“J’ai encore besoin de toi.”
Je me sens comme une poule qui aurait trouvé une fourchette dans son nid. Quelque peu médusée. Et cela ajoute à la grande confusion qui m’agite depuis lundi. Confusion que j’ai tentée d’anesthésier avec quasiment deux nuits blanches devant ces interminables élections américaines.
Vendredi 6 novembre 2020 # RECONFINEMENT J+8
S’il devait y avoir une conversation pertinente avec Bradley parmi toutes celles que l’on a pu avoir lui et moi depuis maintenant plus d’un mois, c’était celle d’hier. Elle n’était pas pour autant porteuse de réponses. Au contraire.
Car depuis lundi, une pagaille indescriptible règne en moi et je dois avouer que cela a altéré ma lumière. Cette dernière s’est fragmentée en mille éclats qui se sont retrouvés piégés dans un flipper géant à rebondir sur les bumpers sans pouvoir atteindre la sortie.
Oui, depuis lundi, je fais des rêves d’une acuité redoutable et j’ai des visions, des flashes en pleine journée. C’est la première fois que j’en ai autant. Serais-je aussi medium ? Est-ce une évolution de mon don ? Son avènement, sa véritable identité ?…
Au lieu de me combler, cela me chamboule bien plus que je ne l’aurais imaginé. J’ai l’impression que tout se contredit en moi. Que tout n’est qu’évidences d’égale importance mais que rien ne l’emporte. Un peu comme ces élections américaines. J’en viens à attendre les résultats finaux comme une délivrance pour mon débat intérieur. Drôle d’analogie.
Donc, sur cette pagaille se sont rajoutés les mots de Bradley. Le retour dans son appartement ne l’a pas broyé comme j’ai pu le craindre de prime abord. Car comme il me l’a dit avant de partir, il se sent plus fort, plus énergique et depuis lundi, il s’organise, il fait, même son ménage qu’il avait délaissé depuis quelques mois, il prend plaisir à passer du temps avec ses enfants et tout ça sans suffoquer.
Mais il se sent fragile, pas entièrement consolidé. Comme un AA qui compte sur son sponsor car il a peur de replonger. Je lui ai fait du bien et il en a encore besoin. Ce qui veut dire que ma mission n’est pas terminée. Alors pourquoi ai-je senti dimanche que c’était le cas ? Que puis-je lui apporter aujourd’hui ? Surtout, que puis-je lui donner sans compromission de ma part ?
Car ces rêves et ces visions me l’ont montré et dans cette petite maison dans les bois, la maison de mes rêves où je l’ai emmené la dernière fois où je suis allée voir Toto, et dans mon appartement ici à Paris avec ses deux enfants et une mystérieuse petite fille aux taches de rousseur…
Tout le relie à moi, je ne peux être plus compromise. Et cela me perturbe.
Je l’ai vu également venir à moi et me dire qu’il repartait à l’armée, dans mon rêve il partait en croisade à Jerusalem mais bon, et je lui ai répondu : « You’re gonna lose yourself. And you won’t be able to come back. »
Ce n’est pas nouveau, je ressens ça depuis le début chez lui. Depuis qu’il m’a confié ses doutes sur ses raisons de vouloir continuer l’armée. S’il a pu ressentir cette vocation de soldat, c’était peut-être parce que cela l’a façonné à un moment de sa vie où il était malléable à souhait, où il se cherchait sans trop savoir qui il était.
Cela lui a apporté une famille, des valeurs fortes d’engagement et d’honneur et une grande satisfaction. Mais pas une raison d’être. Et qui est-il ? Peut-être pas ou plus quelqu’un qui obéit sans mot dire, c’est peut-être quelqu’un qui a besoin aujourd’hui de se définir au travers de ses propres aspirations et non plus d’une idéologie communautaire patriotique qui, si elle a été riche d’enseignements, ne lui permet pas aujourd’hui de s’accomplir en tant qu’être humain.
