour sa caution scientifique et technique. Combien de fois l’ai-je harcelé de questions du genre « … Et pourquoi on ne parvient toujours pas à maîtriser la fission nucléaire qui pourrait enfin générer une énergie propre à profusion? Et pourquoi on ne peut pas stocker l’électricité ? Et pourquoi on ne reconstruit pas d’aqueducs pour acheminer le trop plein d’eau des régions du nord vers le sud ? Et où en est-on de la téléportation ? … »

Le pauvre ! Je suis sûre qu’il se souvient encore de mon idée de valise autoportante à localisation GPS et de potager suspendu dans l’air en pleine ville ! A coup sûr, mon idée de mouchard anti-vitesse aurait donné lieu à une discussion des plus prolixes !

 

Ce combat pour le climat n’est gagné nulle part. Et certainement pas aux Etats-Unis. Quand on voit des aberrations comme Las Vegas, cette débauche scandaleuse d’eau et de lumières en plein milieu du désert et d’une façon générale, leur j’m’en-foustisme en matière d’écologie, j’ai beau les aimer de tout mon cœur, je les désapprouve dans les grandes largeurs.

Ils m’ont plus d’une fois choquée, à la Nouvelle-Orleans, notamment : avec 40° degrés ambiants et 80% de taux d’humidité, même la nuit, tous les bars et restaurants de la fameuse Bourbon Street sont climatisés mais les portes grandes ouvertes, donc les compresseurs tournent à plein régime. Quand on sait que les fluides frigorigènes polluent plus que le dioxyde de carbone, on imagine sans mal qu’une seule nuit de la Nouvelle-Orleans peut aisément faire un trou dans la couche d’ozone à elle toute seule.

Et lors de mon séjour de pêche à la mouche dans le Montana, j’avais discuté avec le guide qui se disait ultra-respectueux de la nature. La preuve, on pratiquait ici une pêche dite de no-kill, c’est-à-dire que l’on rejetait le poisson une fois pêché avec des hameçons sans ardillon… Je me suis dit : « Waouh ça, c’est de l’écologie ! Sont super contents à Greenpeace ! »

Bref, il était tout fier de me démontrer l’exemplarité de sa conscience bienveillante de l’environnement mais quand je lui ai demandé quelle était la plus grande source d’énergie aux Etats-Unis, il s’est rembruni et a marmonné un truc du genre « On a plein de charbon, chez nous ».

Je lui ai fait remarquer que c’était un peu polluant quand même et en pleine contradiction avec la préservation de l’environnement chère à son cœur. Il a alors conclu avec un « On aime notre électricité pas chère, j’imagine. » et je n’ai pas insisté. Je l’avais certainement vexé et ça me disait moyen qu’en représailles, il me jette dans la rivière ficelée dans du fil de pêche pour mérou…

 

Et puis, l’ultra consumérisme m’a toujours hérissé le poil. A cause des fringues et des babioles en tout genre qui arrivent de Chine avec une facture carbone aberrante pour de telles futilités, à cause de l’obésité d’internet et de ses data center qui consomment de l’énergie en quantités astronomiques, à cause de l’état qui ferme les yeux sur l’obsolescence programmée par les constructeurs d’équipements, nous forçant à racheter une machine à laver ou un ordi tous les treize mois, une fois que l’on n’est plus sous garantie…

A cause aussi et surtout du recyclage qui, le moins que l’on puisse dire, est loin d’être au point. C’est même terriblement inefficace, servant juste de caution morale aux industriels. Bah oui, ce n’est pas rentable donc à quoi bon se donner les moyens ?

On ne sait/veut pas recycler les minerais des composants électroniques des smartphones et consorts – rien que leur extraction du sous-sol africain génère une pollution monstrueuse et je ne parlerai pas de l’esclavagisme des populations locales qui n’ont pas le choix si elles veulent survivre – alors on préfère les enterrer. Comme ça, on les oublie.

Sans compter les déchets nucléaires. L’Allemagne est championne de l’agriculture bio. Mais sur des sols pollués par des tonnes de déchets toxiques, les nôtres, notamment… Merci Areva ! Quel non-sens !

Dernière infamie qui m’a faite sortir de mes gonds dernièrement : les immenses décharges à ciel ouvert en Asie ! En effet, les sociétés spécialisées ont trouvé plus rentable d’envoyer nos déchets plastiques à l’autre bout du monde plutôt que de les recycler sur place. Sont spécialisées dans quoi, au juste ? Du coup, retour à l’envoyeur. Bien fait. J’espère que maintenant, on va revoir sérieusement notre politique en matière de recyclage et les réduire, peut-être, en mettant en place une consigne, comme pour le verre ?

 

Mais tant qu’il n’y aura pas de réelles volontés de changement en profondeur, juste des mesurettes à deux balles pour nous donner l’illusion qu’on s’en soucie, rien n’avancera concrètement. Aujourd’hui, rien n’incite le plus grand nombre à consommer éco-responsable et bio-équitable car il faut bien le dire : le bio-éco-équitable, c’est cher. Même si cela tend à se démocratiser, seule la catégorie sociale privilégiée dite +++ peut se le permettre tous les jours.

J’ai bien essayé avec le restaurant : circuits courts d’approvisionnement, bio, artisanal et tout le toutim mais j’ai vite déchanté devant l’absence de rentabilité de ce modèle économique. A moins d’augmenter nos tarifs au point de faire fuir les trois quarts de notre clientèle qui pourtant avait les moyens, comme on dit. J’avoue que c’était très utopique de ma part.

Bref. Pour résumer, on est écolo sauf s’il faut se passer de clim lorsqu’il fait 40°, on combat le Covid sauf si cela remet en cause nos vacances à la Baule, on mange bio sauf si c’est trop cher, on attend tout de l’Etat, qu’il nous donne la becquée et qu’il nous torche les fesses, sauf s’il s’adresse à nous comme à des demeurés.

Toutes ces contradictions, que je rêve exogènes, ont trouvé leur point d’orgue récemment lorsque j’ai entendu cette ritournelle, tellement usuelle qu’elle en est devenue un lieu commun :

« Si je gagne au loto, j’arrête de bosser, je place tout et je vis des intérêts. Avec dix-mille euros par mois à vie, c’est chouette. »

C’est un sacré rendement, dis donc ! Tu sais que tu vas placer ton argent dans des sociétés à hauts risques et leur mettre la pression pour exiger une rentabilité qui cartonne ? Les fameux dividendes des actionnaires, ceux qui doivent être versés même si le chiffre d’affaires est bof… Bah c’est possible avec la seule variable d’ajustement qui soit : la masse salariale. Donc, on restructure, on licencie, ça allège les charges et on peut dégager du profit.

Toi, tu touches ton argent mais cela a peut-être mis sur le carreau dix, voire vingt salariés. Tout ce que tu dénonces à longueur d’année quand on annonce un nouveau plan social. Tu deviens tout ce que tu détestes et tu fais aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse. Alors, ils sont où, tes idéaux à la Mélenchon, quand tu gagnes au loto, hein ?

« J’ai assez donné, à mon tour d’en profiter »

Et alors ? On oublie ses principes et on ne pense qu’à soi ? L’intégrité ne rime qu’avec pauvreté ? A la limite, je préfère ceux qui claquent tout, façon cigale dispendieuse et inconsciente. Car l’argent rend fou mais c’est mieux que de baisser son froc et de vendre son âme au diable.

Je dis ça, je ne sais pas, moi, ce que je ferais si je gagnais des millions d’un coup. Je me suis bien posé la question et à part « Je tombe dans les pommes », je ne sais vraiment pas quoi répondre. Je ferais probablement comme ceux auxquels je viens de tailler un costard.

Peut-être si, l’envie de faire enfin quelque chose qui compte comme d’acheter une île déserte – si tant est qu’il en existe encore sur cette terre – et d’y fonder une société nouvelle qui s’auto-suffit, une arche de Noë paisible et harmonieuse, un havre de paix apolitique et athéiste. Ah merde, ça s’appelle une secte.

