Saison 3

LA PETITE MAISON DANS LES RONCES

« T’es fofolle, ça fait ton charme, j’aime bien ! »

Rheed, au détour d’un diabolo-menthe au PMU de Roissy-en-France.

Toujours par touches légères, sans gros sabots.

 

Samedi 5 août 2023

Je fais mine de rien mais je sais où ça va. Sur la réserve, je l’observe, le pied sur la porte qu’il a entrouverte. Je l’aime bien aussi. Même si je sens au fond de moi que ça ne marchera pas entre lui et moi.

On vient de deux mondes complètement différents, même si la différence est richesse, je ne suis pas sûre de vouloir m’adapter au sien et je ne veux pas lui imposer le mien. Il est déjà trop « into me », il est déjà trop gentil, trop à mes petits soins, limite à faire des plans à deux. Alors qu’il ne s’est encore rien passé entre lui et moi.

On parle beaucoup, il vient me chercher au boulot maintenant et l’on s’arrête boire un verre pendant quatre heures… Pas un seul contact physique, ne serait-ce qu’un effleurement de mains. J’ai bien catché un ou deux regards langoureux mais c’est tout. Du coup, je suis bien embêtée car je ne peux rien capter de lui.

Mais je pressens tout de même certaines choses. Mon don est en berne depuis que je prends de la paroxétine, certes, mais mon instinct fonctionne toujours, lui. Et ces choses ne me disent rien qui vaille. Ce sont comme des signaux d’alarme qui s’allument en moi et cette fois, je vais y prêter attention.

Parce qu’il y a un an et demi, je me suis emballée pour Josh alors que je savais pertinemment que ça ne le ferait pas. Bon, je n’ai pas attendu 5 ans comme avec Kevin pour y mettre fin, à peine 3 mois. Mais j’ai été horrible avec lui au bout de 2 mois, déjà.

C’est ce qui m’a faite me dire, par la suite, que je n’étais décidemment pas faite pour être en couple dans une relation conventionnelle. Pour l’autre ! Car ma devise est : je ne me souhaite à personne. J’excelle sur un week-end, éventuellement sur une semaine de vacances mais au-delà, je prends un goût amer qui devient poison.

Bref. En ce qui concerne Rheed, je pense que la chose la plus miséricordieuse serait de lui dire stop sans tarder. Mais ça veut dire mettre les pieds dans le plat. Je ne m’en sens pas le courage. Je vais la jouer pleutre jusqu’au bout, attendre qu’il ouvre la porte pour de bon pour lui dire de remballer ses billes. C’est nul, je sais.

 

9.05 J’appelle Georgette.

  • Tu vas bien ? T’as des nouvelles d’à-côté ?
  • Bah nan… Century 21 devait passer mais on ne les a pas vus.
  • Bon, ça t’embête de m’envoyer des photos ?
  • Avec les ronces, tu vas pas voir grand-chose…
  • Pas grave, c’est pour me donner une idée.
  • En tout cas, si ça se fait, je suis bien contente que tu deviennes notre voisine !
  • Ah moi aussi ! Et je vous préviens, pour ma crémaillère, je veux un rocking-chair !
  • Pas de souci !

J’ai trouvé la maison de mes rêves. Pas très loin de celle que j’avais repérée il y a 3 ans. Pas dans la prairie, pas dans la forêt, pas en bord de mer mais dans les ronces. Comme un joyau protégé par une horde de chevaliers…

Bon, le joyau est une petite masure à l’abandon où il y a tout à refaire. Mais sur un terrain de 6 000 m² arboré, un potager, une grange qui peut devenir une serre, un ruisseau en contrebas… Mon rêve !

Dans le département où j’ai grandi, à 15 km de chez Toto, à 38 km du cimetière où est Maman, à 200 km de Paris, c’est juste parfait. Je pense à ma retraite, en attendant je peux télé-travailler partiellement et profiter simultanément des avantages de Paris et de ceux de la campagne…

Et surtout, je peux m’offrir ce rêve : 15 000 euros ! Enfin, en faisant un crédit et en rajoutant le prix des travaux. J’ai pris rendez-vous avec la banquière dans deux semaines, pour tâter le terrain… En intérim, pas d’apport, il y a de fortes chances qu’on me dise de lâcher mon appart parisien à 1 300 euros de loyer, auquel cas il faudrait que je trouve à me loger la semaine à Paris pour pas cher…

Bref. Un plan de vie. Très surprenant pour l’oiseau sur la branche que je suis. C’est venu comme ça, naturellement, tout s’est imbriqué dans ma tête comme une évidence. C’était le week-end dernier chez Toto.

La tante de ma belle-sœur, Georgette, a appelé car son voisin vendait la Saxo de sa mère décédée récemment, une aubaine pour ma nièce qui passe son permis à la rentrée. Nous sommes tous allés chez Georgette chez qui le fameux voisin déjeunait. Moi j’en ai profité pour visiter avec délice le grand jardin de Gilbert, l’oncle de ma belle-sœur, chiper de succulentes figues, discuter fumier et cendres de cheminée pour amender les tomates anciennes et m’extasier devant les énormes poules qui picoraient dans leur enclos.

J’étais dans mon élément, heureuse comme tout. Je n’ai prêté que peu d’attention à la petite maison de la mère décédée du voisin qui vit à Arras et qui vient donc rarement dans le coin. D’ailleurs, derrière la haute frange de ronces, on ne voyait pas grand-chose. Mais j’ai aperçu le grand terrain, les arbres, le potager…

Ce n’est que le lendemain matin que j’ai posé la question à ma belle-sœur :

  • Il va en faire quoi de la maison ? Il la garde en villégiature ?
  • Ah non, il va la vendre. Pas cher vu que c’est un taudis. Pourquoi, t’es intéressée ?
  • Bah… ouais.

On fêtait l’anniversaire de ma belle-sœur justement, donc Georgette et Gilbert étaient là. Dès qu’ils ont su, ils m’ont abreuvé de détails sur la maison et enjointe à battre le fer tant qu’il était chaud, c’est-à-dire appeler le voisin. « Il ne l’a pas encore mise sur le marché, tu es la première sur le coup donc faut pas attendre ! »

Bref. Encore mieux que je ne l’espérais : une cheminée, de la tommette ancienne, des combles aménageables… Et le prix : grand max 20 000 euros.

Le revers de la médaille, c’est qu’il y a vache de travaux, dont certains immédiats comme le changement des fenêtres et la porte d’entrée qui se sont faites défoncées par les pompiers pour entrer dans la maison lorsque la dame est décédée, le raccordement au tout-à-l’égout, le lavabo qui ne tient que par les tuyaux à changer et bien sûr l’arrachement de la forêt vierge de ronces.

Tout va dépendre de la banquière. Mais je m’y vois déjà.

Ce n’est pas une lubie, c’est la suite de ma vie.

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