Il a quelque chose qui grandit en lui. La voix forte d’un libre penseur, d’un rebelle aux doux rêves, d’un artiste contrit qui veut enfin s’exprimer. Et ce n’est pas compatible avec l’armée. Rien que de penser à se raser le crâne et la barbe d’ermite qu’il s’est pris à aimer, ça lui pèse terriblement.
D’où ma surprise lorsqu’il m’a dit la semaine dernière qu’il avait rempilé et qu’il se tenait prêt pour une mobilisation très prochaine. Parce qu’il avait, selon lui, trouvé la réponse auprès de ses ‘mentors’ consultés sur mon conseil pour en avoir le cœur net : selon eux, il était fait pour l’armée car c’était un soldat dans l’âme. Je me suis dit que l’important était qu’il avait retrouvé son chemin, peu importe mes réserves. Il en semblait heureux et j’étais heureuse pour lui.
D’où ma stupéfaction intégrale lorsqu’il m’a dit hier : « J’ai peut-être pris ma décision à la hâte… J’ai les mêmes doutes et j’ai peur que si j’y retourne, je vais me perdre à nouveau dans un personnage qui n’est pas moi. J’ai besoin d’autre chose en ce moment. Je suis sur le point d’enfin me mettre à écrire, c’est devenu une évidence. Si je repars à l’armée, je vais me focaliser sur ça et m’oublier encore une fois en revenant dans une routine de vie qui ne me va plus… »
Surtout qu’il avait commencé notre conversation sur un ton déterminé en m’annonçant qu’il avait reçu l’ordre de se tenir prêt pour une mobilisation du 14 novembre au 2 décembre et qu’une semaine de préparation en amont était requise donc à partir de lundi prochain, voire même à partir de ce week-end, il était peut-être censé partir. Je l’ai taclé.
« Donc, si j’ai bien compris, on ne se revoit pas avant le 2 décembre au mieux ? »
Ça l’a fait trébucher. Et c’est là qu’il m’a avoué ses doutes. Et son besoin de me voir. Puis, son envie de me voir. Il m’a demandé si moi aussi, j’en avais envie. Je n’ai pas pu faire autrement que de lui raconter toute la confusion en moi, mes rêves, mes visions mais également l’appel des Etats-Unis qui s’était amplifié et ma longue conversation par vidéo avec Lewis il y a deux jours…
Lewis avec lequel je me suis reconnectée instantanément. Ça faisait un bout de temps déjà que je sentais l’urgence de lui parler. Il a été mon révélateur, mon impulseur, mon allumeur de mèche il y a 9 ans. A Chestnut Hill, Massachussetts. Lui venait tout juste d’avoir sa révélation métaphysique au cours d’un voyage en Inde, il était donc ‘super-charged’ et au cours d’une soirée qui s’est prolongée sous les grands marronniers de la cour du petit logement de fonction qu’ils occupaient alors Zane et lui, il a simplement posé sa main sur mon bras et m’a transmise comme une étincelle qui a littéralement mis le feu aux poudres en moi.
Une fulgurance incroyable. La révélation suprême. Ma conscience s’est alors élevée si haut que j’ai pu rencontrer de véritables anges de lumière qui ont chacun déposé en moi une fraction de leur incandescence en me chargeant d’une mission que j’ai acceptée sans réserve. Sans trop toutefois en savoir la nature…
Je me souviens d’ailleurs, peu après être rentrée sur Paris, que je m’étais faite aborder au cours d’une promenade vers Neuilly par des jeunes de la Jeunesse Catholique qui m’avaient interrogée sur ma foi et ma relation à Dieu. Je leur avais alors parlé de ma récente transcendance ainsi que de la mission dont je me sentais investie en concluant que si c’était là la preuve de l’existence d’un quelconque pouvoir divin, qu’il en soit ainsi, mais que ce n’était pas mon but.
J’ai dû être à ce moment-là d’une conviction force 12 car je me souviens de ces trois jeunes gens complètement ébahis qui n’ont pu que bredouiller en chœur : « Vous avez une telle lumière en vous, vous devriez prêcher… » Limite, ils auraient mis un genou à terre, les mains jointes tout en criant Allelujah que cela ne m’aurait pas surprise ! Bref, j’ai pris mes jambes à mon cou, très embarrassée par ce qui venait de se passer. Moi, prêcheuse… N’importe nawak !