 

Non, je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que le monde actuel m’insupporte chaque jour d’avantage. Et je ne dis pas ça parce que je souffre de dépression chronique. C’est justement ce qui me fait sortir de ma léthargie, en ce moment. La mutinerie comme thérapie contre la dépression.

J’étais tellement en rogne, d’ailleurs, qu’en début de semaine, je me suis secoué les puces comme jamais. Je me suis regardée dans le miroir et j’ai trouvé assez satisfaisant les premiers résultats de mon régime sans chips. J’ai alors ressenti une niaque que j’avais oubliée depuis longtemps et j’ai pu pondre une belle lettre de motivation à joindre à mon CV.

C’était en effet ce qui manquait. Jusqu’à lors, quand on me demandait mes motivations, la seule chose qui me venait à l’esprit, c’était « Payer mon loyer ». Bref, je suis un employeur, je m’auto-claque en lisant cela. Non là, j’ai eu l’inspiration. Une chouette lettre à la Yang, sincère et positive. Et convaincante, j’espère bien.

 

18.00. Il fait 30° à mon thermomètre-gekko dans l’entrée. Mes volets et fenêtres sont fermés, les ventilos à fond et j’entame ma quatrième carafe d’eau filtrée de la journée. Lorsque j’entrouvre la fenêtre pour fumer une cigarette, c’est comme si j’ouvrais la porte du four en fonction grill. Du coup, je fume moins.

Il m’en faut beaucoup, pourtant, pour que je passe en mode canicule. Il y a encore trois jours, j’avais ma couette et mon pyjama. Mais aujourd’hui, je reconnais que c’est difficilement tenable. Hier, j’ai pris la route par 40° pour aller voir Maman à l’EHPAD. Ma voiture est climatisée mais le peu que j’ai eu à marcher à l’extérieur m’a littéralement suffoquée. Je crois même que j’ai attrapé un coup de chaleur avec vertiges et nausées.

Bref. Tout ça pour qu’on me dise une fois arrivée à l’EHPAD que je ne pouvais pas la voir car elle venait juste d’être transportée aux urgences ! Dans la nuit, elle a déclaré une forte fièvre et s’est mise à tousser. Gros tintouin avec l’infirmier de garde, le médecin traitant fraîchement appointé par nos soins mais en vacances, d’où les urgences d’Auxerre.

Je ne comprends pas : c’était justement pour éviter cela qu’il y avait une prescription d’hospitalisation à domicile, aucun médecin ne s’est déplacé depuis une semaine alors que c’était un cas à monitorer de très près ?

Ils soupçonnent une nouvelle infection et l’ont remise sous antibio. Une déshydratation aussi. Bah ça, déjà qu’elle ne boit pas en temps normal, par cette canicule, c’était couru. Ça me met un peu en colère, tout ça.

J’ai passé les consignes à mon frère par téléphone, il est rentré de vacances cet après-midi et il sera sur place demain pour sonner les cloches si besoin. Il faut rapatrier Maman à l’EHPAD et mettre en place cette fichue HAD car il n’est pas question qu’elle crève à l’hôpital sans qu’on puisse la voir.

Pourtant, elle allait bien, cette semaine. J’ai réussi à l’avoir sur son portable presqu’à chaque fois. Elle avait l’air de s’acclimater. Elle me disait qu’on l’aidait beaucoup plus qu’à l’hôpital pour faire sa toilette, que la bouffe était mangeable et qu’elle dormait bien dans son lit. Elle n’avait qu’une hâte, c’était de sortir pour voir la campagne aux environs.

J’étais contente, je me suis même surprise à espérer. Et à tirer des plans sur la comète, comme de lui organiser un petit pique-nique goûter dans le jardin après une jolie balade en fauteuil roulant.

Et hier, patatras, tout s’est écroulé et le spectre de sa mort imminente est revenu rôder dans mes pensées. Moi qui avais repris un semblant de goût à la vie cette semaine, je me suis faite bien mal aux fesses en retombant au fond de mon puits.

Un aller-retour pour rien. Une facture carbone bien inutile.

QR CODE

« Bonsoir, messieurs dames, vous pouvez consulter notre carte en scannant le QR Code que voici, je reviens dans un instant prendre votre commande. »

Je tâte, dépitée, mon téléphone préhistorique dans mon sac mais je finis par remonter le menton d’un air bravache et demander à la cantonade si quelqu’un veut bien me faire la lecture. Si j’étais venue dans ce restau avec ma mère, bah on serait reparties.

 

Lundi 3 août 2020

Réunion du Scoobigang samedi soir, sur la terrasse de ce restaurant ultra-moderne, donc. Ça faisait un bail ! Andrew, Mimine et Timothy ont répondu comme un seul homme à mon signal de détresse où j’indiquais vouloir entrouvrir la porte de la grotte dans laquelle je me suis sordidement refugiée depuis trop longtemps, maintenant.

La soirée sous l’étendard « Il faut sauver Bichette » aurait pu consister en un étrillage en bonne et due forme mais les bien meilleures armes que sont le rire et la dérision ont été préférées. Ainsi, pas d’inquisition moralisatrice, pas de sonnage de cloches, pas de bourrage de mou à coups de mantras.

Et c’était ce qu’il me fallait. Car j’en ai un peu marre, en ce moment, qu’on me dise ce que je dois faire, pas faire et d’une façon générale, marre du gouvernement et de ce bataillon d’experts sermonneurs qui ramènent leur fraise à propos de tout. Un salmigondis de recommandations infantilisantes au possible. Ils vont bientôt nous dire comment chier, comment clamser, comment dire des insanités sans passer pour l’antéchrist. Bref, je suis un bon soldat dans l’âme mais là, ras le pompon.

Ma petite rébellion pourrait augurer d’une première marche gravie dans mon processus de sortie de grotte. Peut-être. Mais bon, j’ai entrouvert la porte, certes, mais c’était parce que cela sentait le moisi et que j’avais besoin d’oxygène.

Et ce grand bol d’air, le Scoobigang me l’a apporté sur un plateau, en même temps que ma burrata à la truffe et de multiples verres de Crozes-Hermitage. Un moment d’un réconfort inouï qui m’a rabibochée avec le monde des vivants. La légitimité d’être à ma place, d’appartenir à un tout.

C’est rassurant de constater que certaines choses ne changent pas, que l’amitié, même en pointillés, ne perd pas une once de sa valeur et de sa force lorsqu’on se regarde dans les yeux et que l’on éclate de rire à l’unisson.

C’est revigorant aussi de remarquer que d’autres choses peuvent changer et que ce n’est pas la fin du monde pour autant. Mimine a eu un coup de blues. Elle qui d’habitude est un monument de retenue, d’une placidité inébranlable, s’est enfuie à un moment donné pour cacher son émotion, après un échange de propos qui n’avaient malheureusement pas ce but-là quand ils ont éclos.

Je l’ai rejointe, elle s’est confiée. Je me suis bien gardée de lui faire ce que je déteste qu’on me fasse, c’est-à-dire de la gaver de conseils aussi creux que vains. Je l’ai simplement prise dans mes bras – fuck le Covid – et je lui ai dit qu’elle avait de la chance de ne pas être blasée comme moi. Son émotion m’a touchée et je l’ai trouvée belle dans ce nouvel apparat.

–  Je me sens nulle. Comparé à ce que tu vis en ce moment, j’ai honte de m’apitoyer sur mon sort…

–  La douleur ne se compare pas : quand ça fait mal, ça fait mal, point !

–  Mais on était censés ce soir te remonter le moral à toi, pas à moi…

–  Billevesées ! Allez, je sais que tu es forte, tu sauras retrouver ton chemin. En attendant, ma copine, on se fait l’after chez moi ?

