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STORYTELLING

“We knew this was going to go long. We feel good about where we are. We really do. I’m here to tell you tonight we believe we’re on track to win this election. I’m optimistic about this outcome. Keep the faith, guys. We’re going to win this.”

Who is? It’s not very clear as both of them tells out the same, only with different words. And this raging battle raises only one thought in me: everything is really possible within these lands where the American dream is more alive than ever.

 

Mercredi 4 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+6 # USA ELECTION DAY D+1

Passé la nuit devant la télé et suis allée me coucher lorsqu’il a été clair qu’aucun résultat ne serait probant avant trois jours. J’ai sommeillé quelques heures et me voilà avec MON rêve américain qui revient me chatouiller.

C’est fou à quel point je peux me sentir patriote mais pas pour mon pays. Frémissante dès que j’entends l’hymne national américain, de marbre quand c’est la Marseillaise. Apolitique par principe en France mais férocement engagée aux Etats-Unis.

Est-ce parce que j’ai besoin de croire en un porteur de valeurs fort et digne de confiance ? Ici, c’est ‘faites ce que je dis, pas ce que je fais’ alors que là-bas, c’est ‘je fais ce que je dis, je suis ce que je dis’. Trump en est la preuve vivante. Que l’on embrasse ou non ses valeurs, on ne peut nier qu’il a toujours été fidèle à lui-même.

Biden sauvera-t-il le monde ? Malgré mon âme profondément démocrate, j’en doute. Mais j’ai de grands espoirs pour sa colistière Kamala Harris qui pourrait devenir la première femme à la tête de la plus grande puissance mondiale et changer ainsi le destin de tout un chacun sur cette terre.

Rien que le symbole pour moi est porteur d’espoir. Tout comme l’était celui d’Obama en 2008. Peu importe le bilan de ce dernier, quelque peu mitigé en fin de deuxième mandat il faut bien le reconnaître, il a incarné le changement et la volonté d’unir les peuples dans un but commun.

YES, WE CAN. Un slogan qui est encore gravé en moi profondément.

J’ai même donné pour sa campagne. N’étant pas citoyenne américaine, j’ai donné par l’intermédiaire de la maman de Zane qui était ravie d’avoir un tel ralliement à ses propres valeurs. Puis, j’ai rejoint les Democrats Abroad et j’ai suivi Obama sur les réseaux sociaux. Je suis même allée à Chicago, son fief. Et me suis prise en photo devant son portrait dans la galerie des présidents au Mount Rushmore dans le South Dakota. Oui, j’étais une fan inconditionnelle. Et quelle classe, ce mec !

Bref. Alors, mon rêve américain à moi, c’est l’idée que l’on peut se faire soi-même. C’est l’antithèse parfaite du système de castes : peu importe d’où l’on vient, ce qui compte c’est ce que l’on fait. On peut se construire en partant de zéro si l’on travaille dur et que l’on croit en soi. On peut se crasher et renaître de ses cendres, on est même encensé et pris en exemple dans ce cas-là.

En France, sans diplôme, sans éducation, on n’est rien. Même l’autodidacte le plus accompli soulève toujours des suspicions. On ne salue pas le travail mais l’aboutissement d’un parcours normé qui exclut la conviction et la révélation. On se méfie de l’atypisme comme de la peste, on veut du spécialisme, de la technicité enseignée, de l’expertise qui sort de l’école et non du vécu.

Et entreprendre en France, c’est une croisade sanguinaire où tout ce que l’on fait est de se battre contre, au lieu de se battre pour. Une chimère, un non-sens, un mirage. Et quand on s’est cramé les ailes une fois, on est bon à mettre à la poubelle, il n’y a plus rien en nous qui mérite l’attention, encore moins la reconnaissance.

 

D’aussi loin que je me souvienne, les Etats-Unis m’ont toujours appelée. Et à 20 ans, j’ai répondu à leur appel. Je suis partie sac-à-dos en tant que jeune fille au pair dans un premier temps. J’avais le plan ensuite de me fondre dans le pays pour tenter ma chance, comme on dit. J’étais naïve et certainement pas préparée, j’ai pris peur et je suis rentrée, la queue entre les jambes.

Mais je me rappelle, lorsque je suis arrivée pour la toute première fois donc aux Etats-Unis, à l’aéroport de Tampa Bay, Florida, j’ai ressenti immédiatement une impression de grandeur et d’espace. C’était enivrant et inquiétant à la fois.

Par la suite, j’y suis retournée maintes fois, quadrillant un peu tout le pays, avec une prédilection très marquée pour le Montana après l’avoir découvert en 2012. Je ne saurais dire pourquoi, j’ai l’impression que je suis chez moi aux Etats-Unis. Un sentiment indéfinissable d’appartenance à quelque chose que je connais instinctivement.

Même si je suis la première à dire que les Américains peuvent être des benêts incultes à la mémoire courte quand ça les arrange – je n’oublie et ne pardonne pas la spoliation des natifs américains et la fondation du pays sur le sang des esclaves arrachés d’Afrique – j’adhère complètement à leur mentalité de pionniers et d’entrepreneurs qu’ils ont tous, chevillée au corps.

Bref, je me sens à ma juste place là-bas. Et je ressens aujourd’hui plus que jamais leur appel comme celui d’une maman ourse pour son petit qui s’est trop longtemps éloigné d’elle. Une nécessité urgente.

Je ne sais hélas pas comment y répondre. Pas encore. Je pense qu’il faut que j’investigue dans cette voie-là. Mais je ne suis plus la gamine simplette aux illusions de grandeur, je ne repartirai donc pas à l’aventure avec ma seule conviction comme caution.

MISSION ACCOMPLIE

« Besoin de transmettre ce bouquin comme une bougie sur la route de quelqu’un qui s’était perdu… L’idée que la vie est pleine de surprises, qu’en deux ans, voire même en un, tout peut changer, c’est le meilleur booster d’énergie qui soit ! Un livre absolu, donc. Et qu’est-ce qu’on rit ! Merci, Harry. »

Une évidence là aussi. Bradley l’a lu d’une traite en se marrant toutes les trois minutes. Et déclame aujourd’hui à l’envi des répliques du style « Comme dirait Tonton Harry… » qui font désormais partie de lui. Une petite goutte de lumière supplémentaire bien efficace.

 

Dimanche 1er novembre 2020 # RECONFINEMENT J+3

Pas facile de retranscrire des émotions, des ressentis en rétroactif… Peut-être faudrait-il que je travaille à la frappe chirurgicale, à l’instant T sinon j’ai bien peur de finir schizo… Bref, allez, j’essaye. Donc, me voici en retransmission quasi-live. Disons que c’est plus frais que si j’avais attendu l’infusion des choses comme je l’ai fait jusqu’alors.

Ainsi, Bradley vient de partir. Chercher ses enfants sur l’ordre implacable de son ex-femme qui l’a mis devant ses incontournables responsabilités. Il a voulu jouer la carte de son devoir de militaire de réserve car il savait très bien qu’elle n’aurait cure de l’aider dans sa dépression en le déchargeant des enfants pour quelques temps. Mais elle a été inflexible là aussi.

Mais ce n’est pas plus mal. Car même si elle avait accepté, cela aurait été reculer pour mieux sauter, il aurait bien fallu régler le problème tôt ou tard. Bah là, c’est tôt. Je savais que ça le contrariait depuis lundi même s’il éludait plus ou moins brutalement dès que j’abordais le sujet et ce matin, j’ai su à la première prise de constante qu’il allait devoir prendre une décision.

On a parlé un long moment. On a abordé des sujets pragmatiques comme les divergences sur l’éducation des enfants que son ex-femme et lui ont pu et ont toujours, comme des options possibles pour faire en sorte qu’il continue d’assurer sa part de garde alternée sans être dans son appartement, des implications de ces options et quelque part, de la seule solution qu’il lui restait.

Il s’est rendu compte qu’il était piégé. Et que pour l’instant, il ne pouvait faire autrement que de subir cette situation avec tout ce que cela induit.

« Sache que je ne veux pas que la proposition que je t’ai faite soit un deuxième piège. Et je suis navrée du poids que cela ajoute à ton barda. Mais c’est peut-être un mal nécessaire ?… »

Il s’est mis à faire les cents pas dans le salon. Je pouvais sentir son énergie tressauter comme la flamme vacillante d’une bougie. Je n’ai pas pu le laisser se débattre plus longtemps avec si peu d’armes. J’ai alors rassemblé la lumière en moi, je l’ai concentrée puis je l’ai projetée sur lui en visant le plexus et le front avec ces mots dans ma tête comme un mantra : « Aie confiance en toi »

J’ai pris soin de ne pas plonger en lui, le but n’était pas cette fois d’aller installer des spots au cœur de l’obscurité mais de lui prêter la lumière du soleil pour tout éclairer. Il a paru désarçonné.

–  Et alors ?

–  Bah c’est comme un gâteau, il faut que ça cuise.

Et je suis partie vaquer à mes occupations sans plus me préoccuper de lui. Il a eu un moment de battement puis il s’est assis sur la banquette pendant un long moment, étrangement calme. J’ai même pensé qu’il piquait une sieste. Mais il a ‘ré-émergé’ trente minutes plus tard pour me dire qu’il n’était pas parti très loin et qu’il allait prendre une douche.

On s’est croisés à la sortie de la salle de bains, je l’ai frôlé par inadvertance et j’ai senti le changement qui s’opérait en lui. Et quelques minutes plus tard :

–  Je vais partir. Je vais chercher mes enfants et je rentre chez moi. Qu’en penses-tu ?

–  Ce n’est pas le temps pour moi de penser. C’est le temps des craintes.

–  C’est-à-dire ?

–  Je crains de ne pas pouvoir te rattraper si tu retombes dans ton gouffre. Je crains qu’il ne finisse par te broyer une fois pour toutes.

On a pris un moment côte à côte, le temps d’une cigarette à la fenêtre. Il s’est ouvert comme il ne l’avait jamais fait auparavant.

« Ça y est, je vois clair maintenant. Je ne sais pas ce que tu m’as fait mais c’est vrai, il fallait que ça infuse. Comme tu l’as dit, je connais aujourd’hui mes légitimités. Je sais qui je suis. Je suis un fils. Je suis un père. Je suis un ami. Je suis un soldat. Je ne sais pas trop encore qui je suis auprès de mon ex mais c’est de plus en plus clair. Au moins, j’ai accepté la rupture.

Et je n’ai pas peur de revenir dans mon appartement, je n’ai pas peur de retomber dans le cocon de la dépression, je me sens plus fort et j’ai confiance en moi. Je ne sais toujours pas ce que je vais faire dans quelques temps mais je sais que je vais partir de Paris. Quelque chose me dit que cette maison dont je rêve, ce havre de paix se présentera à moi de lui-même. L’idéal serait de… »

Je l’ai écouté, je l’ai regardé, il avait un air serein sur le visage et une petite flamme dans le regard que je ne lui connaissais pas. Et tandis qu’il a continué à explorer à voix haute tous les recoins de sa pensée, je n’ai pu m’empêcher de me dire « J’ai réussi, je suis trop forte. Il n’a plus besoin de moi, maintenant, ma mission est terminée. »

En un temps record, en plus. Je n’avais pas d’agenda précis mais je pensais que cela aurait pris plus de temps quand même. J’avoue que cela m’a fait une petite pointe de douleur à laquelle je ne m’attendais pas. Mais elle n’a pas duré, autre chose s’est déployé en moi et a fait revenir un large sourire sur mes lèvres : la lumière est revenue m’investir de part et d’autres.

–  … Tu avais raison, de m’exiler dans un endroit neutre pour me poser m’a fait le plus grand bien. Je n’ai peut-être pas toutes mes réponses mais j’ai avancé de ouf, je n’ai vraiment pas envie de partir mais je sais que je dois des explications à mes enfants et…

–  Je peux te donner ma première facture d’honoraires ? ai-je fait en riant pour désamorcer la solennité du moment.

–  Tu devrais penser à l’humilité, peut-être que les gens ont besoin de se dire qu’ils s’en sont sortis eux-mêmes et qu’ils ne doivent rien à personne… a-t-il répliqué, un peu cinglant.

–  Tu ne m’es redevable de rien du tout. C’est toi qui a fait le chemin. Moi, j’ai juste mis les spots sur le bas-côté pour ne pas que tu tombes. Rappelle-toi du tirage de cartes que j’ai fait pour nous deux : moi La Muse, toi Le Travail Sur Soi et nous deux La Loi autrement dit Le Contrat. C’était écrit.

Ouais, j’ai bien le droit d’avoir les chevilles qui enflent un peu. Une euphorie bien méritée, j’ai envie de dire. Même si étrange, quelque part, car elle soulève tellement d’autres questions !

Bref. Il est donc parti en coup de vent sur un mystérieux « Je reviens vite » et moi je suis allée finir de m’occuper des choux de Bruxelles que j’avais commencés à éplucher. J’ai essayé, tout du moins…

A la seconde où j’ai refermé la porte sur lui, j’ai ressenti, je n’ai pas d’autres mots, comme une chasse d’eau dans tout mon corps et j’ai été obligée de m’asseoir un instant. J’ai ‘dégonflé’ d’un seul coup, à tel point que la bague de Maman a glissé de mon doigt. Et autre fait notoire : ma boule au ventre a disparu.

Ce poids, comme une véritable boule de bowling, me pesait sur l’estomac depuis deux semaines. Je ne lui en ai pas parlé, je ne voulais pas en rajouter et à vrai dire, je ne savais pas trop moi-même ce que c’était. Jusqu’à ce qu’elle disparaisse, là.

Je sais que j’ai achevé ma mission. Avec les honneurs. Je n’ai donc plus rien à lui donner. Je suis sincèrement heureuse pour lui et je continuerai de l’encourager dans cette voie mais je ne vois rien d’autre au-delà de ça.

Il s’est révélé à lui-même. C’était le but. Je lui ai tout donné, il a tout pris. C’était le deal. J’ai su bien avant lui qu’il n’y aurait pas de redite de nous deux mais quelque part, je me suis laissée porter parce que c’était bon, tout simplement. C’était le risque. Maintenant, il n’y a pas de place dans son futur pour moi et je ne le revendique pas. C’est le constat.

Un sentiment hybride d’immense satisfaction et d’amertume. Mais je n’ai pas perdu ma lumière. Je crois que c’est le plus important.

 

Je profite de me retrouver seule pour revenir dans mon jardin, un peu délaissé ces derniers temps, je dois bien l’avouer. Je suis partie à des années-lumière mais je ne me sens pas tant dépaysée que ça. La preuve que ce n’était pas une fuite en avant mais un voyage qui ne me fait pas haïr ma friche en rentrant.

Ainsi, Toto ne va pas mieux. Sa petite semaine de vacances n’aura été qu’une maigre parenthèse dans le profond chagrin dans lequel j’ai peur qu’il s’ancre irrémédiablement. Il est en train de couler en entraînant ma belle-sœur vers le fond avec lui. Mais il a quand même réagi avec antidépresseurs et psy. J’espère que cela va vraiment l’aider.

J’ai presque mauvaise conscience. Moi, j’ai trouvé la paix et avancé à pas de géant mais j’ai l’impression d’avoir oublié mon petit frère loin derrière. Alors, je lui ai demandé s’il souhaitait que je vienne le voir ce dernier week-end de ‘tolérances’ dans le confinement tout neuf mais cela n’a pas l’air d’être une urgence pour lui. Quelque part, ça me rassure un peu.

Quant au cimetière, l’idée de ne pas y aller durant ce mois de confinement qui risque de durer, ne m’horrifie pas tant que ça. J’ai le sentiment que la dernière fois que j’y suis allée pour mettre la plaque avec la photo de Maman m’a vraiment permise de faire le deuil.

Le 28 il y a quatre jours, ça a fait un an que Maman est venue habiter avec moi en sortant de l’hôpital. Un an que c’était le début de la fin sans que personne ne le sache. Enfin si, moi. Mais je ne voulais pas y croire.

C’est pour ça, je pense, que j’étais tellement en colère durant tout ce temps que j’étais avec elle. Je voulais battre le sort tout en sachant pertinemment que je n’y parviendrais pas. Ce sentiment d’impuissance a généré chez moi une terrible frustration. Et plus j’étais en colère, moins je comprenais, plus j’étais déboussolée, plus ça me remettait en colère, le cercle vicieux, quoi.

Aujourd’hui, je pense à elle et c’est l’amour qui vient en moi avec une lumière bien chaude. J’ai encore des moments de rechute, comme lorsqu’en entendant une vieille chanson d’Hervé Vilard j’ai éclaté en sanglots car cela m’a renvoyée à la Chapelle Moulinard où nous étions, mes parents, mon frère et moi, heureux comme pas possible.

Mais je ne me suis pas noyée dans mes larmes, j’ai retrouvé mon sourire très vite en me disant que j’avais une chance folle d’avoir ces souvenirs de bonheur absolu en moi, qu’ils devaient nourrir désormais mon feu sacré.

 

Je ne sais toujours pas ce que je vais faire de ma vie prochainement. Et avec ce confinement que tout le monde prédit à rallonges, je pense qu’il est vain d’espérer un quelconque décantage côté boulot. Bon, en même temps, je peux tenir financièrement quelques mois encore mais c’est la même rengaine : ce n’est pas tant d’un job mais d’une réelle motivation dont j’ai besoin.

Avec ma récente révélation, j’ai trouvé un sens à ma vie mais pas forcément de direction. Je dois avouer que cela me chagrine un peu mais en aucun cas je laisserai le doute et l’angoisse revenir dicter leur loi en moi. J’ai même une certitude : c’est en arrêtant de chercher une réponse que celle-ci se présentera à ma porte.

Dès demain, je vais reprendre ma petite routine, je vais faire mon ménage, ma gym puis je repiquerai sur le projet du Normandy Beach. Ça me va. Ce n’était pas prévu mais maintenant que j’y repense, rien n’était prévu. Depuis une semaine qui me semble une éternité, j’ai vécu non pas au jour le jour mais à l’heure, voire à la minute. J’étais là, je faisais ça, je ressentais ça, point.

Et j’ai envie de continuer comme ça. Dans mon petit train-train confinée seule ou pas.

J’AI RETROUVE MA LUMIERE !

« Nénette, pour la soirée-belote chez toi demain soir, sur le principe c’est okay mais je suis embêtée car je sens qu’il va se passer une merde demain qui va faire que ça va être annulé. Plutôt que de te faire faux bond au dernier moment, c’est possible de remettre ça à plus tard ? S’il y a lieu, en fait… »

Une soirée-belote entre couples alors que je ne me sens pas ‘en couple’, je préfère annuler plutôt que d’entrer dans un jeu de dupes. J’aime pas trop les choses inutiles et les faux-semblants, en ce moment.

 

Dimanche 25 octobre 2020 # COUVRE-FEU J+9 # LA REVELATION

10.45. En plein ménage avec une nouvelle playlist dans les oreilles, je m’octroie une pause avant l’aspirateur pour me mettre à danser comme une damnée dans le salon. Un milliard de pensées tourbillonnent dans ma tête. C’est comme si je cherchais à les faire sortir en comptant sur la force centrifuge de mes pas de danse endiablés.

Je repense entre autres au dernier appel de Bradley cette nuit. Malgré le fait qu’il m’ait cueillie en plein sommeil, nous avons pu converser de façon relativement cohérente. Mais j’ai senti au timbre de sa voix que quelque chose n’allait pas. J’ai même pressenti que ce soir, il ne me rejoindrait pas après avoir déposé ses enfants chez son ex-femme.

