Tous les ans en décembre, je subis trois avaries. Cette année, je suis servie.
Ça a commencé avec mon ordi perso qui a rendu l’âme après 12 ans de bons et loyaux services. Puis, je me suis faite chourer mon mobile pro dans le métro. Serrés au chaussepied qu’on était, je n’ai rien senti.
Et la troisième avarie, et non des moindres, Big Boss a mis un terme à mon contrat. A poil dans trois semaines. Joyeux Noël.
Samedi 9 décembre 2023
7.00. Il fait encore nuit, il pleut des seaux, personne dans la rue et aucune voiture de garée. Un petit air d’hiver nucléaire sous mes fenêtres. Ça ressemble à ma vie du moment, tiens. Mais je crois dur comme fer qu’après la destruction vient la reconstruction. C’est tatoué dans mon dos, je ne suis que résurrection.
Hier, j’ai pas mal turbiné. Envoyé des mails au propriétaire de la maison dans les ronces, au banquier, à l’entrepreneur pour leur dire que je mettais en stand-by mon projet le temps de retrouver un emploi. Car pas de bras, pas de chocolat. Mais ce n’est que partie remise.
Projet qui avait par ailleurs évolué depuis le week-end dernier. Toto et Nana ma belle-sœur me sont tombés à bras raccourcis sur le poil, vitupérant que je m’engageais dans un pot de pus, que la maison ne vaudrait jamais les 130.000 euros que je m’apprêtais à demander au banquier, bref…
J’ai eu beau arguer qu’un coup de cœur ne se discute pas, ça n’a pas fait un pli, photos à l’appui :
« Regarde, à ce prix-là, ce que tu peux avoir dans la région avec vachement moins de travaux ! »
Puis, l’entrepreneur qui, en divisant par deux son devis comme je lui avais demandé, a dû sucrer bah presque tout. Demander de l’aide à Toto et consorts – autant dire que je me serais prise un mur de plein fouet – pour pallier aux prestations non-effectuées a commencé à me faire réfléchir.
Sans compter le montage alambiqué du prêt avec les subventions à réclamer, le mini-prêt à taux zéro et les nouvelles directives environnementales censées se déployer début 2024 sans en connaître les contours avant.
Bref. A l’apéro, j’ai effectué la recherche, comme ça, juste pour voir, d’une maison ancienne avec terrain, sans voisins, à vendre dans le coin. Dix secondes plus tard, j’ai trouvé la perle rare.
« Tiens, bah ça, je veux bien ! Mais pas vos pavillons de lotissement sans charme ! »
Toto et Nana étaient ravis et pour le coup, totalement d’accord avec moi. A 15 km de chez eux, au centre-ville d’une petite bourgade tous commerces, pas une mais deux maisons sur un grand terrain arboré avec garage et dépendances et 4 chambres dans la maison principale ! Peu de travaux, la majorité subventionnables, et surtout habitable en l’état. Le tout dans le budget que m’a donné le banquier. La fête, quoi.
Ça a fait son chemin dans ma tête. J’ai lâché prise au sujet de la maison dans les ronces. Oui, le coup de cœur… Je pense qu’en fait, c’est le projet de vie qui allait avec qui l’a provoqué. Et je me suis enferrée dedans avec, je le reconnais, des œillères en acier trempé.
En fait, j’ai repensé au restaurant que j’ai ouvert, pratiquement envers et contre tous les avis autour de moi, négatifs à 90% tant les risques et l’épuisement à venir étaient grands. Je me suis souvenue me promettre à moi-même à la fin, que plus jamais je ne m’obstinerai sur un projet, quel qu’il soit, si tous les avis étaient négatifs. L’entêtement aveugle et sourd mène en général dans un mur. Basta.
Donc tout ça, c’était le week-end dernier. Et mercredi, Big Boss a coupé net tous mes rêves de télétravail à la campagne. Pas de budget, en tout cas me concernant, quelques griefs malgré la reconnaissance du travail accompli, bref, du pipeau.
- Qu’est-ce que tu as à dire ? Tu devais t’en douter, quand même, non ?
- Bah oui et non. Mais cela aurait été bien de me le dire avant, pas à trois semaines de la fin de mon contrat…
- Tu as besoin de combien de temps pour te retourner ?
- Fin janvier ?