Bref, j’ai perdu cette lumière en 2013. De la retrouver récemment m’a donc fait un bien immense, c’était tellement inespéré ! Lewis en a été très heureux et devant mon avalanche de questions sur comment je fais pour développer et optimiser mon don en cette période de pandémie où le moindre contact physique est honni – c’est d’ailleurs très ironique, par là-même énigmatique, que ça m’arrive maintenant – il a eu ces mots :
”Maybe you should remember how you were able to use your gift back then to help people remotely. Don’t you remember that girl from Panama? You helped her over the phone and through webcam… Your power does not only work by touching people, you can connect to them from wherever you are on the planet, that’s huge!”
Comme le Professor X, quoi, le pouvoir de télékinésie en moins. Enfin, j’espère. Parce que là, ça va vraiment être le chambard. Pis après, je vais avoir le FBI, la NSA et tout le toutim sur le dos, non, pas glop du tout.
Bon, j’ai bien conscience que mon propos peut passer pour un salmigondis d’élucubrations et que je pourrais me faire enfermer pour bien moins que ça – ah Yang ! je peux presque t’entendre pester d’où je suis ! – mais je suis pourtant bien ancrée dans la réalité sans l’impression, aucune, de divaguer. Justement, ça m’arrangerait d’être folle à lier car plus besoin de chercher le pourquoi du comment.
Bref. Pour en revenir à Bradley, tout ce que je sais, c’est que je ne peux pas avoir ces visions de lui, de nous deux ensemble et en même temps, ces sirènes américaines qui m’appellent là-bas sans lui. Je ne peux pas aider quelqu’un à trouver ses réponses si j’en attends d’autres de lui, ce serait le guider selon mon propre agenda et je refuse ce dévoiement.
Et je ne peux pas aimer ce quelqu’un si je ne suis dans aucune de ses réponses. Je ne peux pas ressentir ce que je ressens et faire tout mon possible pour éjecter ces sentiments hors de moi. Car mon réflexe et ce, depuis le début de notre histoire, c’est de nier l’idée même que l’amour peut arriver entre nous. Parce que c’est plus facile. Je me sens désemparée devant la réalité d’une relation amoureuse car je ne sais pas quoi faire de tous ces sentiments, les siens, les miens…
J’en viens presque à regretter le cocon douillet de mon histoire d’amour imaginaire avec Walter. C’était parfait pour moi, en fait : incorporel et incorruptible. Et tellement paisible, sans combat intérieur, sans challenge, sans remise en question. Et lâche. Certes. Mais je suis lâche.
Donc, mon réflexe est d’effacer de l’équation ce qui me perturbe pour ne garder que ce que je peux contrôler. Je vais même jusqu’à penser que je devrais effacer l’équation toute entière et couper les ponts tout de suite avant que je ne puisse plus rien faire. Mais je me ravise car je ne peux me résoudre à le laisser tomber maintenant…
Pas pour rien que les psys ne doivent pas sortir avec leur patients car ils perdent toute objectivité et par là-même leur efficacité. Je sais que j’ai un choix à faire mais je n’y parviens pas.
D’où l’agitation intense en moi depuis lundi.
J’avoue que je suis perdue. Ce conflit perpétuel m’épuise, en fait. Nénette dit que je me pose trop de questions. Elle a raison mais je n’y peux trop rien, c’est hélas indépendant de ma volonté. J’ai besoin de comprendre les choses pour les accepter et quand celles-ci s’entrechoquent de façon complètement contradictoire en moi comme c’est le cas en ce moment, bah c’est le bordel.
Ainsi, selon Nénette, j’ai un irrépressible besoin de rationnaliser mon histoire avec Bradley en en purgeant tout sentiment amoureux parce que j’ai peur de me laisser aller. Du coup, je cherche à obtenir toutes les réponses tout de suite pour sécuriser un hypothétique lâcher-prise.