Son ton a même radicalement changé tandis que je soulignais la mentalité un peu décalée des parents d’Andrew qui plaît à mon esprit un peu loufoque, comme ça, parce que cela me faisait plaisir d’en parler. Il m’a dit sans détours qu’il s’en foutait, que cela ne l’intéressait pas. Tout comme lorsque j’ai commencé enfin à m’exprimer à voix haute au sujet de mes craintes, de mes interrogations, de mes errements à moi, il m’a vertement rabrouée car c’était trop cafouilleux à son goût, il avait assez de son merdier à lui pour ne pas vouloir s’en adjoindre un autre.

Là, c’est en moi que cela a cloché. J’ai bien compris que ce n’était absolument pas nécessaire à l’évolution de son schmilblick mais toutes ces miettes de moi font partie de moi, de les éjecter de la sorte, c’est comme de me claquer la porte au nez, c’est blessant.

Ce n’était pas la première fois mais c’était bien la dernière. Stop. Fini de me bousculer. J’ai pu trouver sa brusquerie rafraîchissante au début mais là, ça m’emmerde. Son égocentrisme aussi. Alors oui, sa dépression. Mais moi, je ne trouve pas ma place dans sa grotte mentale, je pense d’ailleurs qu’il n’y a plus de place tout court, alors à quoi bon, ça ne mènera nulle part.

Et de cheminement en cheminement, tandis que mon corps communie sur la musique, étonnamment sans aucune douleur, une lumière se fraye un passage en moi et d’un seul coup, elle se met à m’irradier de la tête aux pieds, atome par atome, jusqu’aux tréfonds de mon âme.

Ce n’est pas une transcendance comme il y a une semaine mais une révélation. Une éclosion. Ma longue gestation est arrivée à son terme. Tout m’apparaît alors dans une clarté absolue, je suis empreinte d’une infinie sérénité qui fait poindre sur mes lèvres un sourire rayonnant de bonheur.

Je me suis reconnectée à mon centre d’énergie intérieure. J’ai retrouvé ma lumière. Celle que j’ai perdue depuis bien trop longtemps. Je sais enfin qui je suis. Ce que je veux. Ce que je dois faire. Je sais que je suis assez forte désormais pour partir guerroyer contre les ténèbres, bardée de mon oriflamme de lumière. Un peu comme Gandalf, mon autre idole.

Ainsi, je ne suis pas faite pour être ‘en couple’ ni même pour être amoureuse. Car mon cœur, c’est mon âme et cette dernière se nourrit d’autre chose que de sentiments. Ça ne veut pas dire que je ne peux plus aimer, bien au contraire. Mais plus comme avant.

Avant, je ne savais que me jeter à corps perdu dans une passion-fusion que je savais éphémère, sans chercher à vouloir construire quoique ce soit. Je ne faisais ni plus ni moins que le tour de l’autre en prenant ce dont j’avais besoin. Une fois que je n’avais plus rien à vampiriser, l’autre n’avait plus d’intérêt pour moi et notre histoire non plus. Je croyais que l’amour m’apporterait la lumière, je n’avais pas compris que c’était le contraire…

Pour ce qui est de Walter, nous deux n’ayant jamais eu lieu, je n’ai jamais pu faire le tour de lui, ce qui explique certainement la longévité exceptionnelle de notre ‘histoire’, notre maelstrom de frustration et de fantasme. Jusqu’à ce que je comprenne enfin son absurdité.

D’ailleurs, il y a sept ans juste après ma ‘rupture’ avec Walter, j’en étais déjà venue à cette conclusion : as no one is good enough for me and as I am no good either for anyone, I’ll be a better person to everyone if I remain by myself.

Pareil il y a deux mois, ce que j’ai appelé mon souhait de couvent en réclusion émotionnelle. Peu après, j’ai revu Bradley qui, comme un chien dans un jeu de quilles, m’a faite remettre cette résolution en question, presque contre mon gré. D’où cette dissonance que j’ai perçue quasiment dès les premiers jours.

Je n’ai jamais ressenti ni n’ai revendiqué ma place dans les bras de qui que ce soit. A part peut-être dans ceux de Bradley il y a 23 ans. Je ne me rappelle de pas grand-chose de cette époque, c’est vrai, mais je me souviens tout de même de ce que j’ai pu éprouver auprès de lui à un moment donné, un sentiment naturel et légitime d’appartenir à un tout. D’être chez moi.

Mais il a tant changé. Complètement brisé, lui aussi. Et il lui reste un si long et si douloureux chemin à parcourir avant de se trouver que je ne suis pas sûre qu’il ait suffisamment de ressources en lui pour les allouer à une autre cause que la sienne. Quant à moi, maintenant que j’ai trouvé un sens à ma vie et que je suis prête à me jeter de l’avant sans peur ni regret, je ne suis pas sûre de pouvoir l’attendre.

J’ai de plus cette chanson qui trottine en moi. Je sais que c’est ça que je veux ultimement avec quelqu’un. Mais je ne peux ni ne veux l’exiger de qui que ce soit. Et je doute fort que Bradley en soit là, voire qu’il puisse un jour incarner ces mots en toute justesse :

 

Je veux partager le reste de ma vie avec quelqu’un

Qui partage mes pensées les plus secrètes et mes détails les plus intimes

Quelqu’un à mes côtés avec tout son soutien, en retour, il aura le mien…

Lorsque je souhaiterai parler du monde dans lequel on vit, de la vie en général, il saura m’écouter

Même si je peux avoir tort ou si mes opinions peuvent être faussées

Il m’écoutera jusqu’au bout mais ne se ralliera pas pour autant à ma façon de penser

Souvent d’ailleurs, il ne sera pas du même avis que moi

Mais au bout du compte, il me comprendra…

 

Je veux quelqu’un qui m’aime passionnément

De toute son âme, de tout son souffle, à rêver, à respirer

Quelqu’un qui m’aide à voir les choses sous un angle différent

Et tout ce que je déteste, j’en viendrai peut-être à l’aimer…

 

Je ne souhaite pourtant pas me lier à qui que ce soit

Je fais en sorte d’ailleurs que cela ne soit pas le cas

Mais lorsque je m’endors, je veux quelqu’un qui mette ses bras autour de moi

Et qui m’embrasse… tendrement, juste comme ça.

 

Cette évidence entre nous, celle qui nous a réunis, celle que l’on a suivie depuis un mois, peut ainsi paraître dépassée et hors sujet aujourd’hui. Mais en fait, non. Lui comme moi n’avons certes pas réussi à la définir jusqu’à ce jour mais cela ne signifie pas qu’elle ait disparu. Pour ma part, je la sens même s’aviver en moi de façon spectaculaire.

J’ai la certitude de devoir être dans sa vie pour lui transmettre quelque chose. Je crois que c’est ma lumière. Un juste retour des choses car c’est lui qui a provoqué, même si inintentionnellement, ma révélation. Nénette avait raison, au final.

Quant à une histoire d’amour au sens conventionnel du terme, je ne pense pas que cela nous définisse, lui et moi, ni que cela nous lie intrinsèquement. En tout cas, pas à l’heure actuelle. Qui plus est, l’amour est vaste et n’a que faire des postulats qu’on affiche dans son dos. Donc, je peux et je vais aimer, mais avec mon âme, avec ma lumière.

Maintenant que j’ai retrouvé cette dernière, je ne laisserai rien ni personne me la voler à nouveau. Je n’ai plus peur, je peux tout affronter. Je sais que je peux et dois en faire quelque chose, je me sens investie. Et le chemin qui s’ouvre devant moi s’appelle Bradley.

L’ère du chépa est bel et bien terminée.

 

20.00. « Je pense que tu as compris que je n’allais pas passer ce soir… »  Oui, je l’ai même su avant toi. Bref, problèmes logistiques avec les enfants… Comme si je n’allais pas détecter la véritable raison. Elle me crie dessus, d’ailleurs.

Mais je n’ai aucun ressentiment, aucune amertume ni même le moindre soupçon de colère en moi, c’est très étonnant. Au contraire, je sens monter en moi une vague chaude de lumière, comme je sais que je dois pousser la porte qui s’entrouvre devant moi.

Il doit le sentir à ma voix qui est étonnamment légère et cristalline. De lui-même, il se met à ébaucher les frémissements d’une restitution douloureuse. « Toute la semaine, je me suis retenu car j’avais les enfants. Je peux te rappeler un peu plus tard dans la soirée ? »

Comme soirée veut dire nuit chez lui, je raccroche en me préparant à une déferlante nocturne haute en émotions.

 

21.25. Bien plus tôt que je ne l’avais supposé. Bien plus violente que je ne l’avais anticipée. Bien plus vertigineuse et pourtant salvatrice que je ne l’aurais espérée. Une lame de fond rugissante qui a tout emporté sur son passage.

J’assiste par téléphone à la descente aux enfers de Bradley. J’entends les hurlements, les aboiements, le fracas terrifiant de la tempête qui le ravage à grandes lampées d’alcool et de coups de poing dans les murs, j’entends ses mots qui s’exposent enfin au grand jour dans un tourbillon de fureur et de larmes. Et je ne peux m’empêcher de penser que c’est un mal pour un bien.

Toutes ces pistes, ces perles de lumière que j’ai implantées en lui il y a une semaine ont fait leur chemin. Je ne peux que m’en féliciter, même si d’induire un tel tumulte n’était pas mon but. Mais bon, comme on dit, il fallait que ça sorte. Peu importe, finalement, la manière. Que je sais ne jamais être douce et apaisée dans ce genre de circonstances.

Ce qu’il commence à percevoir le fait atrocement souffrir. Son mal être, sa perte de repères, l’atomisation de ce qu’il pensait être ses valeurs, la déflagration de sa rupture qui n’en finit pas de résonner sans qu’il puisse l’accepter, l’amour qu’il ressent encore pour elle, bref, tout le ramène inconsciemment à son rejet par sa mère génitrice. Il a des mots d’une violence inouïe à son encontre. Je teste sa perméabilité.

« Peut-être faudrait-il que tu prennes en compte son histoire à elle, ce qui l’a faite et défaite et amenée à te léguer ses failles en héritage ?… »

Son silence confirme que je peux encore interagir avec lui. Alors, je m’engage prestement sur l’étroit chemin qui se dévoile à moi. Je lui parle de ma révélation, toute fraîche pour le coup car datant d’à peine quelques heures. Je lui fais part de la mission dont je me sens investie. Il semble l’entendre mais il a tôt fait de se cabrer à l’idée que cela implique un détachement sentimental de ma part.

–  Pourquoi tu me rejettes, toi aussi ?!! Pourquoi tu ne m’aimes pas non plus ?!! J’ai tout fait, tout donné, pourquoi je ne mérite pas votre amour ?!!

–  Parce que l’amour ne se mérite pas. Il est là ou pas.

Il marque un silence. Trois secondes qui semblent une éternité. Et d’un coup, il a comme un éclair qui le fend en deux des pieds à la tête.

–  C’est vrai, tu as parfaitement raison. Je m’aperçois que toute ma vie, je n’ai fait que tenter de prouver que je méritais moi aussi. Je cherchais la reconnaissance, une légitimité.

–  Tu cherchais ce que tu valais. Et ta mère t’a renvoyé l’image que tu ne valais rien. Tu t’es construit sur un mensonge. Son mensonge. Sa faille. Mais ça n’a jamais été la tienne.

On est tard dans la nuit, à présent. L’alcool a fait les ravages qu’on attendait de lui. Le chaos en lui s’en trouve anesthésié, même si provisoirement et de façon complètement illusoire. C’est dans cet œil du cyclone que je lui dis alors, d’une voix douce mais ferme :

« Demain matin, dès que tu es debout et passablement dessoûlé, tu viens. Je veux te voir. J’ai une clé à te remettre. »

A ce moment-là, je n’ai aucune idée précise. A vrai dire, je crois que c’est sorti comme ça, presque involontairement. Je ne vois que mes mains qui lui tendent une boule lumineuse.

 

Lundi 26 octobre 2020 # COUVRE-FEU J+10 # LA PROPOSITION

« Tout ce que je sais, c’est que je peux t’aider. C’est ma mission, mon chemin. Cela n’a jamais été aussi clair en moi. Tu peux penser que je poursuis un but personnel et qu’ainsi je ne peux pas être objective. Mais si je dois te demander une seule chose, c’est de me croire ici, maintenant quand je te dis que mon aide est complètement désintéressée et sans contrepartie.

Je vais te faire une proposition. Prends-la comme une ordonnance médicale. De l’accepter ou de la rejeter reste ton choix mais je n’ai jamais été aussi sûre du bien-fondé d’une telle démarche. Alors, écoute-moi.

Il faut t’extraire de toute urgence de ta crypte, de cet appartement si froid et dénué de sens où tu étouffes, ça te broie et te renvoie sans cesse te percuter sur le mur de l’impasse qu’est devenue ta vie. Si tu veux survivre et avancer, il faut partir, provisoirement dans un premier temps.

Pour cela, tu dois venir ici. Je t’offre un havre de paix, le temps pour toi de savoir où tu en es. Une bulle de quiétude hors de ton environnement toxique où tu pourras faire le point tranquillement sans être assailli par les démons qui hantent ton appartement. Je sais, ce n’est pas un petit cottage campagnard mais je suis persuadée qu’un simple changement de décor ne te sera que bénéfique.

Dans ce havre de paix, tu auras le droit de pleurer tout ton soûl. Regarde, j’ai mis des boîtes de kleenex partout. Tu auras le droit de parler de ce que tu veux, quand tu veux. De ton ex, de ta mère biologique, de tes errements. Ou tu auras le droit de ne pas parler.

Tu auras le droit de t’isoler et d’être taciturne, tu ne seras pas obligé d’être dans l’échange en permanence. Tu auras le droit de te soûler, de me soûler et de refaire une bonne grosse crise comme celle d’hier soir. Tu auras le droit d’être un sale con, une limace, un blob informe, une boule de négativité, une merde à qui on a envie de coller des tartes. Ça prendra le temps que ça prendra.

Mais il y aura des règles aussi. Déjà, vois avec la mère de tes enfants pour qu’elle les garde durant cette parenthèse mais tu les appelleras tous les jours. Autre règle : on mange ici, et pas que liquide, donc tu mangeras même si tu n’as pas faim. Et enfin, moi aussi j’ai besoin d’être seule parfois donc on respecte l’espace personnel de l’autre quand il en fait la demande.

Quant à moi dans tout ça, tu dois te demander… Eh bien, prends tout ce que tu veux de moi, tout ce dont tu as besoin sans penser aux conséquences. Je te le donne. Je n’attends rien en retour sauf que tu retrouves ton chemin. Si ce chemin doit te ramener auprès de ton ex parce que c’est elle la femme de ta vie, qu’il en soit ainsi. Si ce chemin te mène vers l’exil tout au bout du monde, qu’il en soit ainsi. Du moment que tu saches qui tu es et où tu dois aller.

N’aie crainte de me blesser ou de me décevoir. Je n’ai pas peur de toi et tu ne me feras pas de mal. Plus personne ne me fera du mal. Je suis forte maintenant et je sais ce que je fais. Je te donne en mon âme et conscience. Et je t’accompagnerai en distillant mes perles de lumière en toi mais seulement si tu le souhaites. Parce que c’est ma mission.

Entends bien, je n’accueille pas le premier chien errant venu pour m’en servir de cobaye, je n’héberge pas un copain dépressif en mode ‘suicide watch duty’, ce n’est pas une demande de concubinage, ni même de colocation : je t’offre simplement et sincèrement un endroit pour te poser et une opportunité de trouver tes réponses.

Mais je ne peux rien t’imposer car cela ne fonctionnerait pas. Tu dois accepter de recevoir ce que je te donne. Si ça peut t’aider, prends le confinement qui ne saurait tarder à revenir comme prétexte… »

 

Vendredi 30 octobre 2020 # RECONFINEMENT J+1 # L’ACCEPTATION

Hier après-midi, Bradley est parti chercher ses affaires pour se confiner avec moi dans mon petit appartement parisien. En l’attendant, j’ai fait un peu de tetris dans la chambre, je lui ai aménagé un coin pour son ordi et ses bouquins et je lui ai alloué quatre cintres dans ma penderie. Moment d’emménagement que j’ai voulu d’une grande simplicité car ce n’était rien d’autre qu’une formalité logistique. Et j’ai tellement l’habitude du tetris depuis un an que cela m’aura pris six minutes exactement.

Sacré covid ! Vachement raccord avec ma vie, tout de même ! Même si ce nouveau confinement ne va pas pour moi changer fondamentalement grand-chose car je n’ai pas vraiment quitté depuis février le mode confinement monacal, il tombe aujourd’hui parfaitement à point. Comme quoi, il n’y a toujours pas de coïncidences dans la vie.

La seule différence, pourrait-on penser, est que je ne suis pas cette fois confinée seule. Mais j’ai cohabité avec Maman pendant de longs mois donc pour moi, c’est un peu pareil, aujourd’hui. C’est même désarmant la facilité avec laquelle j’intègre à nouveau un être humain dans mon giron et pas par touches par-ci par-là mais 24/24 – 7/7…

Bref. Je pourrais être un peu perturbée mais je dois avouer que je suis d’une zénitude à toute épreuve. Est-ce que c’est parce qu’au final je me faisais bien chier en tête-à-tête constant avec moi-même que j’accueille cette rupture de ma monotonie avec joie et sérénité ? Je ne sais pas trop mais ce que je sais, c’est que depuis ma révélation, plus aucune ombre n’est venue planer au fond de moi et que mon sourire a élu domicile sur mes lèvres définitivement.

Je repense à cette mission qui s’est imposée en moi sans aucun lever de boucliers et qui continue d’imprimer chacun de mes pas, chacune de mes pensées aujourd’hui. Je fais et je suis exactement ce que je devais faire et être. En toute quiétude.

Bradley a longuement hésité après l’exposé de ma proposition lundi. Un ‘non’ pas vraiment massif, plutôt mi-figue mi-raisin mais avec une succession de hochages de tête latéraux en même temps qu’une ribambelle d’oiseaux dans le regard, comme s’il était en train de faire sa thèse-antithèse-synthèse dans sa tête en live.

–  Il faut que j’y réfléchisse, je ne sais pas.

–  C’est une opportunité rare, voire même unique, qui ne se représentera pas de sitôt. Je ne peux pas la forcer en toi, tu dois être dans l’acceptation comme je suis dans le don. Simplement. Pleinement. Sans arrières pensées.

–  J’ai peur que cela se passe mal. J’ai peur de te faire du mal. Non, je ne peux pas accepter, c’est trop.

–  Si la peur guide encore ta vie, je ne peux plus rien pour toi.

Ma force de persuasion a fini par avoir raison de ses réticences. Il a eu un long moment à blanc, il est sorti s’aérer puis il est revenu et s’est mis à arpenter mon appartement de long en large. Il s’est arrêté sur chaque détail, sur chaque objet, il a même ouvert mes placards et posé des questions qui, si elles n’avaient pas traduit son envie d’intégrer son nouveau décor, auraient été presque comiques.

Il s’est donc posé. Timidement et sans brosse-à-dents. Et il n’est pas reparti depuis.

On parle beaucoup. Souvent. C’est bien. Alors, l’entente n’est pas évidente tout le temps, il est tellement à fleur de peau, émotionnellement parlant que la susceptibilité et l’incompréhension font souvent leur apparition, débouchant à ce moment-là sur un dialogue de sourds assez fâcheux, je dois bien l’avouer.