Je suis sortie de son bureau abasourdie. Je m’attendais à ce qu’il me reconduise en intérim, histoire de repousser le truc aux calendes grecques, mais pas qu’il mette un terme de façon aussi tranchée.
Aucune envie de contestation. C’est pas mon truc, à la base, mais une fois que j’ai eu mis tous les morceaux du puzzle en place, j’ai compris qu’effectivement, il ne pouvait en être autrement. Ça vient de quelqu’un en particulier avec qui j’ai échangé dernièrement quelques mails légèrement désagréables, quelqu’un qui me taxe d’incadrable malgré tous les rapports d’activité que je lui ai fournis, quelqu’un avec qui le courant ne passe pas depuis quasiment le début et qui a privilégié son larbin à qui ils viennent de signer le CDI et à qui je dois faire la passation de mes tâches dès lundi…
C’est la première fois dans toute ma carrière que je pars d’une boîte à cause de griefs contre moi. Car c’est bien ça et non leur pipeau de budget. Si je leur avais convenue, ils se seraient battus pour pérenniser mon poste. Bref. Comme quoi, leur joyeux bordel de start-up voulant devenir grande, ce n’était pas pour moi et cela s’est senti.
Cela dit, je ne regrette rien. Pas même d’avoir quitté un CDI pour de l’intérim à l’avenir incertain. En un an, j’ai acquis de nouvelles compétences, j’ai appris énormément – notamment que je déteste le copinage avec des piailleuses pour me mettre dans leurs petits papiers – je me suis fait de nouveaux amis quand même (QNO, tu vas me manquer ! ), bref, c’était une expérience qui valait d’être vécue.
Allez zou, je suis sûre que c’est un mal pour un bien. Je vais faire ma passation proprement, par acquis de conscience, même si je compte bien ne plus être la foudre de guerre que j’ai été, et je vais aller de l’avant.
D’ailleurs, j’ai déjà une piste, et pas des moindres… Zane m’a proposé un poste de Consultant Project Director dans une de ses sociétés, un job en full-remote à 500 dollars/jour… Le truc de ouf. Elle a même proposé de me faire une attestation d’embauche sans période d’essai pour mon banquier ! Bon, je vais quand même attendre un chouille avant de remettre mon projet immobilier à flots mais tout de même…
Ça fait quelques temps qu’on en parle, elle et moi. Surtout lorsqu’on s’est retrouvées en Floride il y a trois semaines. La Floride… Et dire que j’ai failli annuler ! J’ai passé 9 jours fabuleux là-bas. Rencontré des gens extraordinaires. C’est chouette d’avoir ça dans mon escarcelle de bonheur. Surtout en ce moment !
Je n’ai rien fait de particulier là-bas, pas de tourisme à proprement parler. Je logeais chez Libby et Justin, un couple de Népalais-Américains, avec lesquels je me suis sentie connectée instantanément. D’une gentillesse, d’une générosité, j’avais l’impression d’être une star chouchoutée en permanence !
Et leur maison… Un havre de paix et d’harmonie, un cocon, jusqu’au lit king-size dont la couette était d’une infinie douceur… J’ai passé la plupart du temps sur la terrasse près de la piscine (faut dire qu’il faisait 30°) à rêvasser, à écrire, à lire aussi mes satanés mails de boulot avec 6 heures de décalage…
On a beaucoup échangé. Sur la France, sur le Népal, sur les Etats-Unis… C’est ça que j’aime par-dessus tout, rencontrer des gens d’autres horizons, échanger, partager, quel bonheur ! Du coup, je suis invitée quand je veux au Népal, dans leur famille car l’hôtel c’est pas bien, et ils viendront en France pour ma crémaillère au moins et je les emmènerai en Normandie hahaha !
Et bien sûr, je suis fortement invitée à revenir à Tampa pour cette fois-ci faire vraiment du tourisme avec eux, si désolés pour moi qu’ils étaient de ne pas avoir eu le temps de me promener. Ce sont tous les deux des geeks en home-office qui devaient travailler à ce moment-là, sauf pour Thanksgiving où l’on s’est tous retrouvés dans la maison familiale de Zane à quelques kilomètres de chez Libby et Justin. Après une journée à faire les courses et une autre à cuisiner. Le vrai truc, quoi.