After qui s’est terminé aux premières lueurs du jour. Comme au bon vieux temps ! Ainsi, rires, chants et chorégraphies improbables, gnôle débusquée au fin fond d’un placard, petit frichti improvisé à cinq heures du mat par Timothy, dépité de prime abord par le dénuement du contenu de mon frigo – bah oui, c’est frugal, une végétarienne au régime – et l’on s’est quittés à force embrassades – re-fuck le Covid – non sans s’être copieusement promis de se refaire ça dès que.

J’ai alors dormi deux petites heures, pas plus car j’étais un vrai ressort dans le lit. Etonnamment en forme, j’en ai profité pour faire mon ménage. Puis, la flemme. Pas de step, pas d’abdos, je suis restée en boule devant la télé pendant près de douze heures d’affilée. Et en y repensant, je n’ai que ces mots :

Ça fait du bien de revoir ses amis.

Ça fait du bien de rire.

Ça fait du bien de raconter des conneries.

Ça fait du bien de mettre des sandales à talons et de marcher comme une fille.

Ça fait du bien d’avoir des ampoules aux deux pieds.

Ça fait du bien d’avoir une mini-gueule de bois.

Ça fait du bien de nettoyer après une grosse soirée, ça prouve qu’il y a eu de la vie dans cet appartement-témoin.

SUR LA ROUTE DES VACANCES… OU PAS

–  Ça te plaît ici, Maman ?

–  Oui mais je ne sais pas où je vais ensuite.

–  Nulle part, tu es à l’EHPAD maintenant.

–  Mais après, je vais où ?

Je me mords les lèvres pour ne pas lui répondre du tac-au-tac « au cimetière », ce qui sans nul doute la ferait rire, car je repense au sermon de Tonton qui m’a enjointe ce matin d’y aller mollo avec elle…

 

Vendredi 31 juillet 2020

40 degrés ambiants, soleil au zénith et bouchons des départs en vacances : décidément, pas le bon jour pour le transfert de l’hôpital à l’EHPAD ! Heureusement que l’ambulance est climatisée !

Sur place, Maman sur son brancard, est accueillie dans le sas de décontamination par le CDC, ou équivalent : ils lui sautent dessus, l’emmaillotent dans une sur-blouse, lui collent une charlotte sur la tête, sur les pieds, gants, masque, il ne reste que les yeux qui ne soient pas emballés. Vu la chaleur, je n’ose pas imaginer ce qu’elle doit endurer.

Je lui fais coucou de la main puis ils l’emmènent prestement au loin. Je pose dans le sas son sac d’affaires, son rollator et sa canne qui doivent être décontaminés eux aussi, puis je me dirige vers l’accueil. J’essaye, du moins : je n’ai pas fait un pas et demi que l’on me crie « Halte ! » et qu’un essaim de petites mains s’affairent autour de moi. A mon tour, me voilà sous blister de la tête aux pieds et copieusement arrosée de gel hydro-alcoolique. Je me mets alors à cuire à petit feu.

L’équipe soignante vient me poser des questions, j’attends les papiers d’arrivée. J’aimerais bien aussi voir Maman dans sa chambre. Ils sont en train, apparemment, de la doucher. Alors, je patiente comme je peux, thermostat 12 fonction pyrolyse puis enfin, je peux monter la voir. Une demi-heure max et en ressortant, je dois mettre mon costume de saucisse grillée dans la poubelle jaune et en remettre une autre toute neuve pour reprendre l’ascenseur et traverser le hall d’entrée.

Ils rigolent pas ici, avec le Covid. C’est rassurant, j’imagine. Oui, je sais, il faut dire LA Covid mais je trouve discriminant de mettre au féminin toutes les catastrophes de la terre : les tempêtes, les tornades, les épidémies, les sept plaies d’Egypte… Donc moi je dis LE Covid.

Et tandis que je remonte dans le sauna de ma voiture sur le parking à peine ombragé, je revois le visage famélique de Maman sur lequel j’ai pu lire un début de panique lorsque je lui ai dit au-revoir. Je m’écroule en larmes. Je devrais me sentir soulagée mais j’ai le cœur tellement serré que j’en étouffe. J’ai l’impression de l’abandonner, comme si je l’avais attachée à un arbre sur le bord de la route.

« Tiens bon, ma petite maman, encore un peu, d’accord ? Tu es fatiguée, je sais, mais on a encore besoin de toi… Ils vont prendre bien soin de toi, ne t’inquiète pas. Et je reviens vite te voir. »

Samedi prochain. J’espère qu’elle va tenir mais cela a l’air fortement improbable. Ça s’entend à sa voix d’outre-tombe, à son élocution plus que difficile, ça se voit à ses yeux éteints et à son corps recroquevillé comme une feuille fanée, ça se sent même avec une légère odeur de formol qui suinte de sa peau…

Je chasse ces visions d’horreur d’un revers de main, je sèche mes larmes et je reprends la route pour aller chez Toto. Je passe la nuit chez lui car ils annoncent des orages violents avec des grêlons comme des balles de golf et je n’ai ni l’envie ni la force de tenter le Trophée Andros sur l’autoroute ce soir.

Et dans la touffeur de la nuit, allongée en croix sur le canapé-lit du salon, trois verres de rosé et un somnifère entier dans le coco, je ne dors pas. Je pense à Maman à sept kilomètres à vol d’oiseau, toute proche mais pourtant si loin. Je prie, je pleure. Et je finis par reprendre un somnifère pour m’assommer.

LA PUDEUR DE L’AUTRUCHE

Je me suis toujours demandé pourquoi l’autruche plantait sa tête dans le sable. Par lâcheté ou bien par pudeur ?…

 

Dimanche 26 juillet 2020

Les funérailles hier matin de la mère de ma belle-sœur. Très simples, sans cérémonie, sans un mot et encore moins de chichis. Mais pas moins de larmes. En tout cas, devant la stèle. Ensuite… Bah y avait un ‘pot’ au café du coin qui s’est transformé en apéritif géant.

Et là, j’ai commencé à tiquer. Je m’attendais à un petit rassemblement d’yeux bouffis et de nez qui coulent avec des condoléances de toutes parts mais au lieu de ça, j’ai eu l’impression de me retrouver au beau milieu d’un mariage, d’un anniversaire ou d’un baptême, je crois que peu d’ailleurs auraient fait la différence : plus de larmes mais des rires, des brailleries et des conversations à bâtons rompus sur tous les sujets sauf sur ce qui nous rassemblait, le tout copieusement arrosés de kir, de pastis et de whisky. Bref, j’ai trouvé cela quelque peu surréaliste.

Je connais bien cette communauté rurale, paysanne et bourrue pour y avoir été élevée par une famille elle-même championne du non-dit, allergique à toute démonstration d’émotions. Ici, tout est dans le torse bombé et le verbe haut, très haut. On aboie plus qu’on ne mord, cependant, malgré le panneau ‘Attention, chien méchant’ que l’on arbore sur le front de façon bravache.

Et bien sûr, on ne montre jamais ses sentiments, sous peu qu’ils ressemblent de près ou de loin à de l’amour, car c’est assimilé à de la faiblesse. Cela ne veut pas dire qu’on n’en éprouve pas, on a même souvent un cœur immense. Mais pour le voir, il faut savoir éviter les pièges à loups, sauter par-dessus les douves infestées d’alligators et défoncer la porte blindée. Les sentiments ici sont farouchement gardés comme un secret d’état.

Je pense plutôt que c’est par peur. Car ce sont pour la plupart de véritables tanks, des bulldozers équipés pour faire face à n’importe quelle agression extérieure mais si la menace vient de l’intérieur, ils ne savent pas comment réagir. Cela les déstabilise tellement qu’ils planquent tout au fin fond d’eux-mêmes et qu’ils jettent la clef. Et ils font comme si de rien n’était. D’où mon interrogation à propos de l’autruche.