Mais il avance. Il a même fait des pas de géant. Il s’est libéré de beaucoup de poids. Il a même réussi à trouver des réponses à certaines questions qui le tarabustaient et à allumer la lumière dans l’antichambre de certaines de ses ténèbres. Il est plus sûr de lui. Il a retrouvé de l’énergie, de l’allant, de l’audace. Même si rien n’est encore bien calé au fond de lui, ça se met en place doucement mais sûrement.

Et moi, je suis heureuse dès qu’il fait un pas vers la lumière, dès qu’il trouve une réponse, dès qu’il mène à terme une réflexion et qu’il parvient à dormir sans démons pour venir l’écorcher dans son sommeil.

J’ai instauré d’ailleurs dès lundi une sorte de ‘protocole médical’ qui, ma foi, fonctionne bien : je prends ses constantes plusieurs fois par jour. Pas pour sa température mais pour monitorer l’évolution de son énergie intérieure. Ainsi, je place une main sur sa nuque, une autre dans son dos à l’envers du cœur et je peux quasiment sentir son énergie circuler ou stagner sous mes doigts.

Et tout naturellement, lors de ces étreintes singulières, j’ai commencé à le ‘soigner’ en visualisant un écheveau de lumière se former au centre de mon plexus solaire que je peux alors projeter sur lui. Je m’écarte, j’attends un peu que la lumière infuse en lui puis je reprends ses constantes.

Jamais je ne me trompe. Je sais exactement où il en est.

Cela a eu cependant un effet revers que je n’avais pas anticipé. En m’ouvrant totalement, mon don d’empathie boosté au max depuis ma transcendance, j’ai pu plonger au cœur de ses ténèbres pour y déposer mes gouttes de lumière mais je n’en suis pas revenue seule et indemne… J’ai ramené quelque chose avec moi…

En fait, depuis deux semaines, j’ai des nausées et parfois je vomis. Plus le fait d’être ‘radieuse’ ont pu faire croire à Bradley mais aussi à Andrew et Mimine vendredi dernier, que j’étais enceinte. Ils m’ont d’ailleurs tous enjointe à passer un test de grossesse, juste pour savoir, quoi. Et éventuellement arrêter la bière.

Bref. J’ai pu moi aussi avoir un doute mais au fond de moi, j’ai pressenti que c’était autre chose et rien à voir avec une intoxication alimentaire. Et hier soir, j’en ai eu la confirmation, même si je n’ai pas compris tout de suite.

A un moment de la soirée qui se passait comme se sont passées les autres soirées depuis lundi, c’est-à-dire musique, chants et bières, papotages et rires aussi mais certainement pas ce qui allait suivre, j’ai ressenti un truc horrible, comme un coup de poignard en plein ventre qui m’a faite hurler, pliée en deux sur le parquet, les yeux emplis de terreur…

Abominable comme sensation, même si très éphémère. J’ai mis un temps à comprendre puis j’ai fait le rapprochement : mes nausées et maintenant ça, c’était clairement la matérialisation de la douleur de Bradley, celle avec laquelle je suis repartie lors de ma plongée en lui, celle qui n’a fait qu’enfler à chacune de mes ‘prises de constantes’ et qui s’est manifestée furieusement tandis que je venais de capter une pointe de douleur récurrente en simplement effleurant son bras.

Bradley qui s’en est d’ailleurs trouvé complètement bouleversé, au point de vouloir prendre ses affaires et de partir car il ne voulait en aucun cas être la source du mal qui venait de me clouer sur place. Bon, j’imagine que cela ne doit pas être évident d’assister à une telle manifestation où l’entendement est dépassé à pieds joints. Surtout quand on en est l’instigateur, même si à son propre insu.

Mais c’est tout nouveau pour moi aussi. J’avais une vague idée de ce que mon don d’empathe pouvait faire concrètement mais pas à ce point. Il faut donc que j’apprenne à le maîtriser. Et surtout à me débarrasser du mal que j’extrais des gens. Pff et ce Tonton Harry qui est aujourd’hui à 10.000 kilomètres !!!

C’est bizarre mais ça a provoqué chez moi une sorte d’exultation. Tout ce qui était avant pour moi de l’ordre de l’irrationnel, de l’abstrait, relevant d’un pseudo ésotérisme de midinette mal dans sa peau, est devenu palpable, réel, tangible, logique et fondé, pour de vrai.

Bref, je n’ai qu’une hâte, c’est de connaître l’étendue de mes ‘pouvoirs’. Je suis une X-Men. Mais Bradley et moi n’en avons pas reparlé depuis. Je crois que cela l’a assez tourneboulé comme ça.

 

Je viens d’avoir mes règles. Moi qui pensais que la ménopause m’avait périmée depuis un bout de temps déjà… C’est comme si mon corps se réveillait d’une longue léthargie que j’ai prise, à tort, pour l’annihilation programmée de tout ce qui me faisait humaine, qui plus est, femme.

D’où la question « Et si jamais je tombais enceinte ?… »

A mon âge, dans ma situation, je pourrais m’en affoler mais ce n’est pas le cas. D’une certaine façon, je sens que cela mettrait un terme définitif à tous mes questionnements existentiels, si tant est qu’il m’en reste. Et vu comme la simple idée de moi enceinte met Bradley en joie, j’en viens à me demander si moi aussi je suis capable de m’en réjouir.

Où en est-on de notre ‘couple’ ? Est-ce qu’on en est un, d’ailleurs ? Cette cohabitation n’est-elle pas qu’un essai de concubinage déguisé ? Quelles attentes en a-t-on l’un et l’autre ?

J’avoue que de ne pas avoir de réponses précises et franches à ces questions me va bien. Comme je sais que cela lui convient aussi. Je crois que lui comme moi vivons l’instant sans se poser de questions sur l’après. Je suis véritablement sereine. Peu importe demain.

Le deal était clair pour moi et je n’ai pas dévié d’un iota quant à ma ‘mission’. J’ai réussi à dissocier l’aidante de l’amante tout en les conjuguant au quotidien sans heurts entre les deux. Naturellement.

Pour Bradley, même si ce deal n’était au début qu’un concept un peu brumeux, il semble se l’être approprié et le vit aujourd’hui comme une réalité. En lui également, aucun conflit d’intérêt, aucun tirage de couverture.

Un coup de poker gagnant sur tous les points.

HYPER-VIGILANCE

–  Désolé de te rappeler si tard, j’étais absorbé sur un truc. Il n’est pas trop tard pour venir te faire un coucou ?

–  Pas du tout, Yang, quand tu veux !

–  Mimine va peut-être nous rejoindre, auquel cas on fait le couvre-feu chez toi, ça ne te pose pas de problème ?

–  Chouette !!!

Courir au Franprix à côté acheter des bières et des crackers. Je m’étonne moi-même de me réjouir si spontanément de l’improviste.

 

Samedi 24 octobre 2020 # COUVRE-FEU J+8

A la seconde où Andrew a posé le pied chez moi hier soir, j’ai su. Je lui ai à peine laissé le temps de poser ses affaires que je lui ai dit : « Yang, je sens un truc qui va pas chez toi, que se passe-t-il ? »

Il a eu ce regard interloqué teinté d’effroi et n’a pu que bredouiller son embarras. On a ouvert une bière – sans gluten pour ma part, dégueu mais tant pis, fallait que je trinque avec mon pote – et je lui ai raconté mon fameux don d’empathie ainsi que ma récente révélation. L’hyper-cartésien qu’il a toujours été s’en est trouvé quelque peu chahuté mais cette fois, il n’a pas rué dans mes brancards en me traitant de ‘vase à inepties’. J’ai poursuivi.

–  Tu vois, j’ai l’impression que mon don s’est décuplé depuis ma révélation, je capte toutes les ondes, la moindre vibration, je suis dans un état d’hyper-vigilance, une vraie chauve-souris ! Donc, j’ai senti quelque chose dès que tu es arrivé. A vrai dire, je l’ai pressenti déjà quand tu m’as appelée.

–  Euh… Tu peux développer ?

–  Comme toujours, c’est difficile de mettre les bons mots sur un ressenti. Je ne peux même pas te faire une description car je n’ai pas de vision. Disons que j’ai l’impression que quelque chose te démange, que tu as le cul entre deux chaises.

–  Oh tu fais chier, Bichette !!!

J’ai pu voir dans ses yeux que la violence de son exclamation ne marquait pas son exaspération mais son trouble. Je crois que je n’avais jamais lu chez lui une telle confusion.

–  J’ai bon ou j’ai bon, Yang ?

–  J’aurais vraiment espéré que tu te plantes pour me prouver à nouveau que tout ça n’est qu’un ramassis de foutaises mais tu as mis exactement le doigt dessus avec une précision redoutable. Tu me fous les jetons, en fait.

–  N’aie crainte de moi. Car si je suis empathe, je ne suis pas inquisitrice. Si tu ne veux pas en parler, pas de souci.

–  Un jour, peut-être… Tu es douée, je ne m’y attendais pas.

On a fini par en rire et en ouvrant notre deuxième bière, on s’est retrouvé avec une joie non-dissimulée sur notre terrain de jeux favori : l’expression à l’unilatéral de notre Yang-itude. Ça me fait souvent l’effet que l’on est deux mômes facétieux, deux compères copains comme cochons qui jouent aux billes, qui grimpent aux arbres, sautent dans les flaques d’eau, construisent une cabane secrète pour le lancement d’une fusée intergalactique en carton recyclé tout en bataillant comme des chevaliers en culotte courte coiffés d’une passoire en aluminium, une branche de noisetier à la main, le tout dans un éclat de rire qui n’en finit pas de résonner.

Même si l’on peut avoir de grandes périodes sans se voir, on est capables lui et moi dès que l’on se retrouve, de reprendre notre partie de billes là où l’avait laissée sans que le temps n’ait altéré notre complicité. Au contact l’un de l’autre, on s’émule, on se galvanise, on s’énergise. Une dynamie propre à nous se crée alors, comme une sorte de courant continu en auto-alimentation qui génère chez l’un comme chez l’autre une joie profonde et incorruptible.

Notre sphère de connivence, là où parfois les mots sont inutiles. Et jamais biaisée par une quelconque velléité de la part de l’un ou de l’autre d’en vouloir plus. Notre amitié est franche et forte, sans la moindre équivoque. Je suis d’ailleurs persuadée que dans une vie antérieure, lui et moi avons été frères. Bref, mon pote.

Et Mimine est arrivée. Pareil, avant même de la voir, j’ai senti quelque chose, comme un tressautement, une craquelure dans l’air ambiant. Quand on s’est embrassées, j’ai alors perçu en elle la couvaison d’un tremblement de terre…

Elle s’est installée et on a commencé à papoter tous les trois de choses et d’autres mais le grand sourire qu’elle avait affiché en entrant s’est vite effacé pour laisser la place à un regard dur que je ne lui connaissais pas. Soudain, bille en tête, elle est partie en guerre sous un feu nourri de missiles en se lançant dans un violent corps à corps qui m’a laissée pantoise, même si je l’avais pressenti.

La dernière fois, quand elle a eu ce coup de calgon qui nous avait tous pris au dépourvu car tellement aux antipodes de la douce Mimine que l’on connaissait, ce n’était justement pas anodin, il s’agissait des premiers frémissements de ce tremblement de terre.

Sans exposer les tenants et les aboutissants de leur histoire qui n’appartiennent qu’à eux, Andrew et Mimine sont en souffrance, l’un l’autre, l’un avec l’autre. Ils cherchent une réponse qu’ils détiennent déjà mais contre laquelle ils s’arc-boutent de toutes leurs forces.

Moi, j’ai l’impression que la terre s’ouvre sous mes pieds. Un monument s’écroule en moi. Mais je parviens à prendre un peu de hauteur pour ne pas laisser mes propres sentiments interférer. J’ai une réelle compassion pour eux deux et ne peux m’empêcher de garder l’espoir qu’ils trouvent un jour leur chemin.

Ça me fait penser à l’éveil des consciences dont parle la Prophétie des Andes de James Redfield. A peu près tous les gens que je connais sont en ce moment en train de s’éveiller et d’amorcer une transformation en profondeur. Le covid aura au moins apporté cela de bénéfique à l’humanité : une remise en question massive, collective et individuelle.

La Prophétie décrit cette prise de conscience censée arriver au début du 21ème siècle comme une phase d’éveil qui pousse chacun d’entre nous à trouver une réponse en nous. Cet éveil nous mènerait à un état de conscience de nous-même et du monde qui nous entoure si élevé que nous parviendrions tous ensemble à nous connecter à une seule et unique vibration, atteignant par là-même un niveau de spiritualité suprême.

Cette prise de conscience démarre avec la compréhension du flux des énergies et des interactions avec l’autre. Au contact de certains, on se sent boosté, dynamique, tiré vers le haut et au contact d’autres, on se sent vidé, épuisé, nuageux. On pense que c’est une question d’accord ou de désaccord de nos caractères intrinsèques et l’on devine qu’il s’agit d’échanges d’ondes qui sont compatibles ou qui ne le sont pas. En fait, il s’agit de la même énergie que l’on décide, à un moment donné, de partager ou pas, consciemment mais plus souvent inconsciemment.

Apprendre à discerner chez l’autre les méandres intérieurs qu’emprunte son énergie pour sortir au grand jour, apprendre à la recueillir et à l’inscrire dans un échange mutuel pour la faire grandir, c’est le but que chacun d’entre nous doit poursuivre.

Certains ont pris une petite longueur d’avance, comme moi, d’autres commencent tout juste à pressentir cet éveil et d’autres sont encore contrits dans l’obscurité. Je me rends compte, comme la Prophétie le décrit, que la contagion de cet éveil s’est bel et bien déclenchée, me confortant dans l’espoir que notre humanité est sur le bon chemin. Que JE suis sur le bon chemin.

 

Bref, Andrew et Mimine sont restés chez moi jusque dans le milieu de l’après-midi.  Même si Mimine n’avait pas désarmé en se levant, la pédale plus douce qu’elle est parvenue à mettre nous a permis d’aborder d’autres sujets autour du brunch que l’on a improvisé comme au bon vieux temps. Notamment le mien.

Ils m’ont trouvée radieuse, à des années-lumière de la Bichette brisée d’il y a un an et bien sûr de celle broyée par le chagrin il y a un mois. Et on en est venu à parler de Bradley. Comme ils lisent mon blog, ils avaient déjà quelques données pour étayer la conversation.

–  Mais alors, vous vous êtes remis ensemble ?

–  Oui et non. Le ‘ensemble’ reste encore à définir. Disons qu’il y a clairement une évidence entre nous mais aussi, à égale mesure, beaucoup de confusion.

Sur le départ, Mimine a semblé tourneboulée. Je pense qu’elle était en proie à un ouragan de sentiments mêlés comme la frustration du non-aboutissement de sa quête, ses remerciements pour l’avoir écoutée longuement cette nuit tandis qu’Andrew faisait un petit black-out sur la banquette et certainement ses excuses confondantes pour avoir fait de la soirée un pugilat purgatif. Mais nous nous sommes quittés tous les trois sous le couvercle du non-dit, avec force embrassades tout de même. Une soirée haute en émotions. Et j’ai envie de dire « A suivre… »

Bradley. Cette nuit, ma conversation intense avec Mimine au cœur de sa guerre, la musique volontairement haussée pour ne pas qu’Andrew en croix sur la banquette ne puisse trop capter nos propos et certainement l’alcool qui commençait sérieusement à attaquer non seulement ma vision mais aussi mon audition, ont fait que j’ai loupé les nombreux appels de Bradley.

Je l’ai donc rappelé sur le tard et ai eu droit à une volée de bois vert. Limite, il était sur le point de déclencher le plan ORSEC car il s’inquiétait de mon silence. Selon lui, comme on se parle pratiquement tous les jours dans ces horaires-là, le fait que je ne décroche pas malgré son insistance indiquait soit que je ne voulais plus lui parler, soit que j’avais un problème grave.

Il a penché pour la deuxième hypothèse, allant jusqu’à envoyer un message inquiet à Nénette. Connaissant cette dernière, je suis sûre qu’elle était déjà en train de s’habiller pour venir sonner chez moi lorsqu’elle a reçu le message de Bradley disant qu’il m’avait eue en ligne et que tout allait bien.

Bref. Son inquiétude m’a intriguée, voire amusée. Je me suis alors gentiment moquée de lui, à la vérité, j’ai trouvé l’idée réconfortante de savoir que quelqu’un désormais pouvait s’inquiéter pour moi. Même si la teneur et la couleur de nos échanges téléphoniques ces derniers jours ont certainement participé au fait que je n’ai pas calculé ses appels hier soir.

Je ne sais pas trop mais je sens qu’il va se passer un truc, que quelque chose va ployer et rompre, je sens comme une sorte d’avènement, une rupture suivie d’une émergence… Je ne saurais définir exactement ce qui enfle en moi mais je ne peux définitivement pas l’ignorer.

ALTER EGO

« Tu te souviens, on s’était faites virer de la formation et on a fini dans un pub, ivres mortes ! C’était un vendredi 13, d’ailleurs… »

Plongée près de 30 ans en arrière. Sur les traces de mon passé. Souvenirs vivaces. Etonnant, compte-tenu de mon black-out sur mon histoire avec Bradley 20 ans seulement en arrière.

 

Jeudi 22 octobre 2020 # COUVRE-FEU J+6

J’ai recontacté Tamara. Pour la remercier déjà des fleurs qu’elle a envoyées aux funérailles de Maman. Aussi parce que mon intuition m’y a poussée, je ne sais pas, quelque chose d’imperceptible et pourtant de persistant…

Et tandis qu’on s’est remémoré nos souvenirs comme une flambée qui repart de braises mourantes, qu’on s’est parlé de nos vies aujourd’hui, toutes les deux amenées au tournant majeur du questionnement existentiel par les ravages successifs des dérives en tout genre auxquelles elle et moi avons abondamment cédé, j’ai soudain réalisé qu’elle était et est toujours mon alter ego. Du côté obscur de la force.

Autant Andrew est sans nul doute mon alter ego du côté lumière, il est mon positivisme, mon exhausteur d’enthousiasme, mon cheminement de bravoure, mon Yang, quoi, autant Tamara était, et encore aujourd’hui, mon bouillonnement intérieur, mon abysse de déliquescence, mon miroir aux angoisses.

D’aucuns diraient que je suis, somme toute, équilibrée, entre ombre et lumière.

Comme je l’ai écoutée se raconter, je me suis reconnectée instantanément à celle que j’étais il y a tant d’années, à cet étrange lien qui nous unissait elle et moi sur le bûcher ardent de nos tourments, un lien indéfectible, presque mystique et hors du temps.

L’enfer, on l’a arpenté en long et en large elle et moi, ensemble puis chacune de notre côté. Tout au long de ces années, elle comme moi avons pensé à maintes reprises que nous ne réchapperions pas à la prochaine pulvérisation de notre âme qu’en bonnes junkies masochistes nous ne manquerions pas de provoquer. Et nous voilà aujourd’hui, résilientes comme jamais, même si sceptiques sur le sens ultime de cette survivance.

J’ai repensé à ce que m’a dit Nénette, que Bradley et moi devions nous réparer l’un l’autre, l’un avec l’autre. Je ne suis pas tout-à-fait certaine de pouvoir aider Bradley, encore moins que lui puisse m’aider mais ce que je sais en revanche, c’est que ma réparation s’amorcera avec la purge et l’exorcisation d’un pan de ma vie que j’ai refoulé au plus profond de ma conscience pour ne plus avoir à en souffrir.