Je sais que je ne suis pas faite pour être amoureuse. En fait, je trouve que ça ne me va pas. Comme une fringue qui ne me mettrait pas en valeur. Je l’ai dit à Bradley qui m’a répondu que lui trouvait que ça m’allait bien… mais il y a 23 ans !
Nénette dit qu’aimer, ce n’est pas la même chose que d’être amoureuse. Amoureuse, je l’ai été et aujourd’hui est venu le temps d’aimer. Et d’être aimée. Car lorsqu’elle disait que l’on devait se réparer l’un l’autre Bradley et moi, elle ne parlait pas d’énergie même si c’est chouette mais… d’amour. Ah Nénette ! Si elle savait à quel point elle rajoute au bordel et à quel point, finalement, j’ai besoin d’avoir son ressenti…
– Alors, puis-je venir te voir dimanche soir ? As-tu envie de me voir ?
– A brûle-pourpoint, je dirais oui.
– Tant mieux, moi aussi.
– Mais je te préviens, tu seras sous ma loupe car j’ai besoin d’étudier la possibilité d’un avenant à notre ‘contrat’ car je ne sais pas si et ce que je peux faire pour toi cette fois-ci. Remarque, ça tombe bien, je suis en ce moment à la recherche de cobayes pour tester l’étendue et la maîtrise de mes pouvoirs magiques, tu veux bien faire mon cochon d’Inde ?
– Euh… dit comme ça… Bon, oui.
– Une dernière chose : je ne sais pas non plus comment me situer dans notre relation, il faut que j’étudie ça aussi dimanche soir.
– D’accord.
En raccrochant, j’ai repensé à la semaine dernière, cette semaine de ‘mission’ où j’avais zéro conflit et un silence d’or au fond de moi, tout était simple et transparent… Je ne dirais pas que j’étais heureuse mais j’étais très certainement sereine et confiante.
« Pourquoi est-ce parti ? Ma lumière n’était-elle qu’un outil qui m’a été prêté dans le seul but d’accomplir ma mission ? Pour qu’elle revienne, faut-il que je sois missionnée à nouveau ? Si ce n’est plus jamais le cas, suis-je condamnée aux ténèbres et au chaos pour l’éternité ? Mon don ne serait-il qu’une fumisterie ? Ou serait-ce une épreuve pour apprendre justement à le maîtriser en pleine conscience ? »
Bref. Ça tournait tellement dans ma tête, comme dans une essoreuse, que j’ai ressenti l’irrépressible besoin de faire un tirage de cartes. J’en ai fait plusieurs. En premier, une triangulaire Moi-Bradley-Nous 2 comme je l’ai fait il y a un mois.
Moi : L’Ami(e) > Une figure souriante, bienveillante, chaleureuse, amitié confirmée, affection, réconciliation, retrouvailles. Signification karmique : gratification d’une vie antérieure. A l’envers : séparation, éloignement, refroidissement, absence.
Bradley : Les Parents > L’éducation et l’hérédité, chaleur et protection, influence positive, tendresse, réconfort. Signification karmique : importance des racines et du foyer. A l’envers : difficultés domestiques, turbulences, manque d’équilibre.
Nous 2 : Les Nuages > Ils vont et viennent là-haut, là-haut… Soupçons, brouilleries, intrigues, malentendus, les aléas d’une relation, les tensions de la vie à deux. Signification karmique : ils font ressortir le bleu du ciel. A l’envers : menace ou danger à l’horizon, soucis en perspective.
Mon interprétation : tout indique qu’il faut que je sois seulement une Amie pour lui. Notre histoire d’amour n’est pas viable. Et à la question en one-shot « Dois-je mettre un terme à notre relation maintenant ? » j’ai tiré la carte Les Parents qui indique que non, j’ai encore un devoir de ‘protection’ envers lui…
Puis, j’ai ressenti le besoin de faire un tirage pour moi. Chose que je n’avais pas faite depuis des années, voire une bonne décennie.