Bref, le seul qui ait fait sens à mes yeux, c’est le frère de ma belle-sœur. Les yeux rougis par le chagrin, il s’est confié lors d’une cigarette partagée sur le trottoir, tout à son émotion mais répétant entre deux sanglots comme un leitmotiv « Je dois être fort »

« Et alors, c’est écrit où ? Tu as le droit de chialer et d’être une merde, tu viens de perdre ta mère ! Vas-y, le chagrin, ce n’est pas radioactif ! »

J’ai eu besoin de le bousculer et cela a semblé lui faire du bien. Mais ça m’a ramenée à mon propre chagrin, à celui qui emprisonne mon cœur depuis quelques mois et dont j’anticipe l’explosion prochaine. Je me demande comment je serai, moi, aux funérailles de Maman. Droite comme un i dans un carcan de douleur silencieuse ou geyser de larmes intarissable ?…

Une chose est sûre, cependant : devant le silence assourdissant au cimetière devant la tombe de la mère de ma belle-sœur, je sais désormais que moi, je ne laisserai pas partir Maman sans un mot.

BAGUETTE PAS SI MAGIQUE

« Bonjour, votre Maman est stable sur le plan clinique et peut désormais sortir. Que fait-on ? L’EHPAD comme c’était prévu ? Sinon, nous pouvons l’accueillir ici en long séjour. Qu’en pensez-vous ? »

Pas grand-chose, à vrai dire. Je suis désarçonnée. Ce n’est pas évident, pour le paquebot émotionnel que je suis, de braquer à 360 degrés comme ça. Y a un mois, il fallait se préparer à sa mort imminente et aujourd’hui, elle est prête à gambader…

 

Vendredi 24 juillet 2020

C’était complètement inattendu. D’ailleurs, quand j’ai vu s’afficher le numéro de l’hôpital lundi, j’ai cru que c’était pour m’annoncer son décès. Car dimanche lorsque l’on est venus la chercher pour pique-niquer dans le jardin de l’hôpital, on a pensé qu’elle est était morte dans son fauteuil. On l’a trouvée complètement hagarde, les yeux fixes au fond de ses orbites creusées, le teint cireux et baignant les fesses à l’air dans son pipi de la veille. Une vision de cauchemar.

Lors du pique-nique où je lui ai donné carrément la becquée, elle a semblé reprendre un peu vie. Je pense que cela lui fait du bien de nous voir, de voir du monde. Elle a besoin de stimulation sinon, elle se laisse complètement aller : elle ne mange plus, ne se lave plus et elle se fait sur elle. Elle attend la mort, quoi.

Comme il n’existe aucun moyen de savoir combien de temps il lui reste, déjà que c’était inespéré qu’elle soit encore en vie aujourd’hui, ce choix cornélien m’a taraudée pendant deux jours. A priori, plutôt l’EHPAD mais tout ce tremblement pour quelques jours, peut-être quelques semaines, est-ce bien nécessaire ?

Mais l’annonce du coût du long séjour de Sainte Périne a fini par nous décider : ce sera donc bien l’EHPAD à la campagne près de chez Toto comme c’était prévu. Il y aura certainement plus de soins au quotidien, elle ne sera pas seule et peut-être que ce nouvel environnement lui apportera la stimulation nécessaire pour se maintenir encore quelques mois peut-être ?…

J’ai alors déclenché le plan ORSEC pour son transfert à l’EHPAD vendredi prochain. Coordination entre les deux établissements, avec Toto qui part en vacances deux jours après, commande de l’ambulance – à notre charge, bien évidemment parce que le trajet dépasse les 150 kilomètres – et préparation des diverses paperasses.

Mon chant du cygne en la matière.

J’ai encore un peu de mal à lâcher prise, à passer le flambeau, à me faire à l’idée que je ne m’occuperai plus de rien. Je me suis d’ailleurs sentie un peu coupable de démissionner de la sorte. Mais dernièrement, ce que j’ai ressenti n’a fait que me conforter. En effet, je me suis vue agacée, limite en colère avec une patience au ras des pâquerettes, d’où le raccourcissement de mes visites. J’ai bien compris que cela ne servait à rien, que JE ne servais à rien en l’état. C’est clair désormais, je ne peux plus m’occuper de ma mère. Physiquement et moralement.

 

Demain, je vais au cimetière. Ma belle-sœur, la femme de Toto, m’a annoncé lundi que sa mère venait de décéder d’un arrêt cardiaque à 66 ans. C’est la série. Et ça ne va pas m’aider à sortir de mon décor mortifère du moment.

J’ai bien repensé à ma soirée avec Nénette qui m’exhortait à me secouer les puces et à me réinventer une vie. Ça m’a paru très excitant sur l’instant mais j’ai vite déchanté. Définir ce que j’aimerais être et faire de ma vie si j’avais une baguette magique s’est révélé être un exercice impossible pour moi.

Car qu’est-ce que je voudrais être ? Célèbre ? Riche ? Immortelle? Une super-héroïne ? Une sorcière ? Une oie sauvage ? Ou simplement moi en version ‘tout me réussit’ ?

Le croquis d’une telle fiction, mythomane et mégalo, même à vocation thérapeutique, s’est vite coincé au travers de mes neurones. De créer de toutes parts un personnage que je ne suis pas et ne pourrai jamais être, c’est souligner au stabilo toutes mes failles et ma misérabilité.

Alors, je me suis demandé ce qui comptait le plus pour moi et j’en ai déduis que, comme tout un chacun, je voulais juste être heureuse. Mais de savoir que cela ne tenait qu’à moi ne m’a pas aidée.

LES QUATRE COMMANDEMENTS DE NENETTE

« Ça va pas du tout, Bichette, tu te rends compte à quel point tu es négative ? »

Oui, ma Nénette, je le sais.

 

Samedi 18 juillet 2020

Me suis pomponnée hier soir comme pour un rendez-vous galant, j’ai préparé de belles tomates-buffala et ouvert une bonne bouteille de Malbec pour recevoir Nénette venue voir la recluse que je suis devenue.

Ma première soirée à la maison depuis une éternité ! Heureuse de briser un peu la monotonie de mes journées qui se ressemblent toutes en ce moment. Je me suis demandé cependant si Nénette n’allait pas prendre peur à me voir dans cet état larvaire.

–  J’aimerais dire que je vais mal mais c’est plutôt confortable, la néantisation. Tu vois, je n’ai pas envie de me suicider mais je n’ai pas envie de vivre non plus. J’ai réussi à sortir de l’Enfer mais je reste bloquée au Purgatoire sans savoir si j’ai envie de revenir dans le monde des vivants.

–  On dirait que tu te punis toi-même, que tu ne parviens pas à te pardonner.

–  Je ne vis pas dans le passé, pourtant, mais je ne vois pas l’avenir. Et mon présent n’est que limbes.

 

J’ai bien vu l’effarement dans ses yeux, alors j’ai tenté de la rassurer.

–  Je pourrais glisser complètement dans la déchéance mais je ne me laisse pas aller, je me lève tôt, je me lave, j’envoie mon cv, je fais ma gym… C’est plus dans ma tête, quoi. Je n’ai rien qui me challenge, rien qui me motive, rien qui me pousse dans mes retranchements, rien à espérer, rien à désirer. Je vis comme un robot.

–  Tu as pensé à reprendre un traitement pour ta dépression ?

–  J’aimerais éviter.

 

On s’est resservi du vin.

–  T’as un amoureux ?

–  Tu sais, je vis en véritable recluse, je ne sors que pour faire les courses ou aller voir ma mère à l’hôpital, donc je ne vois pas comment je pourrais rencontrer quelqu’un. Si tant est que j’en ai envie.

–  Bah les sites de rencontre ?

–  Je suis nulle à ça ! Et pis, faut se décrire, faut décrire ce que l’on recherche et c’est bien mon souci du moment : savoir qui je suis et ce que je veux. Quand bien même, je ne sais vraiment pas ce que je pourrais apporter à quelqu’un.