Et Tamara détient la clé de la porte qui mène à ces souvenirs enfouis. Nous allons donc nous revoir. Bientôt.

 

Last night, another unexplained phenomena occurred. Roswell vs Walter.

–  I hope this time he is the one for you.

–  Doesn’t matter. All I know is that I can’t wait for you anymore.

–  Few days is such a long time to wait.

–  How the hell was I supposed to know?! Told you to hurry.

–  I’m in.

–  You’re where in?!

–  Don’t pretend you don’t understand. As you wish.

By the time I figured this out, he was already gone. Was he ever there? I guess that I’ll never know what could have happened if I had opened the door and he had stood on my doorstep. The ultimate defection. Whatever.

CHEMIN DE CROIX & TRANSCENDANCE

« C’était peut-être trop tôt, ou trop tard. Ce qu’on a pris pour du synchronisme n’était peut-être qu’un pur hasard et si sens il y a, c’était peut-être pour confirmer que l’on est mieux l’un sans l’autre ?… »

Déploiement de mon bouclier anti-missiles. Surblindage de ma coquille. Et champ de barbelés tout autour. C’est hallucinant de constater la facilité, l’automatisme de mes réflexes de défense. Me revoilà confinée. Raccord pour une fois avec la société. Sauf que moi, je n’ai eu droit qu’à trois petites semaines d’aventure à l’extérieur.

 

Lundi 19 octobre 2020 # COUVRE-FEU J+3

La boucle avec Bradley aurait pu être bouclée en une soirée lorsqu’on s’est revus. Mais cela aura pris un peu plus de temps, comme si on voulait être sûr pour de bon. Une sorte de banc de test grandeur nature. Pour moi, cela donne une semaine où mes fondements ont volé en éclats, une semaine de décantage et une semaine à comprendre l’absence de sens à tout ça. Une bien étrange trinité.

Je ne sais donc faire autrement que de me retrancher au fin fond de mon bunker mental en tentant de nier l’existence de mon escapade au dehors. Retrouver le confort de ma grotte pourrait me rassurer mais je dois avouer que c’est plutôt le contraire, je me sens un peu comme une étrangère chez moi, une apatride qui revient au pays pour découvrir que celui-ci ne ressemble plus à celui que j’ai quitté.

Quand bien même, n’ayant nulle part d’autre où aller, je m’improvise un petit nid sous la table renversée et à la lueur de ma lampe-torche, j’essaye d’analyser tout ça.

« Ça sortira quand ça sortira, comme ça sortira. Comment je le prendrai est mon problème. » qu’il me disait. Comme si cela ne pouvait l’atteindre, comme s’il était imperméable à… moi. Je pense que c’est ça, le hic majeur, son égocentrisme surdimensionné et revendiqué qui, bien que justifié par la profonde dépression qu’il traverse, est incompatible avec les prémices d’une relation.

Je l’ai senti pratiquement dès le début, à vrai dire, le lendemain après nos 30 heures passées ensemble. Pas un seul coup de fil, au moins un texto avant la fin d’après-midi. C’est moi qui l’ai relancé d’ailleurs (waouh l’évènement !) et à 17.49 il m’a envoyé « J’ai encore un truc à faire et j’arrive », à 19.23 « Sur la route, quelques bouchons mais j’arrive » et à 21.07 il s’est excusé de son retard car il avait musardé sur la route, notamment en faisant un saut dans une librairie…

Je pourrais m’en vouloir de ne pas avoir écouté mon intuition, encore une fois, mais d’une je ne parvenais pas à mettre le doigt dessus de façon précise et de deux, je pensais que j’étais un peu rouillée, côté précognition, que j’étais en tout cas, en phase de rodage donc pas forcément efficiente.

Puis en Normandie, lorsque j’ai vu le dessin de nos deux chemins qui s’étaient croisés pour repartir dans la même direction mais en parallèle, avec juste quelques interactions diaphanes et pas l’ombre d’un autre rendez-vous, d’une autre croisée de nos chemins.

Et toute la semaine qui a suivi. Ma semaine de décantage, sa semaine avec ses enfants qui a ‘empêché’ qu’on se voit, ne serait-ce que pour déjeuner ensemble pendant les heures d’école : « C’est vrai, c’est con, je suis en arrêt, tu es au chômage, on a plein de temps libre… »

Et cela s’est renforcé juste avant qu’on puisse se retrouver le dimanche soir. Toute la semaine avait été ponctuée par nos très longs coups de fil dans l’après-midi ou tard dans la nuit, certains même ont pu être roucoulants et samedi soir : « Je suis chez des amis, si je ne rentre pas trop tard, je t’appelle, sinon demain matin. »

Nada toute la journée. C’est moi qui l’ai relancé à 19.47 en lui demandant vers quelle heure il comptait arriver. C’est là que cela a commencé à me soûler. « J’arrive quand j’arrive » j’ai pris ça pour un manque de correction. Faire dépendre quelqu’un de ses atterrissages impromptus, being at his beck and call whenever he shows up, j’ai donné, non merci. Le zéro-contraintes, zéro-obligations, je peux comprendre mais il y a un minimum syndical, je trouve.

Mais je n’ai rien dit et notre soirée de retrouvailles a effacé tout ressentiment chez moi. Cette soirée, cette nuit et cette journée d’après ont même d’ailleurs été intensément denses et constructives, surprenantes à bien des égards dans leur aisance à nous faire glousser comme deux ados à leur second rendez-vous.

J’ai même fait un tirage de cartes qui, une fois encore, a fait montre d’une précision redoutable.

MOI > La MuseCes dons, comme leur nom l’indique, représentent une gratification.

LUI > Le Travail Sur Soi Le miroir joue le rôle du divan du psy, élimine les scories de l’éducation, de l’hérédité ou du karma. Besoin de grandir, d’évoluer.

NOUS > La LoiMariage, PACS, contrats, actes notariés, legs. Les règles, les lois, les interdits.

Cette dernière carte, je dois bien l’avouer, a failli nous faire nous étrangler de rire. Mais bon.

 

On a esquissé des projets ensemble. Des micro-projets, certes, mais des projets quand même. Comme de revoir les amis que l’on avait lui et moi il y a 23 ans et avec lesquels il est resté en contact toutes ces années. Comme de prévoir bientôt un week-end en Belgique. Et à plus long terme, cet immense voyage aux USA dont je lui ai parlé en long et en large et auquel il s’est rallié avec enthousiasme.

D’entrevoir un avenir ensemble, même si aucun projet de vie concret n’a été abordé, voire même pensé, m’a donné l’impulsion nécessaire pour faire le ménage de mon côté. Cela m’est apparu clairement : avec ou sans Bradley, je ne pourrais pas avancer dans ma vie si je gardais l’entrave de Walter. Et par un hasard des plus inouïs, ce dernier m’a envoyé un texto au moment même où l’idée se formalisait en moi : « Coucou, j’espère que ça va. Je souhaite te voir mais s’il te plaît, ne parlons plus du passé J Je t’embrasse »

J’ai pris une grande inspiration et ai décidé d’être aussi lâche que lui en répondant par texto : « Toi comme moi ne pourrons jamais oublier le passé, il est temps d’accepter que l’on n’ait pas d’avenir… Je nous souhaite une belle route, libre de tout fantôme. »

Fière de moi, sur ce coup-là. Nénette aussi.

« C’est horrible, ce qu’il te fait : ressurgir aujourd’hui comme ça ! Je trouve cela vicieux de te garder sous sa coupe en te donnant des miettes par-ci par-là, ça suffit, il t’a asservie depuis trop longtemps ! Bon débarras ! Qu’est-ce que je suis contente que tu aies pu enfin te défaire de son emprise, bravo Bichette ! »

J’en ai alors fait mention à Bradley qui m’a rétorqué, limite cinglant :

–  Et ? Cela ne concerne que toi, ce n’est pas mon boulot de t’applaudir. 

–  Je l’ai fait pour moi d’abord, c’est vrai, mais je pensais que cette ombre pesant sur un hypothétique ‘nous deux’ en te mettant sur la réserve à mon propos, le fait de la faire partir aujourd’hui t’aurait prouvé que j’étais prête à faire ce qu’il fallait pour nous laisser une chance et nous permettre d’avancer…

–  Bah okay. C’est bien.

Pas concerné, hein ? La douche froide. Il n’a pas compris à quel point c’était énorme pour moi. Il ne s’en est pas donné la peine, trop absorbé par son bouquin dans lequel il s’est replongé illico presto, me laissant passablement sonnée, mon portable dans les mains n’arrêtant pas de vibrer des messages qu’a enchaînés Walter.

Bref. J’en ai déduit que je devais faire mes trucs de mon côté, qu’il devait faire ses trucs de son côté, qu’on pouvait se donner des nouvelles mais que cela ne devait pas supposer un quelconque impact sur l’autre. Selon lui, avant de penser à ‘nous’, il fallait penser à ‘je’, avant d’être bien à deux, il fallait être bien avec soi-même. Ce qui s’entend. Mais dans son cas, c’est poussé à l’extrême. Et de partir du postulat que l’autre a le même process, c’est déjà égoïste en soi.

Il le revendique. Tout est tourné vers lui. Ce qui importe, c’est son bien-être, rien d’autre. Il est comme il est, il dit ce qu’il dit, comment les autres le prennent, il s’en contrecarre, c’est leur problème, pas le sien. Ce qui m’amène, entre deux, à repenser mon envie de lui faire rencontrer mes amis à moi car si d’aventure il part dans la provocation sans égard pour moi, je me demande si je pourrais être assez magnanime pour accepter cette marque de non-considération, surtout que je sais que mes amis, eux, le seront.

Il est en dépression mais aussi – et cela ne va-t-il pas de pair ? – en rébellion. Contre tout, la moindre chose, aussi futile et insignifiante qu’elle puisse être. Une mutinerie à fleur de peau. Presque à chacune de ses respirations. Il met ça sur le dos de sa punk-attitude qu’il assume parfaitement, et qui devrait, selon lui, être la norme dans notre société, si tant est qu’une norme puisse sortir de l’anarchie.

Bref, je pense plutôt que c’est l’expression d’un mal-être qui le ronge depuis longtemps et qui a explosé récemment sous les coups de boutoir du burn-out qu’il a subi, après des années de frustration et de non-reconnaissance à essayer d’être ce qu’il n’était pas.

Alors, même si moi le bon petit soldat qui obéit en se foutant de tout, j’ai pu trouver son insurrection quelque peu rafraîchissante, j’ai eu tôt fait de ressentir l’inadéquation de son envie de révolution.

–  Les gens sont cons, de vrais moutons bien au chaud dans leur cocon de convenance.

–  Chacun fait comme il peut, je pense, avec ses failles et ses manquements. Qu’est-ce qui t’exonère du jugement que tu leur portes ?

–  Rien ! C’est juste que cette société m’insupporte au plus haut point.

–  Mais tu y vis et à moins d’être ermite au fin fond du trou du cul du monde, et encore ! tu ne peux t’affranchir de toutes les règles ni n’avoir aucune obligation ! Tes enfants, déjà. Ou comme tu disais, monter un bar où la règle serait qu’il n’y en aurait aucune comme dans le film Coyote Ugly, tu es bien obligé de te plier à certaines contraintes et d’accepter des lois et des régulations-muselières sinon, tu ne peux même pas ouvrir ! Et je ne te parle même pas de la responsabilité d’être patron avec des salariés à gérer !

–  Je peux choisir les règles auxquelles j’accepte de me soumettre…

–  A la carte, quoi. C’est un peu facile et somme toute, assez banal. Comme tout le monde. Ironique, tu ne trouves pas ?…

Individualistes, égocentrées aussi, toutes ses idées de plan de vie, ses projets plus ou moins plausibles, ses aspirations, ses lubies car presque jamais son équation ne comporte un semblant de ‘nous’. C’est surtout son extrême versatilité qui est déstabilisante et qui, de par le fait, exclue toute possibilité pour moi de m’inscrire auprès de lui de façon concrète :

« Je pourrais acheter un gîte à la campagne que tu m’aiderais à tenir ? J’ai toujours voulu tenir un bar musical avec mon pote, à Paris intra-muros parce qu’ailleurs, c’est pas viable… Ou je repique à l’armée, on me propose d’ailleurs plein de missions en ce moment… Ou je plaque tout et je vais me terrer aux confins du monde avec mes bouquins, je me mettrai à écrire sérieusement, je ferai pousser mes tomates et j’élèverai des poules… Ou je ré-ouvre une boîte de pilotage de drones, le marché est très porteur… Ou je peux m’associer avec un autre pote dans sa boîte… Ou viens, on se casse aux Etats-Unis et on rentre quand on le décide, si on le décide… »

Moi, j’ai essayé d’envisager concrètement la faisabilité de chacune de ses hypothèses, celles tout du moins dans lesquelles j’aurais pu m’insérer. Un gîte, pourquoi pas ? Bon, faut pas que je prenne un boulot sur Paris, quoi… Les States, bah pas tout de suite, avec le covid… Un bar d’associés avec moi à la gestion administrative ? Mouais, chépa trop, la restauration pour moi…

Bref, l’effet de girouette m’a vite donné le tournis. Mais comprenant la grande précocité de la survenue de ce concept du ‘nous’ en l’état actuel des choses et ayant le même brainstorming avec moi-même avec tout l’éclectisme incohérent de ma récente et toujours présente remise en question, je ne lui en ai pas tenu rigueur. Pas au début, en tout cas.

Car avoir en face de soi quelqu’un qui oblitère, même si inconsciemment, la possibilité de l’autre dans son avenir et qui exhorte cet autre à faire de même, cela finit par rabrouer pour de bon. Surtout à ce moment si spécial après la rencontre où l’on balbutie à deux, où l’on cherche les premières compatibilités, les premières briques pour un éventuel édifice en commun.

Ses errements sont légitimes et justifiés et il aurait pu encore virevolter tout son soûl jusqu’à ce que je lui demande d’atterrir un peu car trop désarçonnée par son inconstant verbiage. Il m’a répondu :

–  Je réfléchis à voix haute, en fait. Je lance des idées comme ça contre le mur et j’attends de voir laquelle va rebondir. Comme toi, non ?

–  Non, chez moi ça mouline en interne avec tous les éléments que je collecte en espérant que quelque chose fasse jour. Mais pour en revenir à toi, partir bientôt en mission pendant 4 mois, c’est dans ton champ des possibles ?

–  Oui, pourquoi pas.

–  Je comprends mais dans ce cas, je n’irai pas plus loin avec toi. Je viens de me débarrasser du plus gros fantôme de ma vie, ce n’est pas pour m’en retaper un autre.

–  Pourquoi, si on est un ensemble ? 4 mois ce n’est rien !

–  Si on a déjà une histoire solide derrière nous, c’est vrai. Mais là, on n’a rien. En 4 mois, moi j’aurais déjà vécu 4 vies, je ne peux pas t’attendre, c’est au-dessus de mes forces.

Il s’est retrouvé quelque peu abasourdi par ma déclaration en coup de fouet. Je peux comprendre, après tout le mutisme dont j’ai fait preuve ces derniers temps – je pense que j’étais en gestation en pleine collecte de données – ma première restitution s’étant faite du tac-au-tac, brut de pomme, sans filtre, ce n’est jamais agréable de se prendre une claque.

Et cela ne s’est pas arrêté là. C’était juste le premier brin de l’écheveau que j’ai donc commencé à dérouler frénétiquement. Ah ça, ma lenteur émotionnelle s’est bien faite la malle pour laisser la place à une réactivité épidermique dont je conçois, pour tout interlocuteur, qu’elle soit difficile à appréhender. Je ne sais pas si j’ai gagné au change, du coup.

Bref. Cette dissonance, ce truc qui cloche n’a fait que grandir au fur et à mesure que la semaine passait. Avec comme point de départ, sa non-reconnaissance du gigantesque pas en avant que j’avais fait en ‘rompant’ définitivement avec Walter. Plus tard, il m’a avoué que c’était pour se protéger. Mais se protéger de quoi ? Je pense plutôt que cela lui a mis la pression et sachant qu’il n’avait rien de cette importance à m’offrir en retour, cela l’a fait flipper.

Puis, nous sommes bien allés voir les amis que l’on avait à l’époque, lui et moi. Un grand moment où l’on s’est tous remémoré les bons vieux souvenirs. J’étais sincèrement heureuse de les revoir et de partager cette immersion 23 ans en arrière mais un peu sur la réserve quand même car, après 8 mois de confinement et presque 4 ans d’emprisonnement, je dois avouer que mon relationnel en a pris un sacré coup. Et peut-être parce que je suis fondamentalement comme ça, aujourd’hui.

D’ailleurs, un de ces amis l’a souligné sans ambages, ne faisant qu’appuyer ce que Bradley n’a pas manqué de me dire dès que l’on s’est revus, puis plus instamment par la suite : « Je t’ai connue plus joyeuse, plus pétillante, plus solaire, tu es un peu éteinte, c’est dommage… »

Ah bah oui, on ne peut pas morfler comme j’ai morflé avec de plus une maladie incurable aux fesses et une mère qui décède il n’y a pas deux mois sans en être affecté, sorry ! Bref, Bradley l’a bien compris même s’il m’a avoué avoir hâte de retrouver celle dont il était éperdument amoureux il y a 23 ans… Avait-il besoin que ceux qui m’ont connue à l’époque lui confirment le fait que je ne sois plus la même pour éviter d’espérer ?

Il a tenu ensuite à me montrer son appartement, à m’amener dans son antre. Devant mon manque flagrant d’enthousiasme une fois sur place, il s’est retranché, tout à sa déception, derrière un gros nuage bien gris qui m’a poussée à me justifier… en lui mentant. Je lui ai dit que je ressentais ces lieux comme un lieu de transit plein de courants d’air et en même temps comme une voie de garage statique qui n’invitait pas à la détente ni au confort.

Lui qui était content comme un gosse de me montrer ses jouets et qui souhaitait que je puisse mettre un visuel désormais lorsqu’il me dirait au téléphone « Je vais me coucher ou je bois mon café sur ma terrasse », je peux comprendre son désappointement. Mais bon, valait mieux ça plutôt que je lui dise la vérité.

La vérité est que dès que j’ai posé le pied à l’intérieur, j’ai été saisie par une lame de froid, pas mordante mais suffisamment présente pour que j’en frissonne, un peu comme quand on pénètre dans un cellier souterrain. Et de l’entrée jusqu’à la fameuse terrasse, ce frisson désagréable ne m’a pas quittée. Il y avait quelque chose d’immobile et d’austère qui flottait dans l’air et en m’approchant d’un patchwork de photos au mur près de la télé, pile au centre de l’appartement, j’ai compris : il y avait bien en vue la photo de son ex. Un joli brin de fille, cela dit. Une très belle photo aussi. Qui disait tout.

« Oui, je n’ai pas enlevé sa photo, je ne sais pas pourquoi. » Moi, si.

 

Et puis, nous sommes allés au cimetière sur la tombe de ma mère. J’y ai placé la plaque avec la photo comme j’avais dit que je le ferai, j’ai alors eu le sentiment d’avoir accompli ma mission, que maintenant elle pouvait reposer en paix et que moi aussi. Bradley était bien là. Mais en filigrane. Pas comme le tuteur, le garde-fou à mes débordements que j’avais souhaité qu’il soit. Il était là pour lui, pas vraiment pour moi. Je pense qu’il était sincèrement ému devant la tombe de mes parents qu’il a vraiment aimés et donc, il s’est préoccupé de son propre chagrin plus que du mien.