Mon passé : Les Nuages > voir ci-dessus
Mon présent : Le Travail Sur Soi > Le miroir joue le rôle du divan du psy, élimine les scories de l’éducation, de l’hérédité ou du karma. Nécessité de se défaire du manque d’assurance, des addictions, nécessité de travailler la confiance, le dialogue, en se débarrassant des crispations. Signification karmique : besoin de grandir, d’évoluer. A l’envers : insuffisance du travail entrepris.
Mon futur : La Maison > Une maison simple en moi depuis toujours. Douceur du foyer, chaleur, tendresse, travail à domicile ou chez autrui, importance de la maison dans le choix professionnel. Signification karmique : comme la tortue sur son dos, l’homme porte sa maison dans sa tête. A l’envers : souci domestique, manque de place, déménagement nécessaire.
Et à la question en one-shot « Dois-je partir de Paris ? » j’ai tiré la carte La Fortune qui, comme son nom l’indique, signifie que mon départ pour faire ma vie ailleurs sera placé sous les augures du succès, donc la réponse est Oui.
Mon interprétation : depuis le temps que je tire ces cartes, je n’ai jamais sorti La Maison, c’est dire son importance. Je dois donc partir de Paris, trouver ma maison et vivre d’une activité indépendante comme le consulting ou le service à la personne et… le conseil en orientation spirituelle. On y est.
Même si j’ai encore du mal à imaginer la boule de cristal, hier soir tout a fait sens. De voir ces cartes s’aligner dans une parfaite logique a magnifié ce qui, en filigrane, était déjà en moi depuis longtemps. Mais j’ai l’impression que je ne peux pas partir tout de suite, qu’il me reste encore quelque chose à faire ici, bref, j’ai encore un pied en dehors de la montgolfière qui est presque sur le point de s’élever dans les airs…
13.55. Appel de Kevin. Pour un Chronopost qu’il aurait reçu à son ancienne adresse, c’est-à-dire ici. Et on papote un peu. Il a bien eu le Covid dont il se remet à peine et reprend sa recherche d’emploi. Vu la conjoncture… Donc, si à la fin du mois il n’a toujours rien, il devra rendre son appart qu’il ne peut plus payer et repartir chez ses parents en province. C’est moche mais lui au moins a encore ses parents sur lesquels compter. Moi, je n’ai plus cette option.
Bref. Moi, je lui dis que c’est morne plaine pour moi aussi côté boulot, que j’envisage fortement de quitter Paris et je me mets à lui parler de ma récente révélation, de mon don, tout ça. Fidèle à lui-même, il ne se mouille absolument pas à me donner un quelconque avis et, parfaitement détaché, il me souhaite juste bonne chance.
Soudain, je ne sais pas trop ce qui me prend mais je me concentre et je tente d’entrer en lui. Je suis arrêtée presqu’instantanément par un gigantesque mur, le même mur que j’avais ressenti chez lui quand on s’était rencontrés. Un énorme « KEEP OFF » qui me renvoie dans mes billes illico presto.
Et là, je tilte. Je sais pourquoi mes sentiments pour Bradley me perturbent à ce point et pourquoi je fais tout pour m’en débarrasser. Je suis terrifiée à l’idée de me lier à quelqu’un car la dernière fois, j’y ai perdu non seulement mon cœur mais également mon âme.
Je pensais à l’époque pouvoir aider Kevin alors je lui ai tout donné, tout ce qu’il y avait en moi d’amour et de lumière mais c’est tombé dans un puits sans fonds, me laissant chaque jour un peu plus exsangue, vidée de toute substance. Car derrière son mur, Kevin n’est qu’un trou noir qui aspire toute forme de vie alentour.
Il m’a annihilée, exterminée, tout ce que j’étais a disparu et j’ai bien cru que c’était pour de bon. Je n’ai réalisé l’urgence de m’échapper que lorsqu’il a été trop tard, tous les deux piégés en enfer pieds et poings liés, condamnés à se détruire l’un l’autre pour l’éternité.