–  Déjà, il faut que tu arrêtes ton négativisme et que tu sois bienveillante avec toi-même.

 

La conversation ensuite est bien sûr arrivée sur Walter.

–  Quoi ? Et pourquoi tu ne l’as pas appelé ?!

–  J’appelle déjà pas mes amis… Regarde, c’est toi qui as pris l’initiative.

–  T’en as pas marre ?

–  Nan. Je sais pas.

–  Bon, il va falloir que ça change, tout ça.

 

Nénette a alors remonté les manches qu’elle n’avait pas sur sa jolie robe d’été et a pris sa voix de maîtresse d’école.

–  Bichette, ta vie en ce moment n’est qu’une grosse pelote de laine inextricable. Tout est emmêlé mais il suffira qu’un seul fil se dénoue pour que tout le reste suive. Alors, il faut que tu mettes du fun dans ta vie, des potins, du rock n’roll, bordel de merde ! Alors, tu vas commencer par t’inscrire sur Meetic. Même si tu n’y rencontres pas l’homme de ta vie, tu sortiras, tu iras boire un verre, tu parleras, tu vivras, quoi.

–  Les Quatre Commandements de Nénette !

 

On s’est mises à rire. Bref, ce remontage de bretelles que j’avais trouvé de prime abord bien inoffensif, a commencé à faire son chemin. Et finalement, il a fait le job.

–  Et ton blog, là, ça sert à rien. Il faut que tu en fasses un bouquin. Et si ta vie actuelle est morne plaine, tu n’as qu’à en inventer une autre. Va dans la fiction, rêve, imagine ! Mais vas-y à fond, sois extraordinaire, flamboyante, deviens une icône !

–  Euh… D’accord.

SOIGNEUSE D’ELEPHANTS AU SERENGETI

« Tu es sur Paris ? Peut-on s’appeler ? »

Le seul truc excitant de cette semaine où je n’ai pas mis un pied dehors, sauf pour récupérer mon colis hier auprès du livreur de DHL qui ne voulait pas monter dans les étages.

Vendredi 10 juillet 2020 – DECONFINEMENT J+61 – FIN DE L’URGENCE SANITAIRE

Enfin, excitant… Oui, après deux mois de silence radio, j’avoue que cela m’a sortie de la torpeur dans laquelle je me suis emmitouflée depuis quelques temps. Mais cela n’a pas été plus loin. Pas plus de sa faute que de la mienne, en fait, car je savais pertinemment que le ‘on’ voulait dire ‘Lequel de nous deux va appeler l’autre en premier’ et que bien évidemment, ni l’un ni l’autre ne l’a fait.

Je n’ai pas réussi à me motiver, à me dire que je n’avais rien à perdre, qu’un simple coup de fil pouvait changer la donne. A vrai dire, je n’ai même pas essayé. J’ai repensé au rêve que j’avais fait et j’ai compris que je devais me faire confiance pour que les choses changent. Que cela n’en tenait qu’à moi. Beaucoup plus facile à dire qu’à faire.

Je ne me trouve aucune excuse mais une seule circonstance atténuante : ma situation actuelle qui me momifie littéralement sur tous les sujets. C’est ça, je me suis enfermée toute seule dans un sarcophage. Avec ma malédiction mais sans les scarabées. Et d’une certaine façon, ça me convient. Je suis lâche en ce moment.

Je me demande tout de même ce qu’il devient. Est-il en vacances ? Voit-il quelqu’un ? Où habite-t-il ? Je me rends compte que je ne sais absolument rien sur lui, sur sa vie, son quotidien. Pas plus qu’il ne connaît le mien, je présume.

Et toutes ces histoires d’amour maudit, d’amour impossible dans les films et les bouquins ne peuvent m’empêcher de constater, un peu amère, qu’au moins eux, ils ont eu un semblant d’histoire à laquelle s’accrocher, alors que moi, nada. Juste une poussière d’étoiles. Un fantasme dans toute sa splendeur.

Bref, Walter réapparaîtra sans doute dans quelques temps et suivant mon stade de décomposition mentale, j’entrerai dans la danse ou pas.

 

R.A.S. Maman. Ni plus, ni moins au niveau de ses analyses. Ils ont arrêté les antibios, du coup, elle a retrouvé un peu la pêche mais surtout, elle n’est plus en isolement et l’on peut la sortir se promener dans le jardin de l’hôpital. En fauteuil roulant, bien sûr. Tonton s’est empressé de lui  faire son baptême mardi et elle a beaucoup apprécié. Dimanche, j’irai avec Toto. Eh oui, avec mes petits bras atrophiés de mini-tyrannosaure, je ne peux pas faire grand-chose toute seule.

Bref, elle est enfin parvenue à se faire à l’idée qu’elle a besoin d’aide pour à peu près tout, désormais, buzzant les infirmières à tout va. C’est clair, elle a la patate. Et ne s’est pas départie de son esprit de contradiction :

– Je fais tout ce que je peux pour sortir d’ici !

– Tu manges ?

– Bah nan…

Si seulement elle ne rechutait pas et que son état pouvait se maintenir… Je n’ai pas annulé son assurance pour l’EHPAD, ni son abonnement de portable même si celui-ci est éteint, j’ai laissé les choses tel quel car j’ai encore espoir…

 

R.A.S. également pour ma recherche d’emploi. Ça commence sérieusement à me déprimer. Financièrement, ça va encore mais je me pose de plus en plus de questions. Je savais que j’allais ramer un peu à cause de mon âge et de l’atypisme de mon parcours mais à ce point-là… Alors oui, le Covid. Mais même. Ai-je vraiment les compétences requises pour le type de postes que je recherche ? Aurais-je la force de me remettre à niveau ? Est-ce que je ne me berce pas d’illusions de grandeur ? Et pourquoi ces postes qui, je dois bien l’avouer, ne me remuent pas la petite cuillère plus que ça ?

Alors, j’ai exploré d’autres pistes, comme différentes formations de métiers qui me plairaient. Je viens juste de m’inscrire au Pôle Emploi, je peux peut-être espérer de leur part une aide au financement.

Bref, le médical me plaît. Urgentiste, plus précisément. Mais bon, il faut faire médecine et tout ça, ce n’est pas une petite formation de six mois avec un diplôme en cellophane. Auxiliaire ambulancier, éventuellement…

Puis, je tombe sur une formation de soigneur-animalier. Ça, ça me plaît énormément. Finalement, je préfère soigner un rhino plutôt qu’un alcolo du samedi soir, y a moins de vomi.

Comme ça, je pourrais amorcer le dernier quart de ma vie comme cela m’est toujours apparu dans mes rêves : soigneuse animalière dans le parc du Serengeti en Tanzanie. Oui, je sais, c’est à l’opposé du Montana et je ne suis pas Dian Fossey. Ça n’empêche que je me suis toujours vue en train de faire un pansement à un éléphant en pleine savane. Vieille, seule mais accomplie.

La formation a l’air dans mes cordes et pas ultra onéreuse mais… elle dure deux ans ! Je fais comment pour payer le loyer, en attendant ? Je me prostitue ? Nan, je n’en suis pas capable et j’imagine que mon âge, là aussi, poserait un problème à l’entretien d’embauche ! Ha ha ha !!

Bref, peut-être un petit job sans grande implication comme femme de ménage, pardon, agent de nettoyage. Mais c’est un plan de carrière à étapes multiples qui ne s’envisage pas comme ça. J’ai aussi des dettes à éponger, donc ça se réfléchit.

J’ai également regardé le truc des traductions à distance que m’ont recommandé Zane et Lewis. Je ne suis hélas pas allée bien loin car le cursus est extrêmement scolaire avec un background pédagogique solide dont je ne dispose absolument pas.