Encore une fois, la preuve de son égocentrisme. Je me suis alors dit que j’avais fait une erreur en lui demandant de m’accompagner. Que c’était inapproprié en l’état actuel de notre relation. Que j’aurais dû faire cette démarche seule, au final. Et cela a empiré lorsque nous nous sommes dirigés vers chez Toto.

–  Ah oui, c’est vrai, j’avais zappé ! Tu sais, je le fais pour toi car ça ne me dit rien du tout ! Si j’avais eu ma voiture, je serais reparti ! 

–  Bah désolée mais je t’ai dit que j’avais besoin de le voir.

–  Je sais, mais sache que cela me coûte.

Ça m’a blessée. Et conforter dans mon idée d’une grossière erreur de ma part à son sujet. Plus tard, il m’avouera qu’en fait, il avait redouté le jugement de Toto sur lui et que cela lui avait fait mal de constater qu’il n’aurait jamais lui la vie que mon frère a, c’est-à-dire 20 ans de vie commune avec la femme qu’il aime et ses enfants auprès de lui.

Et même si au final, lui comme moi avons passé une bonne soirée, moi pour avoir vu mon frère souriant et quelque peu requinqué et lui pour ne pas s’être senti comme un intrus, accueilli à bras ouverts par des gens qu’il pensait inhospitaliers, je n’ai pu m’empêcher de me sentir bien seule ce soir-là.

Incapable de penser à quelqu’un d’autre que lui-même. Tout se ramène à lui. Il m’avait prévenue. Mais n’est-ce vraiment qu’une phase passagère qui va s’estomper avec le temps ?… Alors, sur la route du retour tard dans la soirée, pour éviter de trop y penser, j’ai mis Five Finger Death Punch à fond en lui disant de se boucher les oreilles si ça ne lui plaisait pas et on a roulé comme ça un long moment. Et aux abords de Paris, il m’a lancé soudainement :

« Je sais, ce n’était pas prévu et tu as horreur de ça mais si on dormait chez moi ce soir ? Ça m’éviterait un aller-retour demain matin pour aller voir ma sophro… »

Oui, c’est vrai, je ne découche que très rarement, auquel cas je planifie bien à l’avance. Ça s’est mis donc à cogiter dans tous les sens dans ma tête mais je suis parvenue à me faire violence en acceptant. Allez, je n’allais pas en mourir et même si je ne savais pas si cela allait bien se passer, c’était tout de même une preuve que je pouvais changer.

Sur place, j’ai été néanmoins prise d’angoisse à l’idée de ne pas dormir de la nuit car je n’avais pas mon somnifère. De m’imaginer tourner en rond comme un lion en cage pendant des heures dans cet appartement où je n’avais pas ma place, cela m’a terrifiée. Alors, j’ai improvisé. Je l’ai offusqué d’ailleurs en avalant cul-sec la rasade de Diplomatico qu’il m’a servie à ma demande, et j’ai enchaîné jusqu’à ce que je me sente glisser dans une douce torpeur.

Mais cela a eu un autre effet des plus inattendus : l’amazone qui dormait en moi depuis bien longtemps s’est tout d’un coup réveillée et nous avons passé une nuit, on va dire, endiablée… Enfin, selon lui car moi le lendemain, bien sûr, je ne m’en suis pas souvenue.

Toujours selon lui, l’alcool a aussi permis de délier nos langues et nous avons pu nous livrer à cœur ouvert. Avouant nos sentiments réciproques. Parlant même d’amour… Le pauvre ! Il a eu l’air bien légitimement consterné devant mon trou de mémoire, j’avoue que je n’étais pas fière sur le moment.

Puis, j’ai décidé de l’accompagner à sa séance de sophro aka Nénette chez qui je comptais bien lézarder en attendant. Car de faire le pied de grue dans cet appartement m’est apparu insupportable. Surtout s’il lui prenait l’envie, comme souvent, de prendre tout son temps… Bref, Nénette a éclaté de rire en nous voyant arriver tous les deux et la séance de sophro s’est transformée immédiatement en retrouvailles de copains de type revival 20 ans après.

Bradley me dira un peu plus tard que c’était un peu dommage car il avait plein de trucs à dire pour sa séance… Ah bon ? Bref, on a décidé tous les trois d’aller manger en ville et Nénette, profitant d’être seule avec moi l’espace d’un instant, m’a glissé, goguenarde :

–  Alors, heureuse ?

–  Chépa.

–  T’es bien ou pas ?

–  Chépa. Je vis sur l’instant.

–  Et ?

–  Bah chépa.

–  T’es nulle. Bah moi, je suis contente pour vous deux.

Et tandis qu’un gros nuage est venu obturer le soleil, nous faisant reconsidérer notre déjeuner en terrasse, je me suis rendu compte que ma réponse préférée n’était pas due aux vapeurs de l’alcool de la veille ni à la complexité de mon bordel intérieur trop long à expliquer en si peu de temps mais parce que je ne savais réellement pas.

Très étrange ce vide que j’ai ressenti, ce silence, cette absence de réponses, aussi ténues soient-elle. J’ai alors repensé aux visions que j’ai eues juste après la première nuit passée avec Bradley. Elles sont effectivement bien venues à la vie mais elles ne m’ont pas apporté de signification supplémentaire. Et depuis, plus rien. D’où le chépa.

Jusqu’à ce qu’un peu plus tard dans la journée, tandis que l’on rentrait enfin chez moi, l’éventualité d’un retour à l’armée est revenue dans la discussion et les mots sont alors sortis tout seuls de ma bouche. Sûrs d’eux-mêmes et sans équivoque.

–  Prends ce que je te dis pour une donnée paramétrique. Si cela peut t’aider à y voir plus clair.

–  Euh… Je prends note, okay. J’avoue que je ne m’y attendais pas.

–  Toi comme moi n’avons plus le temps de perdre notre temps.

Nous sommes donc rentrés dans une atmosphère un peu tendue. Une fois chez moi, je me suis précipitée pour constituer une trousse de survie en cas d’un futur découchage intempestif – on ne me la refera pas, celle-là – et nous nous sommes préparés pour rejoindre d’autres amis à lui à l’autre bout de la pampa parisienne, y aller tôt histoire de ne pas rentrer trop tard à cause du couvre-feu à minuit… Soirée qu’il a tenté d’annuler car pris d’une grosse flemme et d’une envie aigüe de grottisme mais bon, il a réussi à se motiver in extremis.

Et ce n’est qu’en rentrant, sobre comme un chameau et déterminée comme une fouine, après l’avoir rejoint au lit et l’avoir forcé à abaisser son bouquin dans lequel il s’était plongé sitôt revenu, que j’ai repris notre conversation de l’après-midi.

–  Tu m’as demandé d’être honnête et franche. Alors, y a un truc qui me chiffonne. Plusieurs, en fait.

–  Attends, tu as pris ton somnifère ?

–  Oui mais il ne va pas faire effet tout de suite et j’ai pas envie de tourner en rond dans le salon en attendant.

–  D’accord, je t’écoute.

–  Y a un truc qui cloche, qui sonne creux. Depuis le début de la semaine, j’ai l’impression qu’on joue au petit couple bien installé, il manque la folie.

–  Je ne pensais pas qu’on ‘jouait’.

–  Façon de parler. Ce sont les débuts, on devrait être fous, hors de toute réalité, on devrait être l’un sur l’autre, à s’apprendre, à se découvrir, à rêver et fabuler… Là, chacun vaque à ses occupations dans son coin, si tant est qu’il y ait des coins dans un appartement aussi petit, occupations te concernant qui se résument à la lecture de tes bouquins et des centaines de notifications sur ton portable, sans moi donc. On va se coucher en pyjama, on regarde la télé, on papote de choses et d’autres, bref, on est comme un petit couple qui a déjà des heures de route au compteur, quoi.

–  Et ça t’emmerde ?

–  Je crois oui. Je n’y trouve pas de sens. En tout cas, pas maintenant. Et il n’y a pas que ça…

Mais je n’ai pas pu aller plus avant, mon somnifère m’a assommée d’un coup. Je pensais avoir plus de temps. Bref, la nuit a passé, je me suis réveillée tôt, j’ai profité du fait qu’il dormait encore pour faire mon petit tintouin et puis, il s’est levé. Moment de gêne assez palpable entre nous. On a déjeuné puis il m’a demandé si ça me dérangeait qu’il prenne un peu de temps pour lire. Je lui ai répondu que oui et j’ai enchaîné.

–  Je suis désolée pour hier soir, là, je suis à jeun de tout et j’ai la pleine conscience de mes paroles. Je sais que cela a mis un temps infini pour sortir, désolée aussi de ça, mais maintenant, c’est là.

–  Tu passes ton temps à t’excuser.

–  Bah oui, tu m’as demandé le respect donc chez moi, ça passe par des excuses quand elles sont requises.

–  D’accord, merci. Vas-y.

Et donc, je lui ai tout déballé, tout ce qui clochait selon moi, tout ce qui ne trouvait pas de sens à mes yeux et qui commençait à m’étouffer. Sa dépression, sa versatilité, ses absences, son égocentrisme, ses blessures anciennes et récentes…

–  Et je m’excuse, oui encore, pour ne pas t’avoir donné matière à arrêter ta dérive, de t’avoir perdu plus encore avec mes chépa à répétition. Je ne sais pas trop pourquoi je te livre tout ça, en fait, car je n’ai pas de but précis, si ce n’est de faire sortir tout ça avant que cela ne pourrisse au fond de moi et qu’on en arrive à un jeu de dupes. Je sais que ça fait beaucoup d’un coup à avaler, navrée de ne pas savoir comment doser le flux mais c’est comme un barrage qui cède.

–  Tu es authentique et c’est bien que l’on ait cette conversation.

Puis, on en est venus à parler de la conception étrange et fantasque qu’il se fait du couple. Rien que ce mot le fait tiquer car il n’est, selon lui, approprié que lorsqu’on parle de perruches. Lui parle d’un ensemble, de deux entités qui choisissent de passer certains moments ensemble et non pas qui le subissent. Il parle d’une relation ultime et entière, sublimée, magnifiée où deux êtres s’assemblent et se lient par leur seule envie et non pas par un bout de papier, ou un titre de propriété, ou même des enfants.

C’est beau, c’est divinement puissant comme concept mais cela ne reste qu’un concept, justement. La réalité est toute autre et même si l’on doit tendre vers cette perfection, cet idéal, nier le pragmatisme de la vie et rester dans l’abstrait, c’est se mettre la tête dans le sable.

Je pense que sa dernière relation se passait comme ça, chacun chez soi mais une semaine sur deux chez elle. A ne faire aucun projet ensemble autre que des vacances et des sorties. Malgré que lui ait souhaité à un moment s’engager plus loin avec elle.

Il n’a rien vu venir, la rupture a été abrupte, sans avertissement et ça l’a complètement anéanti. Il ne l’a pas comprise car basée selon lui sur rien de tangible : elle ne l’aimait plus suffisamment pour envisager son avenir avec lui. Et pourtant, c’est bien la seule chose contre laquelle il est inutile de lutter.

Bref, je pense qu’il vit ce qu’il nous arrive comme une extension de sa dernière relation. Pas tout-à-fait conscient qu’il devait combler le vide à tout prix, pour lui j’étais le parfait substitut qui tombait à point nommé. J’ai de plus, selon lui, plein de points en commun avec elle…

Ça a semblé faire sens tout à coup chez lui. D’où c’est peut-être trop tôt car il n’a pas eu le temps de se résigner, de faire son deuil et bien sûr de tourner la page. Et de fil en aiguille, il s’est rendu compte aussi que c’était peut-être trop tard car celle que j’étais il y a 23 ans n’existe plus, et même s’il dit vouloir apprendre à connaître celle que je suis devenue, il regrette énormément celle d’avant.

Trop tôt et trop tard, ce qu’on a pris pour le bon timing était juste le plus inconfortable de tous. Et le plus stérile.

D’où mon retour illico presto dans ma coquille. Je ne vais pas me mentir, j’ai mal. Mais je vais lui mentir à lui, je n’ai pas le choix. C’est même automatique. Même si je sais que sa clairvoyance à mon sujet est toujours là, je ne peux que lui répondre « Je ne sais pas » quand il me demande ce que je ressentirais si tout s’arrêtait entre nous là maintenant.

Je ne peux m’empêcher de redouter les heures, les jours prochains. C’est devenu tellement singulier entre nous. Lui et moi à nouveau dans nos coquilles respectives mais derrière la porte à guetter le moindre signe de l’autre. On sait que l’on doit, lui comme moi, ouvrir la porte et faire un pas en avant – a leap forward, a leap of faith – ensemble. Sinon, ça ne sert à rien.

En aura-t-on la volonté ?

Moi, la reine des bulots, la championne du tout ou rien, l’handicapée des émotions, je me demande vraiment si je dispose du bon patrimoine génétique pour réagir et interagir comme un être humain. Je cherche partout en moi en quête d’un signe, d’un indice, d’un présage quelconque, même d’un soupçon d’espoir dans ce vide sidéral qui ne peut que résonner du bruit de mon farfouillage.

Mon regard se perd quelques secondes sur un rayon de soleil venu illuminer le salon et soudain, je me cristallise. La lumière me transperce de part en part et dépose au creux de mon plexus solaire une image d’une puissance qui n’a d’égal que sa fugacité.

–  Où es-tu partie ? Tu as eu une vision ?

–  Je nous ai vus tous les deux riant aux éclats dans la cour de l’immeuble dans lequel nous habitions il y a 23 ans…

–  Réminiscence ou prémonition ?

–  Je ne saurais dire.

–  Qu’as-tu ressenti ?

–  J’étais… rassérénée.

–  Prémonition, alors.

Et soudain, je comprends. Je LE comprends. Tout s’emboîte dans ma tête. Alors, je me mets à dérouler mon ressenti à haute voix.

Lui et moi sommes capables d’avoir des moments de communion plénière d’une intensité incroyable, une communion tant spirituelle que charnelle et l’instant d’après, il se téléporte dans une autre galaxie aux confins de l’univers où rien, certainement pas moi, ne peut l’atteindre. Et où bien sûr, les communications ne passent pas. Il est ce que j’ai appelé ‘Of Ice and Fire’. Quel dommage qu’il n’ait pas vu Game Of Thrones, il aurait adoré Drogon

J’arrive à reconnaître ses départs imminents pour le no-man’s land de ses errements : son regard s’assombrit, un nuage squatte son front, sa mâchoire se crispe et sa voix devient lointaine. Je me souviens qu’il était déjà comme ça il y a 23 ans. D’ailleurs, je crois que c’est cela qui nous a fait nous déchirer. J’avais alors de plus en plus souvent en face de moi quelqu’un qui n’était plus là, qui partait au loin combattre des démons internes en me claquant la porte au nez.

Et plus il dérivait, plus je devenais agressive car laissée à patauger dans l’incompréhension la plus totale. Moi la solaire, je ne comprenais plus rien au lunaire qu’il était devenu. J’avais l’impression de perdre chaque jour un peu plus l’homme que j’avais aimé et épousé.

Ainsi, déjà à l’époque, il se posait une tonne de questions sur lui-même. D’où sa quête incessante de réponses partout où il croyait pouvoir en glaner. Rejeté par sa mère puis par son père, il s’est construit comme un orphelin en colère contre la terre entière avec le désir ardent même si inconscient de prouver qu’il était quelqu’un malgré tout.

Si moi aussi j’ai grandi avec cette même colère au fond de mes tripes, j’ai choisi de n’avoir besoin de personne puisqu’on n’avait pas eu besoin de moi. Lui, il n’a eu de cesse de trouver une famille de substitution pour avoir enfin sa place au sein d’un tout. Il a eu et a toujours ce besoin d’appartenance, de juste valeur dans un ensemble, une cohérence.

Pour savoir qui il était. Quel homme il devait être. Puisque la seule valeur qu’on lui ait apprise jusqu’à lors était qu’il ne valait rien, qu’il n’était pas digne d’être aimé et que c’est pour cela qu’on le rejetait. Je lui avais dit à l’époque qu’il ne pouvait porter les failles des autres comme étant les siennes toute sa vie, qu’il devait investiguer pour comprendre et pouvoir faire la paix au fond de lui.

Le père, son père et tous les pères spirituels qu’il a pu rencontrer dans sa vie ont toujours tenu une place prépondérante en lui. D’une certaine façon, c’est grâce à eux qu’il est devenu l’homme qu’il est aujourd’hui avec des valeurs bien ancrées en lui comme l’honneur et la noblesse d’âme.

Autant il a pu faire la paix avec son père, autant faire de même avec sa mère s’est vite avéré être une cause perdue. Et cela a laissé une empreinte indélébile dont lui-même n’a pas conscience. Pour lui, elle l’a rejeté car elle ne l’aimait plus, il n’était plus ‘digne’ de son amour. Comme si un enfant pouvait être indigne d’être aimé ! Ce n’est pas lui qui avait un problème, c’est elle.

Bref, inconsciemment, il a fait en sorte à un moment donné de ne plus mériter l’amour des trois femmes de sa vie : moi, sa deuxième épouse et sa dernière compagne qui avons toutes les trois capitulé. Avec chacune des trois, un amour fou suivi d’une descente aux enfers. Un schéma qu’il a reproduit encore et encore sans en avoir conscience.

On ne reproduit ce genre de schémas que dans l’espoir de les maîtriser un jour. Car on s’est senti impuissant à un moment de sa vie, on n’a pu que subir, on a été victime alors on se remet en situation encore et encore jusqu’à ce qu’on puisse prendre le contrôle, en général en devenant le bourreau.

« Il est temps peut-être de dire stop, ni victime, ni bourreau, ce n’est pas ce que tu veux, ce que tu es, tu peux aimer et être aimé en retour sans qu’on ne te fasse défaut, sans que tu ne TE fasses défaut… »

 

Mes mots semblent le percuter de plein fouet. Il a ce regard un peu halluciné comme lorsqu’on vient d’accuser la rage dévastatrice d’une tornade. Je pourrais m’arrêter là mais je sens que quelque chose s’opère en moi. Un changement en profondeur. Les morceaux se rapprochent les uns des autres et commencent à fusionner dans un magma de lumière flamboyante, je me mets à vibrer de toutes les fibres de mon être et les choses m’apparaissent alors dans une clarté absolue. J’ai ce qu’on appelle une transcendance.

Darkness can not come out of darkness. Only light can.

Je regarde Bradley, je plonge en lui, je suis en lui, je vois l’ombre qui l’étreint, les nuages lourds de pluie et les amas de pierres silencieuses. Une lumière clignote au fond d’un puits, un peu comme une ampoule sur le point de s’éteindre.

Je sens alors une boule d’énergie se former en moi, une aura pure et puissante qui commence à m’irradier de partout, je sais à ce moment-là que je n’ai d’autre choix que de projeter cette énergie sur lui, de lui déverser ma lumière pour vaincre ses ténèbres. Ce que je ressens ne provoque pas le chaos en moi, au contraire, je suis d’une sérénité absolue, je sais exactement où je suis, qui je suis et ce que je dois faire. Je crois que j’ai atteint un niveau de conscience si élevé que je peux percevoir l’essence de chaque chose comme si cela faisait partie de moi.

Je viens de comprendre enfin ce que je devais faire de mon don d’empathie.

Doubt is part of life. Darkness is for a reason. A reason to invent the light bulb.