Bah, je n’étais pas là pour faire du tourisme mais pour Thanksgiving. On a quand même pu apercevoir la queue d’un alligator, visiter Ybor City downtown by night (le quartier historique cubain) et prendre le trolley jusqu’au wharf de la baie de Tampa.
Mais ce dont je me souviendrai particulièrement, c’est la chose improbable à laquelle j’ai eu la chance et l’honneur de participer : la cérémonie du Puja chez la cousine de Libby. J’ai même pris des notes, que je voulais retranscrire dans ce blog une fois rentrée, sauf que mon ordi est décédé justement à mon retour…
Bref, improbable et pourtant d’une évidence rare.
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Puja in Florida
Deux cuillères d’eau, une fleur, une pincée de riz, un billet d’un dollar et une pièce de 25 cents, une cuillère de lait entier, deux cuillères de miel, une grenade, une mandarine, des feuilles de bananier, une noix de coco, un bâton d’encens, un fil tissé autour du cou de la statuette de euh Shiva ? un coup de clochette, le tout pendant 3 heures au son d’une mélopée ininterrompue de sanskrit débitée par un prêtre assis en tailleur, portable sur les genoux.
Pas la recette d’un gâteau improbable mais la cérémonie du Puja chez la cousine de Libby à Valrico à 50km à l’Est de Tampa, Florida.
Dimanche 19 novembre 2023
Le Puja est un rituel de purification de la maison et de ses habitants que l’on fait une fois par an dans la tradition hindi.
Libby est Népalaise mais vit aux Etats-Unis où elle est venue faire ses études depuis 18 ans. C’est d’ailleurs au Salem College qu’elle a rencontré Zane. Mariée depuis 5 ans à Justin, Népalais lui aussi, qui est venu la rejoindre il y a 3 ans, c’est un petit bout de femme tout en rondeurs au regard étrangement perçant mais au rire très communicatif. Tous les deux d’une attention à chaque instant, d’une gentillesse au-delà des mots. Très raccord, ce couple, même si issu d’un mariage arrangé mais hé, ça fonctionne, alors…
Ils sont venus me chercher hier soir au motel pourri que j’ai eu la mauvaise idée de booker… Moi et mes crappy motels ! Le plan était d’y passer deux nuits, le temps pour moi d’aller explorer les environs et d’aller faire faire mon tattoo au Ink Villain Tattoo. Mais d’une, il était trop excentré sans aucun transport en commun si ce n’est un bus par jour, et de deux, dans une des zones les plus mal famées de la banlieue de Tampa… Je ne suis pas trouillarde de nature mais là, j’avoue que je ne faisais pas la maline. Et bouclé la porte de ma chambre à triple tour. Chambre bien sûr dans un état limite salubre.
Quand je leur ai dit ma mésaventure, Libby m’a dit immédiatement « Ne reste pas là, on vient te chercher ! », j’ai plié bagages fissa et quelques heures plus tard, on dînait ensemble sur la marina de Tampa Heights. C’est sûr, pas la même ambiance ni la même faune !
Et quand je suis arrivée chez eux, dans la petite bourgade de Valrico, le pays des fraises, j’ai eu l’impression d’entrer dans un hôtel 10 étoiles où tout n’était que luxe et volupté. Safe and sound.
Tiens, voilà le prêtre qui sort un livret de ce que je pensais être des sudoku… ah non, ce sont des prières. Me disais aussi, s’il se fait autant iech que nous, autant se faire une grille de sudoku entre deux incantations, ou du Candy Crush sur son portable qu’il consulte très fréquemment sans discontinuer de chanter pour autant. Namaste, dude.
Moi, ça m’endort. Avec le jet-lag, je ne demande pas mon reste. Jusqu’à ce que Justin me réveille, tout excité, avec un “Viens vite, la cérémonie se termine!”
Je m’exécute, pensant juste dire au-revoir au prêtre, mais en fait, c’est le bouquet final : chacun notre tour, on se fait “bénir” en donnant un billet au prêtre qui nous met une cuillère de yaourt béni dans la main droite, allez hop cul-sec, ensuite on jette une poignée d’un mélange de riz, de terre et d’encens sur le bois de santal enflammé dans une barquette en alu, on nous dépose je ne sais quoi sur le front, on envoie de la fumée vers les dieux puis vers nous-mêmes, sur les yeux, sur la poitrine les bras croisés, on doit gober un truc – ah non, je ne mange pas le bloubiboulga dont vous avez tartiné Shiva!! – et pour finir, on doit bénir les hôtes de la maison qui se prosternent à nos pieds et qui nous filent un billet de 20 dollars en offrande!