Mais l’écriture en elle-même est peut-être une piste à explorer ? Mais écrire quoi ? Ce blog étant totalement à but non-lucratif, je ne sais pas trop. J’ai bien quelques idées, j’ai déjà écrit plusieurs nouvelles, des trucs assez potables mais pas suffisamment époustouflants pour me faire éditer. De plus, ce qui marche de nos jours est plus visuel comme You Tube et compagnie. Mais ça, c’est réellement hors de ma galaxie !

Tant pis, je ne vivrai pas de ma plume.

Enfin, on m’a demandé dernièrement si je pouvais reconsidérer un job dans la restauration. Non, je ne me sens ni la force ni l’envie de rempiler pour 12 heures par jour 6j/7j. Cependant, je veux bien explorer la piste d’un job de caviste. C’était mon plan Z qui est devenu par la force des choses mon plan B. Après tout, j’ai un diplôme et la passion chevillée au corps. Alors, je réponds à ce genre d’offres :

Sommelier caviste H/F

Vitrine de l’œnologie française, venez découvrir l’une des plus belles collections de vins au monde. Les Caves de Taillevent proposent un choix unique parmi plus de 2 000 références de vins et spiritueux, des appellations les plus célèbres aux plus confidentielles. Grands classiques, grands crus, vins atypiques et étoiles montantes, venez rejoindre notre équipe et conseiller nos clients pour une sélection sur-mesure.

Nous recherchons en CDI un Sommelier-Caviste (H/F), sous la responsabilité du Directeur, vous aurez pour missions :

– Accueil / Conseil / Vente de vins et spiritueux
– Gestion de stock et veille tarifaire
– Maîtrise d’outils informatiques et de logiciels (Word, Excel, Outlook, ….)
– Animation de dégustations
– Gestion d’équipe avec encadrement d’apprentis, stagiaires…

Savoir-faire et savoir-être :
– Connaissances en vins et spiritueux avec expérience en sommellerie et/ou caviste
– Sens du relationnel
– Sens de l’organisation
– Passion pour les vins, spiritueux et gastronomie
– Anglais parlé et écrit
– Excellente présentation

La perspective d’être en contact permanent avec la clientèle ne me réjouit guère mais je ne peux plus me permettre de faire la fine bouche. On verra bien.

 

En me regardant dans le miroir cette semaine, j’ai trouvé qu’il y avait un truc qui clochait. La gym que j’ai reprise activement a bien commencé à porter ses fruits mais j’ai grossi. Rien à voir avec les muscles qui pèsent plus lourd que la graisse car je ne suis pas remontée sur la balance depuis son dernier constat désobligeant. Non, je le vois aux vêtements qui me serrent et bien sûr dans le reflet vexant de ce fichu miroir.

J’ai fait quelques petits calculs : zéro activité + chips = environ 500 calories par jour qui squattent. La gym ne fait que limiter les dégâts, sans grande conviction, toutefois. Alors, j’ai décidé de me secouer pour de bon. J’ai arrêté les chips, j’ai redoublé d’efforts sur mon tapis de gym et j’ai acheté 2,5 kilos de Protein Meal Replacement Blend, les substituts de repas protéinés, quoi.

J’ai pris de mauvaises habitudes lorsque j’avais le restaurant avec mon seul jour de repos en croix devant la télé avec mon paquet de chips. Mais à l’époque, vu que je dépensais 4.000 calories par jour, ça n’avait aucune incidence.

Il faut donc que je réadapte mon alimentation à ma dépense calorique qui est très faible. Ce n’est certes pas vraiment la situation idéale en ce moment où je coquille très souvent devant la télé mais je me motive en me disant qu’il est hors de question d’avoir sué sang et eau pendant des mois pour rien. Mais d’abord, je dois perdre le surplus. D’où le slim-fast.

Déjà que je commence à accuser mon âge avec un grain de peau qui se rapproche de plus en plus du papyrus, quelques petits cheveux blancs que je camoufle comme tout le monde avec une coloration et une estime de soi dans les chaussettes, si en plus je ressemble à Madame Patate, c’est la fin des haricots.

FANTÔME DANS LA Wii

Une semaine de bonne grosse bulle. Par désœuvrement plus que par fainéantise. Car la situation entre deux eaux de ma mère me fige littéralement. Je ne sais pas quoi espérer, quoi ressentir et bien évidemment, je ne sais pas quoi faire. On nous a dit qu’elle pouvait partir à tout moment mais l’espoir d’une petite rémission n’est pas exclu pour autant. Elle peut aller mieux puis rechuter. Elle peut aussi s’éteindre à petit feu. Et il n’y a plus rien que l’on puisse faire.

Juste attendre. Mais attendre quoi, au juste ?

Vendredi 3 juillet 2020 – DECONFINEMENT J+54

Je tourne en rond. Comme je ne travaille pas, je ne peux même pas me changer les idées. Je suis confinée avec moi-même 24/24 dans une tour d’ivoire sans portes ni fenêtres et sans plus aucune envie de communiquer avec l’extérieur. Je ne pleure pas, je ne ris pas, je ne pense pas et je me réveille chaque matin plus vide que la veille.

Et lorsque mon semblant de planning journalier touche à sa fin, je me roule en boule sur la banquette et je m’abrutis de séries. Les plus anciennes, les plus longues, les plus débiles, n’importe quoi, pourvu que je puisse me projeter dans un ailleurs, dans une autre famille, dans d’autres intrigues et dans d’autres tourments que les miens.

Je suis un zombie. Et cette fois, ça n’a rien à voir avec la fibromyalgie. Je ne vais même pas trop mal physiquement, ce qui est très paradoxal. L’ibuprofène que j’ai forcé ma doctoresse à me prescrire, doit aider beaucoup. Oh je ne saute pas comme un cabri mais je parviens à suivre mon nouveau programme de gym sans trop de difficultés.

J’ai même repris la Wii. J’ai essayé, du moins. Car je ne sais pas si c’est parce qu’elle boude du fait que je l’ai délaissée pendant quelques semaines et qu’elle me met des taquets en représailles ou si c’est parce qu’il y a… un fantôme dans ses circuits.

Des ombres passent furtivement en bas de l’écran et des éléments de décor que je n’avais jamais vus auparavant apparaissent puis disparaissent dès que l’on change de niveau, comme un très étrange château médiéval le long du parcours de golf et des tentures baroques en fond de scène où je fais mon step. Et mon personal trainer, qui a toujours été d’une courtoisie impeccable même si un peu mièvre, se permet maintenant des réflexions très désobligeantes.

Bref, bizarre tout ça. Et ce ne sont pas les piles ! Donc, si c’est bien un fantôme, c’est un fantôme tricheur, en plus : mes performances sont systématiquement rabaissées, mon temps chrono est diminué et les scores sont arrangés en ma défaveur, même lorsque ma victoire est flagrante. J’ai donc ajouté une nouvelle activité à mon programme quotidien : je vitupère.

Faudrait peut-être que je fasse un mail de réclamation à Nintendo ?…

 

J’ai fait un rêve il y a quelques nuits, de ceux très vivaces qui restent collés aux basques toute la journée. Aujourd’hui encore, j’en perçois les réminiscences, même si je ne suis toujours pas parvenue à en comprendre la signification.

Dans ce rêve, j’avais rapatrié Maman à la maison et elle se plaignait que sa chambre avait changé. Je lui disais qu’avant, c’était tout noir et poussiéreux, que ça sentait la mort et que désormais la lumière devait entrer. J’ai alors ouvert les lourds rideaux de velours sombre et le soleil a envahi la chambre aux murs retapissés de fleurs roses…

Ensuite, j’ai rêvé de Walter. Je n’ai pas de souvenirs précis à part le fait qu’à un moment donné, il m’a pris le visage dans ses mains et m’a regardée droit dans les yeux en tentant de me convaincre de quelque chose. Je me souviens que j’étais sur la défensive puis que je me suis laissée aller, finalement, à lui faire confiance.