Je suis une révélatrice de lumière. Et maintenant que j’y pense, je me rends compte que ce n’est pas la première fois que ce concept apparaît dans ma vie. Auparavant, oui, on me l’a reporté à plusieurs reprises. Comme quoi je révélais en certains soit un don bien particulier, soit un chemin à suivre, soit une clé pour ouvrir une porte.

Je trouvais cela tellement incongru venant de moi qui ai passé la majeure partie de ma vie dans un labyrinthe sombre et tortueux à éviter le plus possible toute interaction humaine, que je n’y ai jamais vraiment prêté attention.

Je ne suis pas une guérisseuse, je ne peux pas extraire l’obscurité des gens, je ne peux qu’aller révéler au fond d’eux la lumière nécessaire pour combattre leurs ombres. Et dans de rares cas, je peux transmettre ma propre lumière.

Donc, c’est peut-être ça, j’ai été placée sur la route de Bradley dans ce but précis. D’où la dissonance de mon rôle auprès de lui, je ne suis peut-être pas celle qui peut le guérir par son amour mais par sa lumière ? Car clairement, je ne peux être juge et parti, je ne peux avoir le détachement nécessaire pour intervenir que si je n’ai pas d’enjeux personnels avec lui, sinon c’est corrompu.

Cette révélation semble lui faire sens en même temps qu’un énorme dilemme commence à s’édifier au fond de lui. Je le sens s’éloigner tandis qu’il est assailli de toutes parts, dans son regard passent successivement le désarroi, l’espoir, la peur et la confiance. C’en est trop pour lui.

Je reste plantée là dans le salon, soudainement vidée. Ma boule d’énergie a disparu dès qu’il a refermé la porte derrière lui. Je sais cependant que cela lui fera le plus grand bien de prendre l’air. Et à moi de me retrouver seule. Car je lui ai menti là aussi lorsqu’il m’a demandé plus tôt si je souhaitais qu’il parte.

Bref. Il revient une petite heure plus tard. Je peux sentir avant même de le voir qu’il a pris une décision, même si encore fragile et chancelante. Bien retranchée dans ma coquille blindée, je l’attends. J’ai eu le temps de fourbir mes armes.

« Je te veux toute entière. Ta tête, ton cœur, ton âme et ton corps. Je n’ai pas peur. »

Je lui réponds dans ma tête « You can’t have it all… »  mais je lui réponds en live dans une pirouette, non sans avoir mauvaise conscience de lui mentir effrontément : « C’est l’heure de l’apéro ! Et parlons d’autre chose ! Allez, et si on se faisait rire ? »

Une très bonne soirée, une très belle nuit. De la même qualité que notre toute première. Assez facile, finalement, de me dédoubler. D’être là sans être là.

Il est reparti hier en fin d’après-midi. Je me suis attelée immédiatement au ménage, j’ai fait des cigarettes devant ma série du moment, une séance mani-pedi et hop mon nouveau traitement à base de mélatonine dans le coco, je suis allée me coucher extraordinairement tôt.

Aucune nouvelle depuis. Je ne lui ai pas manqué la semaine où l’on ne s’est pas vu, il m’appelait quand il en avait envie. Là, avec tout ce que je lui ai asséné ce week-end, je peux comprendre qu’il n’ait pas envie, encore moins besoin d’entendre ma voix. Et moi, je ne le relancerai pas, je le laisse décanter tranquillement. S’il doit revenir, il reviendra.

 

Je suis plus que jamais dans ma chépattitude, bien que je sente se dessiner en moi des résolutions que j’avais oubliées. Mais j’ai avancé. J’ai même appris sur moi des choses dont je ne me croyais pas capable. Comme de découcher à l’improviste, d’être capable de l’improviste tout court sans que j’en fasse un coucou suisse aux répercussions psychotiques irréversibles. Ça paraît débilement anodin mais cela ne l’est pas.

J’ai aussi et surtout trouvé ENFIN un sens à mon don. C’est devenu quelque chose que je comprends et dont je peux me servir concrètement. Et l’état nirvanesque dans lequel cela m’a plongée est définitivement une des plus belles expériences de toute ma vie. Je me savais messed-up, fucked-up, brisée, fragmentée, mais force est de constater que la cohérence qui fait jour en moi n’est pas le fruit du hasard.

Et j’ai trouvé la force pour enfin dire adieu à Walter. Est-ce que je regrette? Je ne crois pas, j’ai entendu une chanson à la radio qui m’aurait avant rendue très nostalgique mais qui là, ne m’a pas fait mal. Ça fait bizarre d’avancer sans plus aucune entrave.

Je ne peux cependant m’empêcher de relire ses textos qui n’ont fait que pleuvoir après celui de mes adieux. Et de repenser à il y a 7 ans lorsque j’ai fait la même.

  • ?
  • 🙁
  • OK
  • Je n’ai pas dit oublier mais regarder devant 😉 Comme tu voudras.
  • Je veux venir vers toi et tu recules ! Je souhaite simplement être avec toi, paisiblement.
  • ?
  • Je suis très triste, que t’arrive-t-il ?
  • Tu me rejettes, encore.
  • ………..

La finalité, c’est qu’il ne m’a pas appelée et qu’il est encore moins passé me voir à ce moment-là, me prouvant une ultime fois qu’il ne serait jamais là.

 

23.40. Tandis que je finis d’écrire ces mots, Bradley m’appelle. Il n’était pas parti très loin comme je l’aurais supposé. Je vais me coucher encore plus déboussolée qu’avant son appel. Déboussolée et sereine à la fois. C’est très étrange.

MON FRERE

I’ve been thinking about my mother lately
The person that she made me
The person I’ve become
And I’ve been trying not to fill all of this empty
But, fuck, I’m still so empty


And I could use some love
And I’ve been trying to find a reason to get up
Been trying to find a reason for this stuff
In my bedroom and my closet
The baggage in my heart is still so dark


If I could break my DNA to pieces
Get rid of all my demons
If I could cleanse my soul
Then I could fill the world with all my problems
But, shit, that wouldn’t solve them


So, I’m left here alone…

Toto m’a appelée, il va mal. Alors, je vais mal moi aussi.

 

Samedi 10 octobre 2020

Clairement, le job était trop dur pour ma belle-sœur. Avec le décès de sa propre mère quelques mois plus tôt, j’aurais dû m’en douter. Du coup, je me sens bien nulle de lui avoir délégué lâchement ma responsabilité de grande sœur.

Toto s’est fait arrêter. Il a l’impression de devenir fou. Il a des pensées morbides, d’une noirceur qui le terrifie. Car jamais il n’a ressenti ça pour Maman. Il ne comprend pas, il s’en veut terriblement. Il s’ouvre à moi avec clarté et précision, ça me surprend, pour tout dire, je ne pensais pas qu’il avait en lui ce vocabulaire et la faculté de s’en servir.

–  Toto, je pense que le départ de Maman a fait ressurgir en toi ton abandon. Je sais, ça m’est arrivé. Mais comme toi tu as toujours nié cette partie de ton passé, elle t’éclate aujourd’hui en plein visage car plus personne ne peut répondre à tes questions.

–  C’est vrai. C’est Maman qui avait fait les démarches pour que je retrouve mes origines mais je n’ai jamais voulu. Peut-être que je lui en veux de ne pas m’avoir poussé plus fort ?

–  Je crois plutôt que tu fais un transfert avec ta mère biologique. Tu en veux à Maman d’être partie car elle t’a abandonné comme ta mère biologique.

Une conversation que je n’aurais jamais pensée possible.

Je me rends compte que lui aussi subit le contrecoup, quelque part ça me rassure parce que je commençais vraiment à croire que j’étais damnée avec mes cauchemars à répétition. Et l’on se rejoint en larmes sur le sentiment d’extrême abandon que l’on ressent. Cela ne nous a pas fait ça pour Papa il y a huit ans mais c’est parce qu’il y avait toujours Maman. Le départ de cette dernière nous laisse vraiment dans le dénuement le plus complet.

« Je n’ai plus que toi, ma sœur… »

Ça me bouleverse au plus profond de mes tripes. Lui et moi n’avons jamais été aussi proches, à croire que la douleur est le meilleur ciment qui soit. Il faudrait que je sois près de lui, que l’on ait un moment rien que pour nous deux, faire notre deuil ensemble. Même si j’ai peur que la digue que j’ai eu un mal de chien à construire ne cède et que je ne sois pas capable cette fois-ci de me relever.

Bref, je pensais que l’on aurait pu avoir ce moment, lui et moi, en allant sur la tombe pour mettre enfin la plaque avec la photo de Maman mais c’est au-dessus de ses forces, il ne peut pas y retourner, pas tout de suite en tout cas. Moi, j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose, qu’il y a un vide sur la tombe et ça m’empêche de faire la paix. Je sais que je dois y aller mais pas seule… Bradley a proposé de m’accompagner, c’est vrai, j’ai eu cette vision, je ne sais pas…

 

Les affaires de Maman ont commencé aussi à étouffer Toto. Alors, il m’a demandé s’il pouvait s’en débarrasser… Je lui demande un délai même si je comprends sa démarche. Mais je ne me sens pas prête. Les quelques trucs que j’ai gardées d’elle ont trouvé leur place chez moi, j’ai appris à vivre avec depuis qu’elle est partie à l’hôpital donc ils ne me font pas mal. J’ai gardé aussi tous ses papiers qu’il faudrait que je jette mais je ne m’y résous pas.

J’espère que Toto va pouvoir tenir encore un peu.

UNE SEMAINE HORS DU TEMPS

–  What if we started over from scratch, writing down on a white page?

–  I’ve never been that free in my life but yet I feel so lost! Believe me, I AM this white page. Hurry.

–  Should be back on Sunday. Hope to see you next week!

The next day, as I hadn’t replied, he came back at me with ”You don’t seem excited about it… “. True. Because he told me that like a hundred times before so no, I was not particularly enthusiastic. More of that, I was starting to feel that he was a shadow I should get rid of. A shadow that has been hovering over me all these years, keeping me hostage in a donjon, crippling me from the inside, smothering me, eventually killing me. So I tackled him and pushed him over the edge.

–  Do you still love me?

–  Yes

–  Deeply, madly?

–  Yes, yes, yes!

–  Deliriously, utterly?

–  I love you. And it makes me feel happy.

It was Sunday, September 27th 2020. And no word ever since. Disappeared once again.

 

Lundi 28 septembre 2020 – 17.12 # DENSIFICATION DE BORDEL

Je venais juste de finir d’écrire mon dernier post lorsque mon téléphone a sonné en affichant un numéro que je ne connaissais pas. Un peu machinalement, pensant que c’était peut-être un recruteur, j’ai répondu. J’ai reconnu la voix grave et chaude de Bradley presqu’instantanément. Sortie de nulle part, comme ça. Un bond gigantesque dans le passé en une fraction de seconde.

Nénette, après quelques hésitations, lui a bien donné mon numéro :

–  T’es sûre, Bichette ?

–  Oui, vas-y, donne-lui. Je sais que ça va amplifier mon bordel intérieur mais je ne suis plus à ça près. Et je ne crois pas aux coïncidences.

–  Lesquelles ?

–  Mes rêves en ce moment. Le fait que ce soit juste après ma séparation d’avec Bradley que j’ai rencontré Walter, lequel aujourd’hui m’apparaît comme une ombre dont il faut que je me débarrasse définitivement et qu’au même moment, Bradley souhaite me revoir.

La conversation aurait pu être crispée, normal, mais elle s’est engagée avec souplesse, naturellement. Presque comme si l’on ne s’était pas quittés. Quand il me l’a fait remarquer, j’ai eu un temps d’arrêt. Cette évidence, la première d’une longue série, m’a littéralement sidérée.

Mais bien ancrée dans ma chépattitude, qui plus est avec la tempête que je sentais poindre en moi au fur et à mesure de notre conversation, je n’ai pu lui donner une réponse claire quand il a demandé à me voir. Et automatiquement, j’ai sorti tous les pièges à loups et les mines anti-personnel que j’avais en magasin pour tenter de le dissuader :

« Tu n’as pas idée à quel point je suis fucked-up, à quel point ma compagnie en ce moment est tout sauf agréable ! 7 mois que je suis confinée avec moi-même, 7 mois de réclusion coupée du monde des vivants, je ne sais absolument plus comment me comporter avec un autre être humain et donc, il y a de forts risques que je fasse de la merde ! »

Mais avec force détermination et une infinie patience, il est parvenu à m’arracher un embryon de rendez-vous : demain à midi sur l’esplanade à côté de chez moi.

 

Mercredi 30 septembre 2020 – 18.03 # STRIKE DANS MON BOWLING

Bradley vient de repartir. On a passé 30 heures ensemble. Dont les 18 premières à parler, parler, parler. Ses larmes lorsqu’il m’a demandé de lui pardonner d’être parti il y a 20 ans. Il avait un besoin impérieux de s’excuser auprès de moi. Sur le moment, j’ai trouvé cela un peu exagéré, hors de propos, on va dire, je ne voyais pas pourquoi c’était si important pour lui. D’ailleurs, je me suis excusée, moi, pour celle que j’ai été lors de notre séparation. Voilà, la boucle aurait pu être bouclée mais…

Mais on a glissé. L’un comme l’autre, l’un vers l’autre. On savait parfaitement que c’était ouvrir une porte sur l’inconnu le plus total mais, aussi déstabilisant que cela ait pu nous sembler, on s’est laissés happer dans cette autre dimension comme deux papillons de nuit dans la lumière d’un néon.

Quand le jour est arrivé, l’aura surréaliste qui nous avait enveloppés la nuit aurait pu se désintégrer dans la lumière et céder le pas à la réalité crue du matin mais bien au contraire, elle s’est amplifiée et c’est là que j’ai eu une vision, plusieurs en fait, tandis que l’on partageait une tasse de café.

Nimbés d’une lumière fauve, chaude et vibrante, je nous ai vus en Normandie, enlacés dans cette petite chambre que j’aime tant dans le Bed & Breakfast de Miles et Joan, je nous ai vus en larmes devant la tombe de Maman puis à table chez Toto. C’était fort et sans équivoque pour moi : il y avait bien un lendemain à nous deux.

Je me suis dit alors que je me devais d’être honnête avec lui. J’ai donc voulu lui raconter Walter. Mais auparavant, j’ai tenu à savoir où il se situait par rapport aux dernières 24 heures que l’on venait de passer ensemble. S’il m’avait dit « Bon, cela m’a fait plaisir de te revoir, j’ai fait mon acte de contrition, ma boucle est bouclée, ciao » – ce que j’aurais pu parfaitement comprendre – bah cela n’aurait pas été la peine de lui dire quoique ce soit, en fait.

Mais il m’a dit ça : « Ça a toujours été toi. Je n’ai jamais cessé de t’aimer. Je ne sais pas grand-chose de ma vie en ce moment, comme toi, je suis en pleine remise en question mais je sais une chose : je te veux dans ma vie. J’irais même plus loin : le mariage, les enfants, la maison, le chien dans le jardin, ce n’est plus mon truc mais avec toi, si. »

C’était énorme. Je n’ai pas réalisé sur le moment, trop angoissée par ce que j’avais à lui dire, d’autant plus lourd après tout ça. Un peu mal aussi de l’avoir débusqué, poussé dans ses retranchements comme ça. Bref, après un long moment d’hésitation, je me suis lancée. Avec au bout un bien ennuyeux ‘chépa’.

  • Si demain Walter t’appelle pour te dire qu’il est en bas de chez toi, qu’il est prêt et que c’est parti pour vous deux, tu lui ouvres ? 
  • Ça fait presque 20 ans que je l’attends ! Il est peut-être temps pour moi d’accepter qu’il est trop tard ? Chépa………………………………

Il m’a remerciée de mon honnêteté et m’a dit de prendre tout mon temps. Mais à cet instant précis, au fond de moi, je savais déjà. C’est juste que ma tendance à me mouvoir émotionnellement, proche de celle d’un diplodocus en béquilles, ne me permet pas de faire se rejoindre mon intuition et ma volonté en claquant des doigts. Et comme je n’en suis qu’aux prémices de ce tsunami et que la lame de fond à venir me terrifie, bah c’est vraiment, pour le coup, la mer à boire.

 

L’appartement est sens dessus dessous. Mais le Monk qui est en moi ne semble pas en prendre ombrage. Tout juste si je n’ai pas envie de tout laisser tel quel pour m’en occuper plus tard, mais bon… Alors, après un brin de ménage, j’appelle Nénette. Je l’entends exulter au téléphone.

–  Vas-y, raconte !!!

–  Bah voilà. Rupture de ma vie de nonne-ermite.

–  Et alors, comment tu te sens ?

–  Chépa.

–  Oh tu fais chier avec ça ! Comment c’était ? Qu’est-ce que vous vous êtes dit ? Vous allez vous revoir ?

–  Euh… oui ?

Et pendant ce débrief téléphonique dans les règles de l’art, j’entends des bips de double-appel et de sms que je consulte dès que je raccroche. Bradley.

Je me roule en boule sur la banquette. Je décante. J’essaye du moins car le bruit dans ma tête est assourdissant. J’arrive néanmoins à extraire quelques mots à la volée : strike dans mon bowling, chépa, bordel de merde, re-chépa, évidence, encore…

Je dessoûle aussi. Beaucoup d’alcool. Pas au point d’accuser ce dernier d’être l’instigateur à l’unilatéral de cette plongée émotionnelle et charnelle mais assez pour m’avoir faite traverser cette dernière dans un état second, à mi-chemin entre désinvolture et gravité.

Et je finis par m’endormir après presque 48 heures sans sommeil.

 

Jeudi 1er octobre 2020 – 21.07 # FOUILLES ARCHEOLOGIQUES

Châteauneuf-du-Pape. Comment a-t-il su que c’était un de mes vins préférés ?! Encore un truc à mettre sur le compte des nombreuses ‘coïncidences’ que l’on a pu relever, lui et moi, depuis lundi. Tant et si bien que je vais chercher les photos au fin fond de mon placard. Et cela nous projette 23 ans en arrière…

Il a des souvenirs d’une clarté incroyable. Je sens son émotion grandir tandis qu’on feuillette les pages de cet album que je n’ai jamais eu le cœur de jeter. On rit aussi, on s’horrifie quand on voit nos têtes de l’époque, moi c’est plutôt lorsque je constate mon absence absolue de goût en matière de décoration intérieure il y a 23 ans… Du grand n’importe quoi, à mon sens !

Mais lui, peu importe le chamarrage outrancier de la couleur des murs, les rideaux qui ressemblent aux nappes de ma mère et mes pathétiques tentatives de copier-coller Côté Ouest, il ne voit que notre ‘chez nous’ et a ces mots :

« C’était petit, c’était baroque mais on s’y sentait bien, c’était chez nous, quoi. »

Et au fur et à mesure que ma tête dodeline de façon dubitative en réponse à ses multiples ‘Tu te souviens ?’, je me rends compte avec effarement que non, je ne me souviens pas. Je ne me souviens de rien, pratiquement. Je fais des efforts, je plisse le front, je retourne ma mémoire dans tous les sens mais c’est le vide sidéral. Même les photos n’évoquent rien en moi. Je ne parviens même pas à me souvenir de ce que je ressentais, qui et comment j’étais, mon état d’esprit…

C’est comme si j’avais effacé avec une gomme les trois ans de notre histoire pour n’en garder que les contours grossiers et purement factuels. Alors oui, mes abus répétés de barbituriques en tout genre peuvent expliquer cette perte de mémoire, mais en partie seulement. Il doit y avoir autre chose…

Et soudain, cela m’apparaît dans une fulgurance qui me laisse sans voix. Plus tard, Nénette me dira qu’en fait, j’ai souffert d’un réel choc post-traumatique et cela viendra boucler ma boucle à moi : j’ai entamé ma descente dans l’enfer des cachetons quand il m’a quittée il y a vingt ans.