J’en ai réchappé. De justesse. Et tout ce qui ramène là-bas n’est que traumatisme. Je me dis que si je l’avais aidé sans être impliquée émotionnellement, je serais peut-être encore capable d’aimer aujourd’hui. Ou si j’avais pu l’aimer sans tenter ce sauvetage impossible, je ne me serais pas perdue à ce point. C’est cet engrenage infernal qui m’a détruite.
Et aujourd’hui, je m’aperçois de la portée que cela a encore sur moi. Je suis terrifiée de refaire la même avec Bradley. Une peur panique de refaire confiance à quelqu’un. Une peur panique de me laisser aller. Une peur panique d’aimer.
Bref. Maintenant, je sais d’où ça vient. Je ne sais pas trop comment je vais surmonter cela, ni si j’en ai envie d’ailleurs, mais un pas est un pas, chaque chose en son temps.
Et en début de soirée, j’appelle Toto. Prendre de ses nouvelles. Il commence à aller mieux, grâce aux cachetons. Mais sa psy d’opérette me fait sortir de mes gonds :
– Tu vois, je l’ai trouvée un peu légère car en fin de séance, elle m’a dit « Je ne sais pas, je ne suis pas dans votre tête, Monsieur. »
– Bah si, c’est ton boulot, bouffonne !
Alors, pour lui changer les idées, je me mets à lui parler pour la première fois de mon don. C’est très étrange d’avoir une telle conversation avec mon frère mais je sens que je peux désormais tout lui dire sans craindre son jugement. Je lui dis aussi que je réfléchis à partir de Paris pour venir m’installer vers chez lui, pourquoi pas dans la petite maison que j’avais vue dans les bois, et faire du service à la personne en journée et medium le soir.
– Je serais un peu la sorcière au fond des bois que l’on vient consulter en cachette…
– HA HA HA !!!
Ça me fait du bien de l’entendre rire. Ça me fait du bien de pouvoir en rire avec lui. Et là, tout doucement, il me dit : « Je veux bien que tu exerces ton don sur moi. » Je ne saurais dire pourquoi cela me trouble et me rassérène en même temps… Encore une ‘intervention’ auprès de quelqu’un avec lequel je suis impliquée émotionnellement, je ne suis pas sûre et pourtant j’ai envie d’essayer…
Je m’aperçois que cela va être difficile de trouver des cobayes avec lesquels je n’ai aucun lien. Je repense notamment à Lewis qui m’a avoué qu’il avait lui aussi perdu un peu son chemin dernièrement, j’ai ressenti le besoin de l’aider, j’ai même commencé pendant notre conversation vidéo… Je repense aussi à Miles qui me disait à quel point il se sentait vivifié, reboosté lorsque je venais les voir au Normandy Beach…
Peut-être ai-je besoin de ce lien pour pouvoir agir ? Peut-être que cela ne marcherait pas avec un parfait inconnu ? Bon, ça va être coton si je veux me faire une clientèle… Il faut vraiment que je teste pour savoir.
22.26. Bradley m’appelle, il répond à mon texto envoyé il y a une heure : « Are you ok ? Or does it have to do with the strange feeling that I have right now ? »
Il me dit aller bien. Il s’enquiert de ce ‘sentiment étrange’ mais je ne peux lui en dire plus. En revanche, je lui déballe tout le reste : tout ce qui m’agite, mes tirages de cartes de la veille, ce que m’a dit Nénette, ma prise de conscience après l’appel de Kevin, les mots de mon frère, tout y passe.
Et cela monte comme une mayonnaise en moi, ça prend de l’ampleur mais le bol est trop petit et ça se met à déborder. Le pauvre ! Il assiste à l’autre bout du fil à une véritable éruption de ma part sans pouvoir faire grand-chose pour la contenir, ça part dans tous les sens, c’est incohérent au possible, je m’étonne même qu’il n’appelle pas le service d’urgences psychiatriques ou le véto avec sa fléchette tranquillisante pour cheval fou…
Tant et si bien que cela finit par m’étouffer. C’est trop, tout ça en moi. Je suis en surchauffe, je sens que je vais imploser. Ce qui ne manque pas d’arriver. Il est minuit. Je ne suis plus là. Crash disk.