Enfin, dans ce rêve à tiroirs, je me suis vue faire mes bagages, une carte géante des Etats-Unis déployée sur mon lit. J’avais un crayon et je devais dessiner mon itinéraire. Je me souviens m’être dite que Maman étant partie, j’avais besoin d’un long road-trip pour faire le point sur ma vie.

Etrange, ce rêve, car il veut dire tout et rien à la fois. Pertinent mais indéchiffrable. Criard et mystérieux à la fois.

19.30. Ça fait trois soirs d’affilée que le bruit de la terrasse du restaurant en bas me casse les oreilles. J’imagine, vu l’époque, que ce sont des pots de collègues qui fêtent l’arrivée des vacances. Mais est-ce une raison pour beugler et cacarder de la sorte ?! Une vraie basse-cour ! Vraiment, ce n’est pas l’envie qui me manque de leur balancer un seau d’eau mais je me souviens qu’un soir, un voisin du dessus, excédé lui aussi, l’avait fait et que cela n’avait fait qu’ajouter de copieuses injures à leurs braiements.

Alors oui, c’est chouette, les restaurants et les bars font le plein, sur Paris en tout cas. Ils vont peut-être réussir à sauver leur année, tant mieux pour eux et tant pis pour ma tranquillité. Et cette reprise s’est confirmée ce matin quand Kevin m’a appelée pour me dire qu’il avait enfin retrouvé du boulot.

Je suis foncièrement contente pour lui. Bon, ce n’est pas forcément le job de ces rêves, mais d’après ce qu’il m’en dit, cela a tout l’air d’être un sacré bon plan quand même : 3.000 euros nets, horaires continus 9.00-18.00 et repos samedi dimanche ! Même pour faire de la bouffe de brasserie, cela ne se refuse pas. Ça lui permettra d’attendre confortablement un poste plus à la hauteur de son talent.

Bref, il a souhaité revoir Maman une dernière fois, au cas où, alors on s’est organisé une visite pour demain après-midi. Faut pas qu’il s’attende à la trouver en méga-forme. Surtout qu’elle est encore tombée ce matin car elle ne tient plus debout. Elle s’entête à penser qu’il n’y a personne pour l’aider, malgré l’énorme bouton rouge d’appel à côté de son lit, du coup elle veut faire toute seule et se vautre car elle n’a plus de forces. C’est la troisième fois depuis qu’elle est là. Cela ne m’étonnerait pas qu’elle le fasse exprès car elle m’a dit dernièrement « Si seulement je pouvais caner vite fait ! »…

Elle vise la tête à chaque fois mais cette dernière doit être particulièrement dure car les scanners ne montrent aucun traumatisme. Mais ce matin, elle s’est ouvert la jambe quand même. Du coup, j’ai eu droit au courroux de son frère qui ne comprend pas pourquoi je n’exige pas les séances de rééducation avec un kiné comme c’était prévu au début.

On rééduque ce qui a un espoir de fonctionner à nouveau un jour. Dans le cas de Maman, c’est inutile car ses muscles sont atrophiés à cause de l’anémie due aux cellules cancéreuses qui gagnent du terrain chaque jour un peu plus. Je pense qu’il faut se faire une raison : elle ne marchera plus.

Je sais que c’est dur pour mon oncle, il aimerait tant pouvoir faire quelque chose. Il vient la voir souvent, il lui apporte du jus de grenade car c’est bon, paraît-il, pour le sang, il a même tenté une fois de la faire sortir de sa chambre sur son fauteuil à roulettes, mais bien évidemment ils se sont fait choper par l’infirmière en chef… Telle sœur tel frère…

De la voir décliner ainsi et d’être parfaitement impuissant, c’est insupportable pour lui. Je pense qu’il est encore dans le déni et qu’il refuse de perdre espoir. D’où sa colère. Je ne peux malheureusement rien faire d’autre que de l’envoyer gentiment sur les roses en l’invitant à parler avec la médecin qui s’occupe de Maman.

J’ai fait ce que j’ai pu, je fais ce que je peux. Même si je comprends que l’on trouve que ce ne soit pas assez.

MC COFFIN & DJ GRAVESTONE

– Je suis contente d’entendre ta voix ! Qu’est-ce que tu me racontes, ma cocotte ? Moi, je ne fais rien, je suis trop faible et feignasse de nature. Je croyais que j’allais à l’EHPAD ?

– Dès que tu iras mieux, promis, M’man.

Difficile de lui dire autre chose. Et certainement pas qu’hier, Toto et moi sommes allés préparer ses obsèques.

Dimanche 28 juin 2020 – DECONFINEMENT J+49

Les pompes funèbres. Les professionnels du marchage sur des œufs et du ton monocorde. J’imagine que ce sont des prérequis. Pas un mot plus haut que l’autre, des phrases toutes faites, le sourire vaguement affable et le regard à la Droopy.

Rien que le décor, on a l’impression d’entrer dans un cercueil géant. Et malgré les 25 degrés ambiants, l’atmosphère est froide comme le marbre de leurs stèles d’exposition.

Bon, en même temps, on ne s’attend pas à ce que ce soit rock n’ roll. Dommage, j’aurais bien aimé qu’on m’aide à dédramatiser. Dans bien d’autres cultures, la mort est plus joyeuse, ce qui n’enlève en rien sa solennité.

Et dans ce petit bureau triste et suranné, un écran de plexiglas posé sur deux piles de ramettes de papier entre Madame D. et nous, on a déroulé pendant une heure et demie la litanie des modalités des obsèques de Maman. Quel cercueil, quel type de poignées, la couleur du capitonnage, la longueur de la gerbe florale, la forme de l’urne funéraire…

Comme tout était moche et que foncièrement je n’en avais rien à carrer, trop occupée que j’étais à me mordre les lèvres pour ne pas fondre en larmes, j’ai laissé mon frère choisir. Il y a juste pour le choix du cercueil que j’ai donné mon avis : comme tout va à la crémation, le cercueil en chêne laqué à 6.000 balles et le coussin bleu ciel à pompons à 300 balles, bah non merci.

J’ai buggé aussi lorsque Madame D. nous a demandé si l’on souhaitait prévoir un temps de parole avant la crémation : impossible de me rappeler si on l’avait fait pour mon père et impossible de savoir si on veut le faire pour Maman.

– C’est normal d’avoir des blancs. Avec toutes ces émotions, on perd facilement les pédales. Mais peut-être puis-je vous aider ?

Elle a alors sorti un bouquin d’un tiroir dans un geste obséquieux… Hola, range ton missel de poèmes moisis, si jamais je veux dire quelque chose, crois-moi, ce ne sera pas une citation de Victor Hugo !

Bref, elle a continué avec les fringues de Maman, le salon funéraire, la publication dans la presse locale, les faireparts et les remerciements, le choix du maître de cérémonie et là, j’ai tiqué. Quoi ?!? MC Coffin et DJ Gravestone ?!! Pourquoi pas une boule à facettes, aussi ?!!

J’ai trouvé cela d’une absurdité sans nom. C’est le même business que celui du mariage. Les invités, la robe, la cérémonie religieuse et/ou civile, la publication des bans… Je me suis même attendue à ce qu’elle nous propose de choisir la pièce montée et la destination du voyage de noces !

J’ai fini par en rire nerveusement jusqu’à ce qu’elle nous donne à signer le devis et là, j’ai arrêté de rire. On a voulu grosso modo les mêmes prestations’ que celles pour mon père, on s’attendait à une légère inflation mais pas à ce point : 2.400 euros en plus !!!

Il y a effectivement certains secteurs économiques qui ne connaissent pas la crise. Bah vous pourriez en profiter pour relooker vos boutiques qui vendent la mort avant même d’en signer le contrat. Je sais pas, moi, un peu plus funky. A ce prix-là, on pourrait même avoir Elvis en MC.