Je me souviens avoir supplié mon médecin pour qu’il me donne de quoi anesthésier un éléphant. Je ne voulais plus rien ressentir, ni douleur, ni espoir, je voulais chasser ces cauchemars horrifiques qui m’assaillaient même les yeux ouverts, je voulais me retirer jusqu’aux falaises de mon inconscient et rester comme ça, au bord du précipice, dans l’insondable silence de la mort…

Cliniquement vivante, morte à l’intérieur, fonctionnelle par la force des choses, je suis devenue un zombie.

Pourquoi ? Parce que j’ai assimilé le départ de Bradley à mon abandon quand j’étais bébé. Il était censé m’aimer inconditionnellement et éternellement puisqu’on s’était mariés, tout comme une mère est censée aimer son enfant. J’ai donc vécu notre séparation comme un deuxième abandon, non, j’ai revécu mon abandon en pleine conscience. De plein fouet. D’où cette cassure psychotique, ce choc traumatique dont j’ai porté les cicatrices tout au long de ces années, bien dissimulées derrière les épaisses brumes de mon psyché sous sédation.

Donc, comme je ne me souviens pas de lui il y a 23 ans, c’est comme si j’avais rencontré quelqu’un de nouveau. Je le trouve beau. J’aime celui qu’il est devenu. Un papa-poule divorcé fier de ses deux grands garçons qu’il élève en garde alternée sans l’ombre d’un ressentiment envers leur mère. Un homme d’une sensibilité à fleur de peau qui porte sur le monde un regard d’enfant empreint de mélancolie. Un homme qui assume chacun de ses mots, chacune de ses pensées. Un homme qui marche sur des œufs avec moi avec, paradoxalement, une absolue confiance en lui-même.

Un homme de convictions, authentique et droit dans ses bottes. Un homme qui s’est construit à la seule force de ses poignets. Un anticonformiste aussi, décalé, un peu anarchique, un rebelle dans l’âme mais qui a su trouver son chemin entre révolte et conventions avec une touche de glamour. Un punk en veste Azarro. J’aime bien, ça me permet de l’être moi aussi, punk.

Un homme qui a souffert. Mais juste assez pour connaître le goût de l’amertume sans que celle-ci ne le consume entièrement. Un homme qui se sert de sa douleur pour se remettre en question. En l’occurrence, la fin récente d’une histoire dans laquelle il était parvenu à se projeter.

Même s’il est parti en vrille avec burn-out et dépression, il a, à l’inverse de moi, refusé la réclusion émotionnelle à perpétuité. Quelque chose l’a poussé vers la prise de conscience nécessaire pour entamer son voyage de l’expiation salvatrice, et ce quelque chose, selon ses dires, c’était moi. D’où ses passages devant le restaurant pour m’apercevoir.

D’un seul coup, cela me paraît familier… La vague impression d’un déjà-vu… Ce qu’il me confirme. Il y a 23 ans, il était déjà amoureux de moi avant même que je ne pose les yeux sur lui et passait de longues heures à me regarder, caché derrière un arbre de l’autre côté de la rue où je travaillais…

Alors, on se replonge dans tous ces moments de l’avant-nous, les prémices de notre histoire qui pour le coup, sont bien plus vivaces pour moi que les souvenirs de notre histoire en elle-même. On redevient l’espace d’un instant ces deux gamins qui jouent à chiche-pas chiche et qui esquissent en riant des pas de danse sur le quai en attendant leur métro sous le regard désabusé des passants…

J’avoue, c’est délicieux.

Une nostalgie qui nous amène naturellement à parler de nos projets d’aujourd’hui, si tant est qu’on en ait. Lui aspire fortement à une retraite au fin fond de la campagne car marre du bruit, des gens, de la pollution, pourquoi pas acheter un gîte rural dans un trou paumé… un peu comme moi, quoi. C’est étrange, cette synchronisation de nos horloges vitales…

Bref, moi je lui parle de la Normandie, du projet de revival du Normandy Beach, je lui dis que j’y vais demain d’ailleurs, puis je lui parle du pub qui est à vendre à Arromanches, ce qui a l’air d’éveiller son intérêt. Alors, naturellement, je lui demande :

–  Do you want to come?

–  Why not but you’re going to work, right?

–  I am but I can manage to have some free time. So if you want to take a look at this pub, that could be the opportunity, don’t you think?

–  I meet you there.

Peut-être que je m’accroche à la vision que j’ai eue hier, je ne sais pas. Mais j’aime bien l’idée.

 

Vendredi 2 octobre 2020 – 23.18 # DEBARQUEMENT

J’ai pris la route à midi avec un Guronsan, deux Nurofen et un double café debout-les-morts dans le ventre. Parce que dormi une poignée d’heures. Avec Bradley. Que je m’en vais rejoindre juste devant le pub car il vient d’arriver.

C’est drôle de se donner rendez-vous à 300 bornes. J’aime bien les retrouvailles.

On s’installe à une table dans ce petit pub dans lequel je me rappelle n’avoir mis les pieds à l’intérieur qu’une seule fois il y a 30 ans. La dernière fois avec Miles et Joan, on était en terrasse devant. Bref, on commence à envisager l’affaire, on a à peu près les mêmes idées, comme de rallonger le bar et de virer les grandes tables qui ne servent à rien dans un environnement aussi étriqué. L’ambiance est simple, assez conviviale malgré le manque flagrant de clientèle.

Puis, tout bascule à la fermeture vers 1.00 heure du matin. Quelque chose se déploie dans l’atmosphère et ma gorge se noue. Je suis prise d’un frisson, d’un haut-le-cœur et je n’ai qu’une envie, c’est de sortir en courant. Et tandis que l’on franchit la porte, j’entends comme une sorte de cri strident qui me fait sursauter. La main sur la clenche, je me retourne mais non, apparemment c’est dans ma tête.

On remonte sous la pluie jusqu’au Normandy Beach, je hâte le pas, j’essaye de mettre de la distance mais j’ai l’impression que quelque chose me suit. J’ai le souffle coupé, les mains qui tremblent et je ne parviens pas à enlever cette sensation visqueuse et nauséabonde qui me recouvre de la tête aux pieds.

Bradley s’aperçoit de mon malaise. Je tente de lui expliquer ce que je ressens, je me dis qu’il va me prendre pour une tarée mais il me dit :

« Moi aussi j’ai senti quelque chose de malsain. Il y a de très mauvaises ondes là-bas. »

Et plus on en parle, plus ce sentiment de répugnance abjecte se colle à moi, comme s’il voulait entrer en moi. Ça faisait longtemps que cela ne m’était pas arrivé, c’est tout simplement horrible comme sensation. Et soudain, je percute.

J’ai fait un rêve la nuit dernière, un cauchemar prophétique à ce que cela semble être, c’est d’ailleurs lui qui m’a réveillée en sursaut et empêcher de me rendormir. Dans mon rêve, il y avait cette femme aux traits évanescents, sans substance ni couleur, qui venait me parler à la fin d’un meeting citoyen à l’hôtel de ville d’un petit village. Je me souviens qu’il y avait un filet de pêche avec ses flotteurs en verre sur un des murs de la salle et un lustre vieillot avec des lampes à abat-jours au plafond.

Cette femme s’approche de moi donc et commence à me parler de choses et d’autres sur une voix sans tonalité, puis elle me touche le bras et là, j’ai la sensation qu’elle m’enfonce un couteau dans le ventre et je peux voir dans ses yeux qu’elle jubile. Il ne se passe rien en fait mais j’ai la conviction intime que c’est une tueuse en série. Alors je hurle et je m’enfuis.

La tenancière de ce pub est une femme. La dernière fois, j’avais senti la concernant comme quelque chose qui la rongeait de l’intérieur, je la voyais ‘crippled inside’… J’avais d’ailleurs demandé à Miles et Joan si elle était malade, un cancer ou autre mais pas à leur connaissance. J’avais senti aussi d’autres trucs ce jour-là avec ses clients, un d’ailleurs dont j’ai ressenti les penchants pédophiles à un mètre de distance et sa compagne qui, par peur de le perdre, s’épilait de partout pour contenter ses inclinations perverses !

Bref, beurk et re-beurk. Bon, je ne suis pas en train de dire que la patronne du pub d’Arromanches est une serial-killer mais clairement, il est hors de question que je reprenne son pub, voire même que j’y remette les pieds un jour. Et Bradley, pareil. Il y a trop de mauvais dans cet endroit. Mon rêve m’a prévenue. Donc, ça c’est fait.

Je finis par m’endormir tard dans la nuit, gavée de somnifères pour ne plus rien ressentir. So much for the romantic night, if ever there was supposed to be one…

 

Samedi 3 octobre 2020 # MA TEMPÊTE

Avec la lumière du jour et une nuit pas si moche au final avec six heures de sommeil d’affilée, le sentiment malsain avec lequel j’ai sombré hier soir a presque disparu. Presque. Je sens bien qu’il n’est pas complètement parti mais il fait trop beau dehors pour m’y attarder une minute de plus.

Ils avaient prévu un temps d’apocalypse ce week-end ici… La pluie de la nuit a dû laver le ciel qui est au grand bleu avec un soleil radieux. Du coup, j’ai une envie irrépressible d’aller marcher sur la plage, sur MA plage. J’y invite Bradley qui lui avait prévu de lézarder au fin fond du lit pendant que j’aurais travaillé sur le projet avec Miles et Joan et nous voilà partis, presque main dans la main.

Et assis sur un bout de rocher à Saint-Côme, on se met à converser. Moi, surtout. Je regarde la mer au loin, cette plage qui est si chère à mon cœur et ce que je pressentais fait jour en moi. Je ne peux pas venir vivre ici.

Car ce que je viens chercher sur cette plage, ce sont des fragments, des bouffées de bonheur qui me renvoie à une partie de mon enfance ultra-heureuse et dont je me gorge pour recharger mes batteries. Si je vis ici à temps plein, à supposer que j’y trouve une raison autre que celle de mes souvenirs, j’ai peur de perdre ce temple au fond de moi. Sans parler que les gens d’ici sont de vraies têtes de cochon, peu sociables et encore moins enclins à accueillir une étrangère parisienne comme moi les bras ouverts. Pas sûr que je puisse trouver une petite place pour moi ici…

Bref, je dois garder ces lieux comme une terre de pèlerinage et c’est tout. Y revenir aussi souvent que possible mais ne pas chercher à m’y installer. Harry avait raison. A force de procéder par élimination, je devrais me sentir soulagée de n’avoir plus qu’une option, celle de rester sur Paris, je ne sais pas.

C’est donc passablement déboussolée que je décide de rentrer, surtout que les nuages se font de plus en plus menaçants et qu’un vent glacial s’est levé. Frigorifiés, on s’en va prendre un thé bien chaud sur une terrasse abritée en ville. Et on parle encore. On parle chacun notre tour en disant ‘Je’ comme deux potes qui se retrouvent au bistrot. Ni l’un ni l’autre ne dit ‘Nous’. Et ça commence à me faire tiquer.

–  La similitude de nos situations personnelles nous a fait nous rejoindre et on est repartis toi et moi en marchant dans la même direction mais chacun sur son chemin, côte à côte, en parallèle. Et donc j’ai l’impression que nos chemins respectifs peuvent à tout moment diverger et ne plus jamais se croiser…

–  Je ne pense pas comme toi. Regarde, tout à l’heure sur la plage, pour contourner le ruisseau, tu as lâché mon bras pour emprunter le chemin qui te semblait le meilleur et moi j’ai continué sur ma lancée. A aucun moment, on ne s’est quittés des yeux et on a fini par se rejoindre un peu plus loin. Et ça, c’est fantastique.

Il a le chic pour faire mouche parfaitement. Au fur et à mesure de notre conversation, je découvre son extrême perspicacité, son habileté redoutable à mettre le doigt exactement sur le nœud du sujet. Il lit en moi comme dans un livre ouvert, il me devance en prononçant les mots exacts que je m’apprête à dire et devine ce que je ne dis pas. Plus aucun recoin en moi où me cacher.

Je ne suis pas habituée à tant de clairvoyance à mon sujet. Je suis complètement déstabilisée. Ça me chamboule tellement que j’en étouffe. Alors, je m’enfuis. Je le plante là sur cette terrasse et je file me réfugier au bout de la rue, derrière les pots de fleurs, le cœur en chamade et les tempes au bord de l’implosion.

Je reste là un bon moment. J’oscille entre aller le retrouver ou m’enfuir encore plus loin. Il a l’intelligence de ne pas me harceler par téléphone, il a compris qu’il me fallait un peu de temps et d’espace pour me regrouper. Je finis par le rejoindre, même si, à l’instar de celle qui se forme au-dessus de nos têtes, je sens la tempête en moi loin d’être éteinte.

Miles et Joan doivent être sortis, il n’y a pas leur voiture dans la cour. Dommage, j’aurais bien eu besoin d’une diversion. Donc, on se retrouve dans le silence de notre petite chambre aux murs de pierre avec un malaise bien palpable entre nous.

Face à ses suppliques pour me faire dire ce que j’ai sur le cœur, ça ne fait qu’ourdir au fond de moi, ça enfle et me ravage sans parvenir à franchir la barrière de mes lèvres. Ça bute juste derrière dans un chaos d’une violence indescriptible. Je fais les cents pas, j’entrouvre la bouche mais aucun son ne sort, lui se sent de plus en plus mal, j’imagine qu’il est désemparé. Ça devient tellement insoutenable que je finis par craquer, j’éclate en sanglots.

« Je suis tellement perdue depuis que ma mère est partie ! Je me sens abandonnée, vulnérable, j’ai l’impression que je pars en lambeaux ! Et te revoir a fait remonter à la surface des choses que je n’étais pas prête à affronter, je suis désarmée. »

Il me prend alors dans ses bras et on reste comme ça un long moment. C’est étrange pour moi comme situation, tellement habituée que je suis à pleurer seule sans épaule pour me réconforter. Etrange mais finalement agréable. Ainsi, je finis par me calmer. Je me reprends et je m’excuse pour avoir fait ma drama-queen.

« Tu ne t’excuses de rien ! Là, tu as été authentique, vraie. C’est tout ce que je te demandais. Ne rendosse pas ta carapace, s’il te plaît, pas tout de suite… »

Mais moi, je ne sais pas comment faire autrement et tandis que j’aperçois Joan dans la cour, je tente une sortie dans une pirouette théâtrale : « Allez, hop, apéro-time ! »

Il décline. Il se dit vidé, à cours d’énergie. J’ai mauvaise conscience mais apparemment, cela n’a rien à voir avec moi. C’est là que je me rends compte de l’ampleur de sa dépression, qu’elle est bien réelle avec des chutes vertigineuses d’énergie qui l’entraînent dans des abîmes d’abattement sans fond. Je connais.

Il s’est aménagé une grotte chez lui, dans sa tête aussi, une antre dans laquelle il s’est réfugié il y a un mois pour se plonger la plupart du temps dans des bouquins qu’il dévore frénétiquement comme s’il voulait littéralement se projeter dans la dimension des autres pour fuir la sienne.

Ça me fait l’effet d’une caverne-pc sécurité avec une centaine d’écrans comme autant de fenêtres sur l’extérieur dont il se nourrit, bien au chaud dans son nid, comme le nerd qu’il est devenu. C’est sa façon à lui de rester connecté au monde des vivants dont il a besoin, quelque part, pour garder un petit morceau d’humanité.

Ainsi, sortir de sa grotte il y a quatre jours pour me voir était une première, un exploit en soi, très significatif, donc. Réitérer jeudi soir aussi. Mais il a eu entretemps 24 heures pour se régénérer dans sa tanière. Et puis, ce week-end. Sans possibilité de repli. Je peux comprendre que ce soit compliqué à gérer pour lui. D’où mon impression qu’il peut souffler le feu et la glace dans la même heure, que parfois il est là sans être là et que son champ d’énergie peut passer du vert au rouge sans transition.

Moi, ma caverne est mobile, exclusivement dans ma tête. Une sorte de bunker à roulettes dans lequel je peux me trimballer à peu près partout sans avoir peur d’être à cours de plan de repli d’urgence. A l’inverse de lui, je me suis coupée volontairement de toute interaction humaine, je me suis placardée avec des planches sur mes fenêtres, quinze verrous sur ma porte triplement blindée, tout un lot de grenades et un XM42 en cas d’intrusion.

Je m’auto-suffis en cercle fermé, besoin de rien d’autre que ce que j’ai sous la main, même si j’avoue que parfois, je tourne un peu en rond. J’ai mis aussi une VMC parce qu’à force de ne pas aérer, bah des fois ça pue, surtout avec mon tas de purin dans un coin du salon dont il faudra bien un de ces quatre que je me débarrasse.

Bref, tout ça pour dire que la similitude de nos errements métaphysiques s’arrête là car nous avons développé chacun un mécanisme de protection très différent l’un de l’autre et bien intégrer cette donnée ne va pas être une mince affaire, ni pour l’un, ni pour l’autre.

Mais il faut bien essayer. Alors, je le laisse s’enfouir sous la couette pour rejoindre Miles et Joan dans la lounge-room. En me demandant toutefois si l’ampleur de la tâche est du genre à nous rebuter ou pas et si l’enjeu vaut tous les bleus et les bosses que l’on ne manquera pas de se faire.

 

Dimanche 4 octobre 2020 # A STEP BACK

Bradley vient de repartir. Le temps de la route, il doit récupérer ses enfants en fin d’après-midi car c’est sa semaine de garde. De chaleureux au-revoir avec Miles et Joan, ils ont voulu tous les trois se faire des hugs mais n’ont pas osé, de peur que l’autre refuse à cause du covid…

Ils se sont bien entendus. Bradley s’est pris lui aussi d’empathie pour eux et a adoré l’endroit. A-t-il pu imaginer à un moment donné reprendre ce Bed & Breakfast avec moi ? Peut-être mais après mon coming-out d’hier sur la plage, je pense qu’il a remballé son idée fissa. Et tout seul, c’est impossible, trop de travail. Mais je suis heureuse qu’il ait aimé ces vieilles pierres autant que moi. Je l’ai même ‘embauché’ pour de futurs travaux, ce qui n’a pas semblé l’effrayer…

Bref. Je vais profiter de ce grand après-midi pour enquiller sur le projet car on n’a pas eu le temps  – my fault – d’approfondir ce qu’on a abordé depuis vendredi. Je profite aussi de m’être réveillée ce matin en pleine forme avec des facultés mentales retrouvées. La tempête dehors, ma tempête intérieure sont passées toutes les deux. Je me sens soulagée, je ne ressens plus ce poids sur ma poitrine, je suis ragaillardie, presque légère. C’est assez rare pour que je le mentionne. Même si je n’ai aucune idée du pourquoi du comment.

On s’y met. Je sors mon dossier et je déroule mon business plan. Etude de marché, nouveaux tarifs, campagnes de pub, nouveaux outils dont un module de réservation intégré dans le site web, estimation du CA, tout le tralala, quoi. Mais au fur et à mesure que j’avance, je perçois une résistance qui se transforme assez vite en freinage des quatre fers…

Et tout ce qu’ils m’ont dit à mots couverts depuis vendredi vient soudainement me percuter en boomerang. D’un seul coup, je réalise que je suis partie bille en tête dans une croisade qui n’est pas la leur. Je me rends compte que je me suis lancée corps et âme dans la construction d’une véritable machine de guerre pour faire de leur petit business familial une cash-machine avec tout ce que cela implique en termes de charge de travail et de recherche d’accomplissement et que cela n’était pas ce qu’ils souhaitaient.