Tout ça sous la supervision du prêtre qui doit avoir bien soif, après ces 3 heures d’incantation.
C’était une expérience très intéressante. Et ces gens sont d’une gentillesse! D’accueillir comme ça une parfaite étrangère chez soi lors d’une cérémonie aussi intimiste, ce n’est pas donné à tous. Vraiment, ça restera longtemps gravé dans ma mémoire, au rayon “Besties”.
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J’ai aussi beaucoup parlé avec Zane pendant mon séjour, notamment de son divorce en cours, du chaos émotionnel qu’elle traverse, de son boulot à l’horizon incertain pour elle également… Heureusement qu’elle a ses deux sociétés de consulting car avec sa maison d’Alicante, celle de Londres et celle de Tampa ainsi que les frais du divorce, elle a intérêt à avoir les reins solides côté finances.
Bref, on en est venues à se dire « Et si l’on s’alliait et que l’on montait un truc toutes les deux ? »… Moi, je me suis prise à rêver de travailler depuis ma maison à la campagne, puis un mois en Floride, un mois en Espagne, d’où je veux en fait ! Plus de chef mal luné sur le dos, plus de longs trajets dans le métro qui schlingue, que moi et le job.
Bon, encore faut-il que je sache ce que c’est. Car Consultant Project Director, ça veut rien dire. En tout cas, à moi. Zane est persuadée que je corresponds exactement au poste, je lui fais confiance, après tout c’est sa boîte, mais il va falloir qu’on m’explique clairement ce que je suis censée faire.
- At your age and with your experience, if not now, when ?!
- It’s not that I’m being a chicken or thinking less of myself, I’m just realistic and I’d rather go with caution than with arrogance…
- You wanna be an American ? You must be arrogant !
- All right, let’s do it.
J’en saurai plus dans les jours qui suivent. Je me suis d’ores et déjà renseignée sur ces histoires de déclaration de revenus de l’étranger et le portage salarial du statut Consultant indépendant. Car j’aurai un contrat UK and Wales et serai payée en Dollars. Nous, les Frenchies, on aime bien savoir ce qui nous reste après les impôts et les charges sociales. Apparemment, beaucoup. De quoi faire sourire mon banquier, qui ne savait faire que la tronche lorsqu’il me voyait arriver ces derniers temps.
Si cela se concrétise, je pense terminer dans ma boîte bah le 31 décembre comme prévu dans mon contrat. Tiens, je leur demanderai si je peux garder l’Iphone 15 tout neuf que j’ai eu en remplacement de mon Iphone 13 volé dans le métro lundi. En guise d’indemnités de départ.
Car avarie #4 – décidément, je suis pourrie gâtée cette année, moi – mon bon vieux Crosscall est en soins palliatifs, suis pas sûre qu’il voie 2024… C’est-y pas énorme, comme news ?!!? Moi, la dinosaure du téléphone, je me mets enfin au high-tech ! Ce ne sont pas tant les moqueries autour de moi, j’ai l’habitude et c’était presque une fierté, mais comme je dois remplacer mon vieux nanar, c’est l’occasion de faire le grand saut.
Et j’avoue, c’est très pratique. Je suis de plus devenue accro aux jeux sur l’Iphone… Hahaha c’est loin, le Bubble Shooter sur Windows !!!
Bon, allez, j’ai encore du taf qui m’attend, comme l’enregistrement des RIB des contributeurs du restaurant pour le versement de la première annuité comme promis il y a un an. Kevin a bien rechigné au début mais a fait finalement son virement chaque mois.
Et il faut que je prépare mes recettes pour Noël que je vais passer cette année chez Toto. J’ai l’intention de faire un chapon aux fruits caramélisés ainsi que l’exceptionnelle Sweet Potatoe Pie de Patti LaBelle que j’ai eu l’occasion de goûter à Thanksgiving. Moi qui ne suis ni sucré ni tarte ni patate douce, j’ai trouvé cela exquis.
Mais toujours zéro envie de faire un sapin chez moi. J’en ferai un dans ma future maison devant la cheminée.