 

J’ai passé la soirée chez Toto. On a discuté de ce qu’on allait faire des affaires de Maman stockées dans son garage. Je n’ai plus de place chez moi ni les fonds pour reprendre un garde-meubles mais on n’a pas le cœur de tout bazarder. Alors, Toto fera construire une deuxième cabane de jardin. Ce sera un peu notre mausolée à nous. Et un abri à vélos.

Sur la route du retour, j’ai mis la musique à fond, chanté à m’en faire éclater les cordes vocales et fait des solos de batterie comme une folle. Ouais, ouais, je sais, tout en conduisant à fond les ballons. Mais j’avais besoin de me défouler, de hurler, de m’assourdir. Et ma voiture est le seul endroit où je peux épargner les voisins.

Bref, ça m’a fait un bien immense. C’est ça que je devrais faire en ce moment, rouler sans but la musique à fond. Pas très écolo, je l’admets, mais je rêve d’un road-trip sans fin accompagnée de Korn et de Rammstein

Je rêve aussi de funérailles vikings et de ZZ Top en druides. Pour moi, hein, pas pour Maman. Même si je doute qu’un quelconque croquemort me signe ce genre de devis. Mais bon, va falloir que j’y pense sérieusement car comme je n’ai plus personne, ce sera à Toto d’organiser mes obsèques.

Et vu que j’ai failli m’emplafonner sur l’autoroute, cela pourrait arriver plus vite que prévu.

Alors, il ne faudra pas oublier de faire un procès à l’état qui impose aux cigarettiers français de produire du tabac qui s’effrite et des tubes qui partent en lambeaux dès la première taffe. Tout ça pour qu’on achète des paquets de clopes à 10 balles. Quels vicelards hypocrites, quand même !

Bref, ma clope est partie en queue de sucette et une boulette de tabac incandescent est tombée sur mon siège. Je me suis alors tortillée dans tous les sens pour éteindre le début d’incendie tout en essayant de garder le contrôle de ma voiture à 130 à l’heure sur l’autoroute. Au final, plus de peur que de mal et un trou dans mon siège.

A la maison, je fume la tête dans le cendrier pour éviter d’en mettre partout. Pff il faudrait que je fasse un go-fast en Belgique pour ramener du tabac digne de ce nom… OK, dès que je retrouve un semblant de vie normale financièrement parlant, parce que c’est un go-fast à 500 euros entre l’essence, le péage et le tabac que j’achète par seaux.

Je pourrais commander sur internet mais il faut savoir que les douanes confisquent d’emblée et qu’on peut toujours se brosser pour se faire rembourser ! C’est l’hypocrisie suprême de l’état français, une main devant et une main derrière, limite une arnaque en bande organisée.

Bref, comme si cela allait me faire arrêter de fumer.

EQUINOXE

 

Premier coup de semonce de la canicule. J’arrive cependant à garder un semblant de fraîcheur dans l’appartement et j’ai encore mes chaussettes, donc ça va. Je déteste avoir froid aux pieds.

Ils annoncent un été torride. Pire que l’an dernier. Quand je repense aux 32 degrés au thermomètre du salon volets et fenêtres fermés, j’en transpire déjà. Même si je supporte bien la chaleur, héritage génétique, je ne l’aime pas pour autant. Et de façon paradoxale, je n’aime pas la clim non plus. Rien de tel pour choper la mort. Et en ce moment, il vaut mieux éviter d’éternuer en public car on peut se faire lyncher.

Vendredi 26 juin 2020 – DECONFINEMENT J+47

Je consulte toujours les offres d’emploi, qui sont les mêmes pour la plupart. Par habitude, j’imagine. Je reçois quelques réponses du style ‘Merci mais non’… Bref, il faudrait certainement que j’explore d’autres canaux de recherche, Indeed par exemple, mais du peu que j’ai pu en voir, cela ne me correspond pas vraiment. Ça tutoie à tout-va, le descriptif des postes est tout sauf concis, tout est dans la ‘win attitude’, donc plutôt pour les 20-30 ans, quoi.

La reprise de l’activité économique reste fluette et les embauches très éparses, la priorité étant donnée aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail avec des aides massives de l’état et des contrats d’alternance à gogo. Je suis d’accord mais qu’en est-il des mi-figue mi-raisin comme moi qui de plus, touchent zéro euros de chômage ?

Et à écouter les experts à la radio qui font état de l’ampleur terrifiante de cette récession sans précédent, cela annihile mes derniers espoirs. Les redressements judiciaires, les liquidations, les plans de sauvegarde, tout ça fait froid dans le dos. On parle de deux ans pour éventuellement s’en remettre. Mais on fait quoi pendant ce temps-là ?…

Bref, je repense à mon interview où j’ai vraiment dû merder. Quand même, ils auraient pu se donner la peine de me dire qu’ils ne donneraient pas suite. Pas très correct, je trouve. Donc voilà, je n’ai pas d’autres pistes. Peut-être que je devrais regarder de plus près ces missions de traduction dont m’ont parlé mes amis américains Zane et Lewis ? Même si c’est à la pige, ce serait toujours mieux que rien.

Zane et Lewis, une amitié hors du commun depuis 14 ans. On ne se voit pas souvent mais notre lien est indéfectible. Ils me manquent, j’ai hâte de les revoir. Dans ma boîte à bidules, j’ai gardé les petits pots de graines à planter de leur mariage. C’est un de mes plus beaux souvenirs. Moi et Sean à l’époque, on avait fait le voyage sur quatre jours, cela avait même laissé le douanier pantois à l’aéroport avec notre ‘purpose of the trip’

11.00. J’appelle Maman, elle a l’air d’aller bien aujourd’hui. Hier aussi, apparemment, lucide et bien ancrée dans la réalité. Elle s’est d’ailleurs plainte à son frère venu la voir que je ne restais pas longtemps lors de mes visites. Je prétexte à chaque fois qu’il vaut mieux avoir des contacts brefs pour éviter de la contaminer mais la vérité, que je ne peux lui avouer, est que c’est trop dur pour moi.

En effet, je supporte de moins en moins la marche en crabe des médecins, leur ton feutré et leur regard compatissant. Je sais que ce n’est pas facile, même lorsqu’on est professionnel, d’annoncer aux enfants la mort imminente de leur mère, ça doit se faire avec tact et compassion. C’est le cas. C’est juste moi qui n’y arrive plus.

Elle a dit aussi à son frère qu’elle n’avait que des bons souvenirs lorsqu’elle était chez moi, ‘comme un coq en pâte’ selon elle. C’est bizarre, elle ne se souvient pas de la tortionnaire que j’avais l’impression d’être avec elle, elle ne se souvient pas que je lui criais dessus à tout bout de champ. Ou elle choisit de ne pas se souvenir. Tant mieux pour elle. C’est juste que moi, ça ne fait que gonfler à bloc ma mauvaise conscience.

Oui, elle ne pouvait plus rester chez moi, oui je ne pouvais plus m’en occuper, physiquement et psychologiquement et oui j’avais hâte mais jamais je n’ai souhaité cet aller simple pour le mouroir d’un hôpital. Et ma décision raisonnée de ne pas la reprendre chez moi rajoute une couche à ma culpabilité.

Et donc tout ça fait que j’ai de plus en plus de mal à la voir, à lui parler. Parfois, j’ai hâte que cela se termine. Je repense à mon père qui voulait que je l’aide à partir. Maman n’est pas aussi atteinte que lui et ne souffre pas mais est-ce encore une vie pour elle, allongée toute la journée sans pouvoir sortir ? Dois-je faire tout mon possible pour prolonger sa vie ? Dois-je me battre pour son transfert à l’EHPAD et la mise en place des soins palliatifs ? Dois-je m’acharner égoïstement pour ne garder que l’ombre d’une mère ? Coûte que coûte, même à son encontre ?

Dois-je demander à nouveau l’aide d’Harry ?