Même si j’ai bien intégré le fait qu’il fallait qu’ils se ménagent, d’où des jours de fermeture hebdomadaires pour le B&B et pousser pour louer en gîte sur deux semaines pour qu’ils puissent avoir, qui sait, des vacances, je n’ai pas compris qu’ils voulaient simplement survivre en attendant la retraite qui ne saurait tarder, au vu de leur état de santé.

Ils doivent de plus se préparer à un drame prochain avec le décès annoncé de la mère de Joan en Angleterre, drame qui, au-delà de l’immense chagrin qui va les submerger, implique aussi une perte de leurs racines et les rend apatrides car ils n’auront plus de raison d’y retourner. C’est une épreuve extrêmement douloureuse qui les attend, je peux comprendre qu’ils aient peur de manquer de ressources pour s’occuper d’un business flambant neuf.

Ils sont de plus coincés 20 ans en arrière avec une clientèle historique très particulière avec laquelle ils ont appris à composer. Ils sont conscients qu’il faut aller en chercher une autre mais ils ne connaissent rien de cette nouvelle clientèle que j’ai étudiée pour eux. Ils ne peuvent donc pas comprendre les arguments et les stratégies que je leur explique et en reviennent toujours à celle qu’ils connaissent comme le seul point de repère qui fasse sens à leurs yeux.

Tout changement est dur. Surtout après 20 ans de fonctionnement. Mais Joan a ses mots qui tout à coup font sens et me font envisager les choses sous un angle nouveau :

“We were doing just fine, always have since the beginning. Yes, the covid killed us but it killed all of us! So we are not broken, we don’t need to be fixed, we just need some help to get back on the tracks we’ve been on since almost 20 years.”

Je vais donc repenser tout ça en adoucissant la phase de transition, en allégeant les axes de développement, voire à ne leur proposer qu’un dépoussiérage et un petit relooking de leur business mais pas de changement en profondeur.

“I get this, don’t you worry. Let me get back to you soon with my new imput, think about it, sleep on it and we talk about it in a few, okay?”

Je me suis projetée entièrement dans ce projet, de toutes les fibres de mon être, certainement parce que j’avais besoin de remplir ma vie de sens à ce moment-là. J’ai pris le mors aux dents et donc, je n’ai pu prendre le recul nécessaire pour bien définir les objectifs. Now is the time to step back a little and to re-think it more accurately.

Je vais bien sûr continuer de les accompagner – un engagement est un engagement – et avec grand plaisir, je reviendrai par la suite dès que mon aide sera requise. D’une certaine façon, cela m’arrange, j’ai moins la pression pour faire matcher mon futur planning si un jour je retravaille avec celui du Normandy Beach s’il est complet 52 semaines dans l’année.

Et cela ne fait que confirmer ce que j’ai mis à jour hier sur la plage : je n’ai pas ma place ici, à l’année, tout du moins. Ces lieux, ces terres ne me veulent qu’en frappes chirurgicales, en pointillés. Ça, je sais faire et j’aime bien, finalement.

 

23.48. En pyj sous la couette, mon ordi sur les genoux, je regarde ma série du moment d’un œil distrait. Je repense en fait à ces derniers jours, à tous ces chamboulements qui sont venus me chahuter les uns après les autres. Si ma vie dernièrement n’était qu’une succession de jours qui se ressemblent dans la mornitude, elle est certainement aujourd’hui dans un tournant des plus trépidants.

Demain matin, je rentre à Paris. Je vais retrouver mon petit train-train. Je vais peut-être pouvoir décanter tout cela tranquillement. Sur cette pensée, je m’apprête à m’endormir lorsque mon téléphone sonne. Bradley.

 

Mardi 6 octobre 2020 # DECANTAGE

Voilà. Une semaine hors du temps. Suspendue entre rêve et réalité. Sept jours qui m’ont apparu une éternité ! J’ai l’impression de revenir d’un voyage très lointain avec au moins trois fuseaux horaires de décalage dans la tête. Aujourd’hui, je reprends petit à petit mes esprits et j’ai besoin de restituer ce que j’ai vécu comme on écrirait un long carnet de voyage après s’être reposé, au calme et la tête froide, en cherchant à être au plus près de chaque souvenir.

Besoin aussi de faire un état des lieux après la grenade que j’ai prise dans mon bunker.

« Bon, ça c’est foutu mais bon débarras… Ça, c’est un peu mort aussi mais je m’en servais encore, je sais pas si je vais pouvoir le réparer… Ça, ça a entièrement été vaporisé… etc. »

C’est bizarre, je me serais attendue à paniquer mais je m’aperçois que c’est exactement ce qu’il me fallait. Je suis donc plutôt sereine et pour la première fois depuis très longtemps, je regarde devant moi et je peux voir un jour nouveau se lever.

 

Je n’ai toujours pas de nouvelles de Walter. Peut-être a-t-il senti ce changement de paradigme en moi ?… Plus probablement, il s’est perdu encore une fois dans le labyrinthe de ses sentiments et ne sait pas comment revenir vers moi, sans la moindre idée de tout le chemin que moi j’ai parcouru dans l’intervalle de sa dernière ‘disparition’. Même si je ne sais absolument pas ce que je lui dirai lorsqu’il refera surface. J’imagine que cela sera en fonction de quand. D’où j’en suis justement dans l’éclosion de cette nouvelle ère en moi.

Et je me rends compte à quel point Bradley et Walter sont liés. J’ai rencontré Walter trois jours après la première audience – pour la St Valentin, quelle ironie – de mon divorce d’avec Bradley à une soirée où Bradley et moi avions été invités conjointement. Mais j’y suis allée seule, j’ai passé d’ailleurs une grande partie de la soirée à pleurer dans les toilettes. Je n’avais alors plus aucune ressource en moi pour me sortir de mon désarroi et j’ai prié tellement fort Monsieur Machin pour qu’il m’envoie de l’aide qu’il m’a entendue. La minute d’après, je rencontrais Walter.

Cette rencontre à elle seule a cautérisé en une fraction de seconde la plaie béante au fond de moi. Et c’est sur elle que j’ai construit ma relation avec Walter. Ou plutôt, le fantasme d’une relation. Car elle s’est cristallisée en moi comme un talisman sacré, une rune mystique, un tesseract de lumière aux pouvoirs magiques, elle est devenue ma pierre philosophale.

Elle devait donc signifier quelque chose… Mais elle n’était en fait qu’un pansement qui s’est transformé au fil du temps en entrave qui m’a réduite en esclavage, maintenue en otage pendant toutes ces années. Sitôt que j’ai commencé à réaliser, Bradley a frappé à ma porte. Ou serait-ce le contraire ?…

Malgré cela, je ne peux m’empêcher de repenser à ce que m’a avoué Walter lorsqu’on s’est eus au téléphone la dernière fois. Comme quoi il n’avait toujours pas digéré que je ‘rompe’ avec lui pour Kevin, au moment exact où lui était prêt à s’engager avec moi. Il m’a dit que cela avait été une des pires choses dans sa vie et qu’il avait eu tout le mal du monde à y survivre.

Vu que j’ai clairement regretté de choisir Kevin, vu qu’il semble prêt à nouveau pour ‘nous’, je me dis que je vais peut-être refaire aujourd’hui avec Bradley la même erreur qu’il y a 7 ans, que cela va être ‘fucking 2013 all over again’ et cela me fait peur. Maintenant, je me dis aussi que ça fait dix jours que je n’ai plus de nouvelles et que Bradley est là, lui.

Oui. D’ailleurs, les deux fois où ce dernier est apparu dans ma vie, c’était pour me ramasser à la petite cuillère. Il y a 23 ans, on s’est rencontrés alors que j’étais enceinte d’un garçon que j’aimais bien mais pas suffisamment pour construire une famille avec lui. J’étais broyée, torturée. Bradley était là. Il m’a accompagnée dans cette épreuve que je n’aurais pu surmonter seule, d’une certaine façon, il m’a sauvé la vie.

Aujourd’hui, même situation pour moi, même si pas les mêmes raisons, et Bradley est là encore une fois. Cela doit vouloir dire quelque chose, non ? Il est lui aussi à un moment significatif de sa vie où toutes ses plaques tectoniques sont en mouvement. Lui aussi a subi un choc récemment qui a fait remonter à la surface des blessures très anciennes qu’il n’avait pas soignées et dont il avait sous-estimé la portée, même des décennies plus tard.

On se serait revus il y a dix ans, un an, six mois, aucune reconnexion n’aurait été possible. On s’est revus à l’exact moment où il le fallait, où l’un comme l’autre était prêt. Et de façon tout-à-fait pragmatique, lui en arrêt-maladie et moi au chômage, on a tout le temps du monde pour apprendre à se connaître, à se reconnaître, le timing parfait, quoi.

Bref, la plupart des gens se rencontrent, l’un n’est pas prêt donc ils se séparent, s’ils ont de la chance ils se re-rencontrent plus tard mais là, c’est l’autre qui n’est pas prêt et re-séparation, et s’ils sont extrêmement chanceux, ils se retrouvent à nouveau et là, ça fonctionne.

On a donc une chance extraordinaire.

Même s’il m’a faite souffrir au-delà des mots jusqu’à pousser mon cerveau à l’occultation totale pour se protéger du game-over – mais ce dont on n’a pas conscience ne peut faire mal – même si nos chemins peuvent à tout moment diverger, même si l’avenir reste encore caché dans la brume, il est des évidences que je ne peux ignorer.

Nénette dit d’ailleurs que l’on a besoin l’un de l’autre pour se ‘réparer’… Funny, back few months ago, I was thinking that I needed a man who was not broken, who was a solid ground that I could rely on so that I can heal myself. Life sometimes flips a coin and shows you a path that you did not have a clue you were supposed to walk on…

Alors, pour la première fois, peut-être de ma vie, j’écoute mon intuition.

Bradley me bouscule, il me chahute, il n’y va pas de main morte à grand coups de tête dans mes fondations et j’aime ça. C’est tout ce dont j’avais besoin. Je me sens belle dans son regard, j’aime ce qu’il évoque en moi, il est tout ce que j’ai souhaité en l’écrivant quatre jours avant de le revoir :

« … Quelqu’un qui soit et un miroir, et un team-building à lui tout seul, capable de motiver toutes les ressources tapies au fond de moi… »

Jamais je n’aurais pu penser que c’était lui, mon chevalier sur sa licorne. Cela ne m’a même pas effleuré l’esprit. Comme quoi, la vie est pleine de surprises. Une évidence.

L’ERE DU CHEPA

« Pourquoi il n’y avait pas de musique à la cérémonie ? »

J’ai pensé que le silence était la meilleure option.

 

Lundi 28 septembre 2020

La vérité, c’est que j’aurais dû composer avec mon frère et son inextinguible envie des ultra-pathos « Roses Blanches » et je ne voulais pas imposer mon choix qui aurait été à coup sûr très mal compris : “Killing In The Name” de Rage Against The Machine…

Tout le bruit et la violence en moi à ce moment-là.

Je me souviens qu’en bonne dissidente, Maman aimait Thiéfaine le sulfureux, Lady Gaga pour son excentricité et Offspring pour leurs rifs aux tonalités orientales. C’était une des choses que j’aimais chez elle, sa modernité d’esprit. J’étais fière d’avoir une mère rock n’ roll. Mais bon, « La Fille du Coupeur de Joints », ça le fait moyen pour des obsèques.

J’aurais pu transiger car elle aimait aussi Sydney Bechet, Yves Montand, Brassens, Moustaki, Julio Iglesias, plus écoutables dans les circonstances, la « Lambada » car cela lui rappelait mon père et nos vacances chéries en Normandie mais pas sûr que le crématorium ait eu ça en magasin…

Bref, trop de choix tue le choix, d’où le silence.

 

Samedi, je suis retournée au cimetière et j’ai posé les premiers chrysanthèmes sur la tombe de Maman. C’était dur. Mais pas une larme. Je sais comment faire désormais pour tout contenir sans débordement. Pareil le soir à table chez Toto qui recevait sa belle-famille autour de la première raclette de l’année. Au fil de la conversation, ils se sont tous livrés à cœur ouvert de façon complètement inattendue, ma belle-sœur que je pensais de marbre, en tête. On a parlé de sa mère, de la mienne, les larmes ont coulé… Sauf moi. J’y ai assez droit la nuit donc je suis en rupture de stock la journée.

–  Comment tu fais pour tenir à pas dormir comme ça ?

–  Chépa.

–  Et si tu ne trouves toujours pas de boulot, que vas-tu faire ?

– Chépa.

–  Tu vas quitter Paris ?

–  Chépa.

Voilà. Je suis entrée de plain-pied dans l’ère du chépa. A propos de tout. En roue libre. En désœuvrement total. Heureusement que j’ai le projet du Normandy Beach, il n’y a que ça qui m’anime en ce moment. D’ailleurs, j’y retourne vendredi. J’aurais bien aimé encore une fois marcher sur la plage pour brainstormer avec les mouettes mais ils annoncent une météo d’antéchrist, alors…

C’est vrai qu’il fait froid. Je ne sais pas s’ils ont remis la chaudière en route, tiens, je vais faire un mail au concierge. Et je vais me rouler en boule sur la banquette avec mon plaid et ma bouillote car le grand ménage à la Monk hier a laissé sa carte de visite, j’ai mal absolument partout.

Je pensais que c’était une bonne idée de repartir au propre. Je regrette.

VERY BAD DREAMS

« Hello,

Merci d’avoir pris le temps d’échanger avec nous, et toutes mes excuses pour le délai de réponse!

Nous venons de faire une offre à un candidat, qui avait une grande expérience en environnement non structuré. Le poste d’Office Manager n’est donc plus à pourvoir.

Un grand merci pour l’intérêt que tu nous as porté, et peut-être à bientôt! »

 

Je ne serai donc pas ‘concierge’. J’avais pourtant bien insisté sur le fait que les ‘environnements non-structurés’ étaient justement ma spécialité, mais bon. Au moins, ils m’ont répondu. C’est le jeu, ma pôv’ Lucette.

 

Vendredi 25 septembre 2020

Je suis déçue. Mais surtout perplexe. Car cette fois-ci, j’étais motivée « tiger style » alors je me demande bien ce qu’il faut de plus. Je suppose que la période vraiment pourave pour les demandeurs d’emploi me décharge pour moitié au moins de mes responsabilités dans cet échec.

Bref. La boîte de Mimine a mis en stand-by ses recrutements, je peux clairement faire une croix sur les offres à l’étranger, quoique j’en ai reçu une cette semaine pour les Emirats Arabes mais je l’ai mise à la poubelle car ce n’est absolument pas mon truc, et bien sûr, pas de retour sur les autres postes pour lesquels j’ai postulé, à part parfois de laconiques « Merci, mais non, merci ».

Donc, retour à pieds joints dans mon marécage.

Les plaques tectoniques ont bien bougé mais c’était pour revenir à leur point de départ. Un faux tremblement de terre, beaucoup de barouf pour rien, quoi. Je ne peux même pas dire que cela m’a fait avancer dans ma tête car je suis autant perdue qu’il y a deux semaines.

J’imagine que mon actuelle détresse émotionnelle n’aide pas à y voir clair. C’est dur, je morfle vraiment. Je prends le contrecoup, le retour de flamme en pleine face. La journée, ça va car je m’occupe l’esprit. Mais quand je vais me coucher, la douleur vient me cueillir et une tornade de larmes s’empare de moi, un déluge qu’aucune de mes tentatives de raisonnement ne peut endiguer.

Je fais aussi d’horribles cauchemars dans lesquels je ne ressens que la violence, la douleur, le tourment, un concentré puant et visqueux de la lie de mon humanité, comme si mon don d’empathie du mal se retournait contre moi. Je me réveille en sueur, pétrie d’une angoisse abyssale. Les images ne s’effacent pas, j’allume la lumière, je vais boire un verre d’eau, je reprends un énième somnifère, je fume une cigarette, je remets la télé, je me rendors et rebelote deux heures après. Et ce, nuit après nuit depuis deux semaines.

Alors, pas de monstres, ni de visions d’horreur comme dans l’Enfer de Dante ni même de course contre la montre dans un labyrinthe sans fin mais je vois Maman sous tous ses aspects négatifs, je vois mon père aussi lorsqu’il était grabataire et délirait tel un dément, des fantômes du passé ressurgissent, des gens auxquels je n’ai pas repensé depuis une éternité qui viennent en procession lourds de reproches, chacun comme je l’ai connu sans l’exubérance que parfois les rêves confèrent, avec au contraire une redoutable précision et une authenticité désarmante.

Toute la vase remonte à la surface, des choses que je pensais avoir enterrées pour de bon, les scories de mon existence qui m’ont si longtemps handicapée d’un coup de rasoir au talon d’Achille et qui apparemment n’en ont pas terminé avec moi. Des choses que je n’ai jamais mises à jour, par honte, par peur, par souffrance, des choses indicibles qui hurlent pourtant au fond de moi pour sortir.

Ce n’est pas la première fois, mais j’avais réglé ça à l’époque à coup de barbituriques qui n’ont fait qu’enterrer plus profondément ce que je ne voulais pas affronter. Fallait bien que cela revienne un jour. Mais pourquoi est-ce le départ de ma mère qui déclenche au fond de moi cette lame de fond apocalyptique ? Etait-elle mon garde-fou ? Ma camisole ? Ou est-ce son message sous forme d’anathème pour que je puisse me libérer ? En aurais-je la force un jour ou serais-je à jamais une âme en peine ?…

 

10.00. Message de la CAF : j’ai droit désormais à la prime de solidarité. J’ai rien demandé, pourtant. Ainsi, avec le RSA, l’APL, la prime d’activité, le machin pour les plus de 26 ans et maintenant la prime de solidarité, me voilà biberonnée aux aides sociales. Pour une fois, je me dis qu’il fait bon d’être en France.

Le top, selon Nénette, serait que je trouve un petit job au black pour je profite de la life tranquillement. C’est sûr, je peux survivre comme ça financièrement pendant longtemps. Mais est-ce une vie pour moi ? Puis-je rester dans cet état larvaire assisté ad vitam aeternam ? Je n’en suis pas sûre.

Je ne sais plus rien, en fait. Pas même qui je suis aujourd’hui. Je me dis que j’ai peut-être besoin d’un regard neuf sur moi, pour que je puisse me recalibrer, me resituer, me redéfinir… Oui, une rencontre. Pas forcément romantique, ce n’est pas le propos. Quelqu’un qui soit et un miroir, et un team-building à lui tout seul, capable de motiver toutes les ressources tapies au fond de moi.

Oui, peut-être. Même si je lui souhaite bon courage.

 

13.00. En ces temps suspendus où le monde vit au rythme des annonces de l’OMS en attendant anxieusement de savoir s’il va se refermer à nouveau sur lui-même, un petit attentat terroriste n’était vraiment pas de trop… Oh ma petite Maman, tu es partie juste à temps, si je puis dire. Car aurais-tu supporté un nouveau confinement et ce nouvel acte odieux du même acabit que ceux qui t’ont révulsée il y a cinq ans ?

Le monde est malade, et pas que du covid.